Legal04 novembre, 2025

Rudi Delarue nous parle de l’évolution des fins de carrière après l’accord de gouvernement

Le chômage avec complément d'entreprise et les alternatives à la fin de carrière sont des matières en profonde métamorphose suite à l'accord de gouvernement. Rudi Delarue, Président du Conseil national du travail, nous explique le cadre de cette évolution en préfaçant l’édition 2025 de l’annuaire consacré à ces matières et qui est disponible sur Jura.

Rudi Delarue

Rudi Delarue est président du Conseil national du travail depuis mai 2020.

De 2013 à 2020, il a travaillé à la Commission européenne, Direction générale Emploi et Affaires sociales, en tant que chef d’unité adjoint au sein de l'unité des affaires internationales. Il a participé notamment à la dimension sociale des accords commerciaux de l’Union européenne ainsi qu’au Brexit, et aux activités de l’UE auprès de l’OIT, de l’OCDE, du Conseil de l’Europe, des Nations unies, du G20 et du G7.

Auparavant, de 2008 à 2013, il a exercé les fonctions de directeur au Bureau international du Travail. De 1999 à 2008, il a été fonctionnaire à la Commission européenne, où il a contribué au développement du dialogue social européen, puis à l’élaboration de la contribution de l’Union européenne à la dimension sociale de la mondialisation et à la promotion du travail décent dans le monde. De 1987 à 1999, il a été conseiller au service d’études de la CSC. Il est licencié en droit et titulaire du diplôme d’études européennes du Collège d’Europe.

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Une thématique centrale dans la concertation sociale et les politiques publiques

Les fins de carrière et les mesures, accords et pratiques qui y sont liés sont plus que jamais d’actualité. Ils constituent et demeurent des thèmes centraux de la concertation sociale, et ce, à plusieurs niveaux. Ils interviennent aussi dans la politique publique, dès lors qu’elle touche directement à la sécurité sociale et à la fiscalité et donc, au budget.

La fin de carrière se caractérise par une grande dynamique et des évolutions constantes. Les arrêtés royaux et les conventions collectives de travail en matière de crédits-temps fin de carrière et surtout en matière de régime de chômage avec complément d’entreprise (RCC) ont été adaptés à de multiple reprises.

Multiplication des conventions collectives et diversité des pratiques

Entre 2023 et juin 2025, dix conventions collectives de travail (CCT) temporaires ont été conclues au sein du Conseil national du travail (CNT) en matière de fins de carrière. Cette thématique est également présente dans les conventions collectives conclues au niveau des secteurs et des entreprises, ainsi que dans des politiques et pratiques de ressources humaines.

L’attention portée à la fin de carrière s’explique par une pluralité de facteurs : l’évolution démographique et son impact sur la disponibilité du personnel adéquat, la diversification croissante dans les parcours professionnels et dans la participation au marché du travail, mais aussi le contexte budgétaire avec notamment l’adéquation et le financement durable des pensions.

Défis liés à l’allongement des carrières et à la diversité des parcours

La durée des carrières s’allonge, ce qui pose des défis et des opportunités en matière de travail soutenable tout au long de la vie active, de prévention et de réintégration des personnes présentant un problème de santé et de conciliation entre vie privée et vie professionnelle. Ces aspects sont d’ailleurs à l’ordre du jour du dialogue social à tous les niveaux.

La diversité des parcours professionnels doit impérativement être prise en compte dans les conventions collectives, les accords et la législation. Pensons notamment aux carrières longues dues à une entrée précoce sur le marché du travail, aux régimes de travail difficiles comme le travail de nuit et le travail physique pénible, ou encore aux travailleurs confrontés à de graves problèmes médicaux.

L’augmentation de la participation au monde du travail, en particulier celle des femmes, doit également être intégrée. Malgré des progrès importants, une partie non négligeable des femmes connaissent en effet encore des carrières incomplètes en raison de responsabilités familiales. Par le passé, elles ne pouvaient pas toujours recourir à des congés thématiques ou à une offre de garde d’enfants suffisante et accessible. Elles ont donc souvent travaillé à temps partiel ou se sont temporairement retirées du marché du travail. Malgré la progression constante de la prise des congés parentaux et autres congés pour soins par les hommes, les femmes continuent aujourd’hui à représenter la majorité des bénéficiaires de ces régimes.

Vers une réforme concertée du RCC et du crédit-temps

En matière de fins de carrière, il est essentiel de prévoir des dispositifs équilibrés, clairs, prévisibles et pratiquement applicables. Ils doivent tenir compte des évolutions et nécessités concrètes dans le monde du travail et de la sécurité sociale. La tâche n’est pas aisée pour les acteurs concernés, à savoir les entreprises, les travailleurs, les partenaires sociaux, les pouvoirs publics, les institutions de sécurité sociale, les prestataires de services et les praticiens du droit social et de la gestion du personnel.

Une interaction cohérente est requise entre les conventions collectives conclues par les partenaires sociaux et les règles édictées par les pouvoirs publics. Il ne s’agit pas d’une mission simple : parfois l’harmonie prévaut, mais à d’autres moments, les relations sont plutôt tendues.

Ainsi, l’accord de gouvernement « Arizona » prévoyait que le régime de chômage avec complément d’entreprise (RCC), à l’exception du RCC pour raisons médicales reconnues, devait prendre fin dès l’entrée en fonction du gouvernement, soit début 2025. En pratique, cela risquait de poser de graves difficultés aux entreprises et aux travailleurs. Certains travailleurs se trouvaient en effet en période de préavis au moment de l’entrée en fonction du gouvernement, dans la perspective d’entrer ultérieurement dans le RCC. Par ailleurs, des conventions collectives spécifiques conclues au CNT en matière de RCC demeuraient en vigueur jusqu’à fin juin 2025.

Heureusement, à la demande du Groupe des 10, du CNT et du Conseil d’État, le Gouvernement a rectifié la situation en instaurant un régime transitoire.

Il convient de rappeler que le RCC repose non seulement sur la législation, mais également sur la convention collective n° 17 du Conseil national du travail. Cet instrument autonome fonctionne indépendamment des mesures gouvernementales. Ainsi, il suffit que le travailleur âgé licencié remplisse les conditions prévues par la convention collective n° 17 et perçoive une allocation de chômage pour qu’il puisse réclamer le complément à charge de l’employeur.

Assurer la cohérence impliquait donc que les partenaires sociaux modifient la convention collective n° 17 pour l’avenir.

À l’issue de négociations intenses au sein du CNT, les partenaires sociaux sont parvenus à un accord dans le cadre plus large d’une réforme des fins de carrière. Cet accord a été formalisé dans l’avis n° 2.455 du 15 juillet 2025 du CNT. Il prévoit notamment la suppression de l’accès à la convention collective n° 17, à l’exception du RCC pour raisons médicales. La convention n° 17 continue cependant à garantir les droits des personnes déjà intégrées dans le régime de chômage avec complément d’entreprise.

L’accord du CNT comprend aussi une adaptation du crédit-temps de fin de carrière (travail à temps partiel) tel que prévu dans la CCT n° 103, ainsi que la conclusion de plusieurs conventions collectives spécifiques sur l’accès au crédit-temps de fin de carrière d’une durée totale de quatre ans. L’accord prévoit un calendrier de relèvement progressif de la condition de passé professionnel entre 2026 et 2030, différencié pour les hommes et les femmes, et ce, afin de tenir compte de la situation différente des femmes sur le marché du travail.

Le Gouvernement a, entre-temps, approuvé fin juillet 2025 le volet de cet accord social pour ce qui relève de ses compétences, à savoir les allocations et l’assimilation en matière de pensions. Les conventions collectives seront signées à l’automne, après approbation des arrêtés royaux concernés.

Diversification des dispositifs et prolongation de l’activité après la retraite

Les systèmes tels que le travail à temps partiel via le crédit-temps garantissent une fin de carrière plus viable et plus organisée à la fois pour les entreprises et les travailleurs. Cela permettra de freiner l’augmentation du nombre de malades de longue durée à partir de 55 ans et de ralentir le départ à la retraite anticipée.

Les mesures et pratiques de fins de carrière sont donc devenues plus diverses. Cela va également au-delà des conventions collectives n° 17 en matière de RCC et n° 103 en matière crédit-temps. Il y a également les systèmes « Canada Dry » ou les accords concernant la dispense de prestation octroyée par l’employeur en fin de carrière. Le statut de ces périodes en tant que périodes assimilées pour la pension est également dans le viseur du Gouvernement dans la mesure où des allocations de sécurité sociale ou la fiscalité entrent en cause.

De plus en plus de personnes poursuivent d’ailleurs une activité professionnelle après leur départ à la retraite, et ce, sous différents statuts et modalités. Les conséquences fiscales et parafiscales peuvent varier considérablement selon le statut applicable.

Dans le secteur privé, il n’existe par ailleurs en Belgique aucune obligation de cesser son activité professionnelle au moment où l’on atteint l’âge légal de la retraite. L’employeur et le travailleur peuvent parfaitement convenir de poursuivre la relation de travail ou, le cas échéant, de l’adapter afin de tenir compte du contexte spécifique des intéressés.

L’importance d’une information claire et cohérente

Il est d’une importance majeure que toutes les parties concernées soient dûment informées des droits et obligations en vigueur, afin de pouvoir prendre des décisions et formuler des conseils éclairés.

C’est le mérite de l’ouvrage « Le chômage avec complément d'entreprise et les alternatives à la fin de carrière » : dessiner le rôle, les contextes et l’histoire des instruments, mais surtout donner un outil qui permet de répondre aux questions pratiques.

C’est un ouvrage de référence : complet, lisible, précis, avec tous les textes de référence nécessaires, et à jour ! Au vu de toutes les modifications intervenues, la publication de cet ouvrage est un mérite en soi !

Je ne puis que remercier et féliciter les auteurs des éditions précédentes ainsi que Marie- Lise Pottier, Vincent Rouls pour les dernières éditions. Je constate avec plaisir qu’ils ont pu se baser sur l’expertise et la richesse d’informations apportées par les partenaires sociaux, les experts de l’ONEm et du Service public fédéral Emploi, Travail et Concertation sociale pendant les multiples négociations au Conseil national du travail, au fil du temps et surtout ces dernières années.

C’est un ouvrage unique et indispensable pour guider les travailleurs et les employeurs en matière de fins de carrière.

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