Legal28 octobre, 2025

Jérôme Sohier sur les spécificités et l’évolution du contentieux administratif devant le Conseil d’État

Dans cet entretien, Jérôme Sohier, avocat et professeur de droit public, apporte son éclairage sur la spécificité du contentieux devant le Conseil d'État. Il aborde les récentes réformes, l'impact de la régionalisation et les défis liés à l'enseignement de ce domaine juridique complexe.

Jérôme Sohier 

Jérôme Sohier est avocat au barreau de Bruxelles depuis 1992, spécialisé en droit constitutionnel et administratif. Il a obtenu sa licence en droit (droit public) à l'Université Libre de Bruxelles en 1983 et a suivi des études postuniversitaires en Allemagne dans le cadre du programme DAAD. Il est professeur de droit public à l'ULB et à la Solvay Business School, et vice-président du Centre de droit public. Il a précédemment occupé le poste de secrétaire administratif au ministère de la Justice (1985-1992) et est actif au sein de diverses commissions du barreau francophone de Bruxelles.

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Le contentieux administratif devant le Conseil d’Etat présente-t-il des spécificités qui justifient un manuel relatif aux procédures devant le juge administratif ?

On dit souvent que le recours en annulation présente un caractère « objectif », en ce sens que le procès n’est pas fait à une personne, mais bien à un acte administratif, dont la légalité est mise en cause. Ce caractère objectif implique toute une série de règles de procédure qui dérogent au droit commun du procès civil. Il s’ensuit que, par exemple, ce n’est pas le requérant qui a la charge de la preuve de l’illégalité de l’acte administratif attaqué, mais bien l’autorité administrative qui a l’obligation d’en démontrer la régularité. A défaut d’une telle démonstration, le Conseil d’Etat peut prononcer un arrêt d’annulation qui est revêtu d’une autorité absolue de chose jugée, non seulement entre les parties, mais également à l’égard de tous.

L’effet rétroactif d’un tel arrêt d’annulation a également pour conséquence que le recours est soumis à un délai de forclusion très bref de 60 jours et que la procédure devant le Conseil d’Etat est elle-même caractérisée par une série de délais « couperets » à charge principalement du requérant. En cas de dépassement de ces délais, le recours est automatiquement rejeté. Il s’ensuit que la responsabilité des avocats est plus intense dans le cadre de telles procédures que pour un contentieux judiciaire.

Quelles évolutions le droit administratif a-t-il connu depuis dix ans ?

Les réformes législatives précédentes de 2013 et 2014 avaient déjà sensiblement modifié la composition et le fonctionnement de l’institution, ainsi que les règles de procédure y applicables. La réforme de 2023 a, quant à elle, amendé de nombreux points relatifs à l’organisation du Conseil d’Etat et à la procédure à suivre devant la section du contentieux administratif. Avec, en premier lieu, une volonté de garantir un traitement des contentieux dans un délai raisonnable qui ne devrait en principe pas dépasser une durée de 18 mois maximum. Des nouveautés substantielles sont également apparues depuis lors, notamment dans le cadre du contentieux en suspension.

D’autre part, l’on assiste, depuis quelque temps à une forme de « défédéralisation » du contentieux administratif, au vu de la création de juridictions administratives au niveau régional, essentiellement en Région flamande (notamment un « Conseil pour les contestations d’autorisations » en matière d’urbanisme ; un « Collège du maintien environnemental » en matière d’environnement ; un « Conseil des contestations électorales » compétent pour valider les élections communales) qui a pour effet de compliquer les choses, puisque les requérants peuvent avoir des hésitations quant au juge compétent pour statuer sur leur demande, et ce endéans des délais très brefs qui renforcent encore cette situation d’insécurité juridique. Depuis lors, la Cour constitutionnelle a annulé des décrets du Parlement flamand portant une extension des compétences de ces juridictions régionales, en rappelant qu’il s’agissait ici, par principe, d’une compétence réservée au législateur fédéral.

Vous êtes avocat et également professeur d’Université en droit administratif. Comment enseigne-t-on aujourd’hui le droit administratif à des étudiants ?

Le droit administratif présente la particularité d’être, très souvent, au confluent de différents domaines juridiques. Un recours contre une sanction administrative présente de nombreuses analogies avec les principes de droit pénal ; une décision administrative en matière de logement (inoccupé ou insalubre) aborde souvent des notions inhérentes au contrat de bail ; un recours portant sur des biens du domaine public ou une expropriation pour cause d’utilité publique donne en principe lieu à un recours civil devant le juge de paix et met en cause des principes relevant du droit des biens.

Le cours de droit administratif est ainsi amené à jongler avec toute une série de matière relevant davantage du droit privé et emporte ainsi une prise de conscience dans le chef des étudiants de devoir disposer d’un minimum de connaissances générales du droit, indépendamment des spécificités du droit public. Il implique également une rigueur particulière, inhérente au droit public et au principe de la hiérarchie des normes, qui rebute souvent le plus grand nombre, mais peut également motiver encore davantage celles et ceux qui veulent s’y consacrer.

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