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Fiscalité et comptabilité 02 novembre, 2023

Droits d'auteur : premières décisions anticipées relatives au nouveau régime

Le Service des Décisions Anticipées (ci-après le « SDA ») a rendu deux décisions relatives aux modifications apportées au régime fiscal de taxation forfaitaire des droits d'auteur. 

Source: Actualités fiscales n° 2023/32, monKEY

Si ces décisions étaient particulièrement attendues en l'absence de publication de la circulaire, force est de constater que leur teneur en décevra plus d'un. La première porte sur l'application du ratio tandis que la seconde porte sur le champ d'application.

Décision du 25 juillet 2023 – n° 2023.0437

Objet de la demande

Le demandeur écrit des articles fiscaux. Ceux-ci sont publiés dans une revue belge. En contrepartie de la cession de ses droits patrimoniaux, l'auteur obtient de son éditeur une indemnité forfaitaire par page publiée. Le demandeur se posait la question de savoir si l'intégralité du montant pouvait être considéré comme un revenu mobilier au sens de l'article 17, § 1er, 5° du Code des impôts sur les revenus (ci-après « CIR 92 »).

Analyse de la position du SDA

Une œuvre littéraire

Bien que la demande portait essentiellement sur la question de l'application ou non du ratio prévu à l'article 37, alinéa 2, 1er tiret du CIR 92, le SDA a d'abord vérifié si les revenus de l'auteur étaient éligibles, à savoir s'ils entraient dans le champ d'application « matériel » et dans le champ d'application « personnel » de l'article 17, § 1er, 5° du CIR 92.

Sans surprise, celui-ci a constaté que les œuvres de l'auteur sont des œuvres littéraires ou artistiques au sens de l'article XI.165 du Code de droit économique (ci-après le « CDE ») et que l'opération intervient en vue de l'exploitation des droits. Les conditions du champ d'application « matériel » étaient dès lors réunies. On retiendra que le SDA considère, à juste titre, que l'édition d'un article constitue une forme d'exploitation des droits.

L'alternative à la détention d'une attestation du métier des arts

Après avoir constaté que l'auteur ne disposait pas de l'attestation du métier des arts – cela risque d'être souvent le cas –, le SDA a examiné si l'opération intervenait en vue de communication au public ou de reproduction. Pour ce faire, il s'est essentiellement référé aux travaux parlementaires et plus particulièrement aux déclarations du ministre des Finances faites en première lecture. Le SDA conclut qu'il ressort du contrat que les articles sont destinés à un public large et, partant, que les revenus entrent dans le champ d'application « personnel » de l'article 17, § 1er, 5° du CIR 92.

Les explications fournies par le ministre des Finances, notamment en ce qui concerne le champ d'application personnel, sont peu crédibles d'un point de vue juridique. Ainsi, il insiste sur le fait que cette alternative à la détention de l'attestation viserait à limiter le champ d'application aux situations où un public large peut bénéficier des œuvres de l'auteur. Une telle interprétation est incompatible avec le texte légal. A aucun moment, celui-ci n'exige que l'œuvre soit rendue accessible à un public large. Le 5e tiret de l'article 17, § 1er, 5° du CIR 92 précise d'ailleurs que le transfert des droits peut également intervenir aux fins de reproduction de l'œuvre. La notion de « reproduction » ne contient aucune condition liée à un public et n'est pas intégrée à la notion de communication au public contrairement à ce qu'a affirmé le ministre des Finances au cours des travaux parlementaires. Il convient de rappeler que la communication au public est définie par la Cour de justice de l'Union européenne comme constituant la transmission (sous forme intangible) de l'œuvre indépendamment du moyen ou du procédé technique utilisé (voy., notamment, l'arrêt OSA, C-351/12, point 32 et jurisprudence citée), partant elle ne peut pas prendre une forme écrite, graphique ou photographique comme le précise à tort l'exposé des motifs. Ces exemples font en réalité référence à la reproduction.

Le ratio de 30 %

Si la première intention du SDA a été de donner un éclairage sur la manière dont le ratio doit être appliqué, on doit malheureusement déplorer le caractère nébuleux de la motivation de la décision. Nous comprenons bien que l'objectif du SDA est d'expliquer qu'il existe des situations dans lesquelles le ratio ne doit pas s'appliquer, ce qui est tout à fait exact. Toutefois, la référence au fait que le transfert des droits patrimoniaux intervient en dehors du cadre de l'activité professionnelle du demandeur jette le trouble. En effet, si le demandeur rédige lesdits articles en dehors de son activité professionnelle, l'article 37 du CIR 92 n'est purement et simplement pas applicable de sorte qu'il est inutile de s'intéresser aux différents plafonds prévus à l'alinéa 2 et, notamment, au ratio. Le ministre des Finances le précise d'ailleurs dans les travaux préparatoires : « il doit être question d'une affectation de ces biens et capitaux à l'exercice de l'activité professionnelle du bénéficiaire des revenus » (Doc. Parl., Chambre, n° 55-3015/14, p. 63). Si les biens et capitaux, dont proviennent les revenus en question, à savoir les droits patrimoniaux de l'auteur, sont utilisés pour l'activité professionnelle du bénéficiaire desdits revenus, l'article 37 du CIR 92 est activé et, a fortiori, dans le cas contraire, cette disposition n'est pas applicable (Doc. Parl., Chambre, n° 55-3015/14, p. 64).

Pour le surplus, le SDA picore dans les travaux parlementaires quelques extraits en vue d'illustrer l'application du ratio et des exceptions prévues par la loi. Cependant, ces références ne donnent aucun éclairage nouveau. Tout au plus, le SDA semble insister sur l'absence de lien de subordination ou de commande dans ce cas pour considérer que le transfert des droits n'est pas lié à une prestation fournie. Aucune information n'est toutefois communiquée sur les motifs pour lesquels le SDA retient cette absence.

En conclusion, l'intérêt de cette décision est relativement limité.

Décision du 3 octobre 2023 – n° 2023.0659

Objet de la demande

La demanderesse est une entreprise active dans le domaine de l'ingénierie informatique. Elle emploie différents profils créatifs tels que, notamment, des développeurs. Elle estime que ceux-ci créent des œuvres protégées par le titre 5 du Livre XI du CDE. Elle a donc prévu que ses employés créatifs lui cèdent leurs droits patrimoniaux. Au jour de la demande, aucun salarié ne perçoit des droits d'auteur. La société souhaitait obtenir la confirmation que les revenus attribués aux employés créatifs en contrepartie de la cession de leurs droits patrimoniaux constitueraient des revenus mobiliers au sens de l'article 17, § 1er, 5° du CIR 92.

Analyse de la position du SDA

Le nouvel article 17 § 1er, 5° du CIR 92

L'article 17, § 1er, 5° du CIR 92 est composé de cinq tirets et doit se lire en cascade en commençant par le premier tiret jusqu'au cinquième. Si le revenu en cause ne répond pas à l'un des tirets, il est exclu du régime de taxation forfaitaire. Il n'en demeure pas moins un revenu de droit d'auteur (ou une redevance) et pourra, le cas échéant, être qualifié de revenu mobilier au sens de l'article 17, § 1er, 3° du CIR 92. Les revenus visés par cette dernière disposition sont imposables au taux distinct de 30 % et ne bénéficient pas de la neutralisation organisée par l'article 37, alinéa 2 du CIR 92 en cas de requalification desdits revenus en revenus professionnels.

Être ou ne pas être … assimilé

Après avoir rappelé les principaux textes légaux, à savoir l'article 17, § 1er, 5° et l'article 37 du CIR 92, le SDA a abordé l'analyse du champ d'application « matériel » de l'article 17, § 1er, 5° du CIR 92, ce qui correspond aux trois premiers tirets de cette disposition. L'attention du SDA a porté principalement sur le deuxième tiret. Celui-ci précise que les droits transférés doivent se rapporter « à des œuvres littéraires ou artistiques originales visées à l'article XI.165 du même Code » [lire, du CDE].

Nous avons déjà souligné dans d'autres écrits (voy. notamment S. Watelet, « Le (pas si) nouveau traitement fiscal des revenus de droits d'auteur et de droits voisins », J.T., 2023.11, 181-187) l'ineptie que représente ce tiret dès lors qu'il ne peut y avoir de transfert de droits si l'auteur n'a pas créé une œuvre littéraire ou artistique. En effet, la loi accorde des droits uniquement à l'auteur d'une telle œuvre. En outre, une œuvre littéraire ou artistique est, par définition, originale. Il était toutefois évident que le SDA n'allait pas s'embarrasser de ce genre de considération juridique.

Selon le SDA, il découle de ce tiret que « seuls les revenus qui se rapportent à des œuvres littéraires ou artistiques originales visées à l'article XI.165 CDE (…) entrent dans le champ d'application du régime fiscal des droits d'auteur et des droits voisins ». Ledit service se réfère ensuite à quelques passages, subtilement choisis, des réponses apportées par le ministre des Finances en première lecture pour soutenir qu'étant donné qu'il est explicitement renvoyé à l'article XI.165 du CDE en ce qui concerne les œuvres littéraires ou artistiques, seul cet article peut être pris en compte en matière fiscale. Cela signifie, selon le ministre des Finances et le SDA, que les œuvres littéraires ou artistiques assimilées par la loi – c'est-à-dire les programmes d'ordinateur – ne seraient pas visées. Ensuite, le SDA en conclut que la demanderesse n'a pas été en mesure de présenter des œuvres littéraires ou artistiques originales visées à l'article XI.165 du CDE de sorte que le nouveau régime des droits d'auteur repris à l'article 17, § 1er, 5° du CIR 92 n'est pas applicable à la situation décrite.

Le point crucial de la discussion porte sur le fait de savoir si un programme d'ordinateur est une œuvre littéraire ou artistique au sens de l'article XI.165 du CDE ou, uniquement, assimilé à une telle œuvre.

Par une loi du 30 juin 1994, le législateur belge a transposé la directive 91/250/CEE du Conseil du 14 mai 1991 concernant la protection juridique des programmes d'ordinateur. Cette loi a été abrogée au 1er janvier 2015 et ses dispositions ont été intégrées au Livre XI, titre 6 du CDE. L'article XI.294 du CDE précise que « les programmes d'ordinateur, en ce compris le matériel de conception préparatoire, sont protégés par le droit d'auteur et assimilés aux œuvres littéraires au sens de la Convention de Berne ». Force est de constater que les termes utilisés par le législateur belge ne sont pas conformes à ceux de la directive. Là où le législateur européen stipule que « les États membres protègent les programmes d'ordinateur par le droit d'auteur en tant qu'œuvres littéraires au sens de la convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques » [nous soulignons], le législateur belge a utilisé le terme « assimilé ». Le droit belge étant contraire au droit européen, il convient de se référer au droit européen.

Prenons le problème à l'envers. Tant le ministre des Finances que le SDA soutiennent que le champ d'application de l'article 17, § 1er, 5° du CIR 92 est circonscrit aux œuvres littéraires ou artistique visées à l'article XI.165 du CDE. Le législateur fiscal renvoie, quant à cette notion, explicitement au droit commun. Contrairement à ce qu'a affirmé le ministre des Finances au cours des travaux parlementaires, le texte fiscal n'a donc pas donné une portée propre à cette notion qui serait plus restrictive que celle donnée par le droit commun. Il l'a d'ailleurs reconnu en séance plénière, ce que semble avoir oublié le SDA (Doc. parl., CRIV 55 PLEN 224, 21 décembre 2022, p. 53).

Il n'échappera pas au lecteur attentif de l'article XI.165 du CDE que la notion d’ « œuvres littéraires et artistiques » n'est pas définie dans cette disposition. Tant la jurisprudence et la doctrine considèrent qu'il convient de donner à cette notion une portée large (F. DE VIS­SCHER et B. MICHAUX, Précis du droit d'auteur, Bruylant, 2000, p. 4, no 3 ; F. GOTZEN, « Art. XI.165 CDE », in F. BRISON et H. VANHEES (dir.), Hommage à Jan Corbet, 4e éd., Bruxelles, Larcier, p. 48), notamment en raison de l'énumération non limitative mentionnée à l'article 2.1 de la Convention de Berne. Cette disposition précise que les termes « œuvres littéraires et artistiques » comprennent « toutes les productions du domaine littéraire, scientifique et artistique, quel qu'en soit le mode ou la forme d'expression ».

La Cour de justice de l'Union européenne a jugé qu'un programme d'ordinateur est une œuvre littéraire ou artistique au sens de la Convention de Berne (voy. l'arrêt BSA, 22 décembre 2010, C-393/09, n° 31). En outre, la Belgique a ratifié le traité international sur la propriété intellectuelle dans lequel il est stipulé que « les programmes d'ordinateur sont protégés en tant qu'œuvres littéraires au sens de l'article 2 de la Convention de Berne » (art. 4.1 du Traité de l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle sur le droit d'auteur (WCT), adopté à Genève le 20 décembre 1996). En d'autres termes, un programme d'ordinateur est une œuvre littéraire ou artistique au sens de l'article XI.165 du CDE (voy. également Anvers, 17 mai 2023, I.R.D.I., 2023, pp. 194-200).

Dès lors que le ministre des Finances et le SDA reconnaissent que toutes les œuvres littéraires ou artistiques visées à l'article XI.165 du CDE rentrent dans le champ d'application de l'article 17, § 1er, 5° du CIR 92 et que les programmes d'ordinateur constituent des œuvres littéraires ou artistiques au sens de la Convention de Berne à laquelle renvoie le droit commun, il convient de constater que les programmes d'ordinateur entrent dans le champ d'application « matériel » de l'article 17, § 1er, 5° du CIR 92. En conséquence, la décision analysée est, à notre estime, contraire à l'article 17, § 1er, 5° du CIR 92 et partant illégale.

Le rôle du Service des Décisions Anticipées est d'offrir au contribuable une sécurité juridique quant au traitement fiscal qui s'appliquera à la situation qu'il a décrit dans sa demande, en faisant une application correcte de la loi. Pour lui permettre de remplir ce rôle, ce service disposait jusqu'il y a peu d'une indépendance à l'égard des autres services de l'administration fiscale et particulièrement de l'administration centrale. Il semble que désormais ce ne soit plus le cas, ce qui est éminemment regrettable. Les deux décisions analysées en sont un parfait exemple. L'interventionnisme du cabinet du ministre du Finances et de l'administration fiscale dans le processus risque de faire perdre à ce service toute sa crédibilité et sa pertinence.

Auteur: Sébastien Watelet, avocat Lawtax

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