INTRODUCTION
La Loi sur les contrats des organismes publics (chapitre C-65.1, ci-après « LCOP ») prévoit l’obligation d’obtenir une autorisation de l’Autorité des marchés publics (ci‑après l’« AMP ») pour les entreprises qui souhaitent conclure un contrat public ou un sous-contrat public comportant une dépense égale ou supérieure au montant déterminé par le gouvernement selon la nature du contrat. Cette autorisation atteste que son titulaire satisfait aux exigences élevées d’intégrité auxquelles le public est en droit de s’attendre pour conclure de tels contrats.
Les organismes publics et municipaux doivent appliquer ce régime d’autorisation de l’AMP prévu par la LCOP. Sanctionnée le 7 décembre 2012, la Loi sur l’intégrité en matière de contrats publics (L.Q., 2012, chapitre 25) a introduit ce régime à la LCOP et, par renvoi, dans diverses lois municipales. À l’époque, l’objectif gouvernemental était d’assujettir, à terme, tous les contrats publics de plus de 100 000 $ à l’autorisation de contracter. Les entreprises concernées étant nombreuses, l’exigence devait s’appliquer graduellement.
De nombreux décrets ont été adoptés par le gouvernement, notamment afin de prévoir des règles particulières pour la Ville de Montréal.(1) Néanmoins, la dernière modification des seuils est effective depuis le 2 novembre 2015, soit l’abaissement de 5 M$ à 1 M$ du seuil applicable aux contrats de services.(2) La responsabilité du régime d’autorisation est, depuis le 25 janvier 2019, sous la responsabilité de l’AMP qui succédait ainsi à l’Autorité des marchés financiers à qui le législateur avait attribué cette fonction lors de l’introduction du régime d’autorisation.
Depuis le 24 octobre 2014, le seuil applicable pour les contrats de construction est de 5 M$. Aucun seuil n’est applicable aux contrats d’approvisionnement, à l’exception des contrats en approvisionnement en enrobés bitumineux de la Ville de Montréal.(3)
Dans ce contexte, cette entrée en vigueur plutôt lente et progressive du régime amène certains organismes à examiner la possibilité d’exiger la détention de l’autorisation de contracter pour des contrats qui ne sont pas visés actuellement par les décrets en vigueur.
LE DROIT DES ORGANISMES DE PRESCRIRE LES CONDITIONS D’UN APPEL D’OFFRES
Dans le respect du cadre normatif, les organismes jouissent d’une certaine liberté dans la détermination de ses besoins. Cette liberté lui permet de déterminer les conditions, restrictions et critères de performance dans ses documents d'appel d'offres, qu’il soit public ou sur invitation [Martel Building Ltd. c. Canada, [2000] 2 R.C.S. 860, par. 89].
Ainsi, en déterminant les exigences du processus, ils bénéficient d’une « certaine marge de discrétion » pour délimiter la concurrence [Entreprise P.S. Roy inc. c. Magog (Ville de), 2013 QCCA 617, par. 38]. L’exigence doit à la fois reposer sur l'intérêt de la collectivité et préserver la saine concurrence. Une exigence restrictive sera permise dans un appel d’offres si elle n’est « ni arbitraire ni frivole ni formulée dans le but de contourner la Loi» [Drummondville (Ville) c. Construction Yvan Boisvert inc., 2004 CanLII 76596 (QC CA), paragr. 2].
Dans l’affaire Roche ltée, groupe-conseil c. Québec (Procureur général), 2014 QCCS 2917, le ministère des Transports du Québec avait prévu, dans les conditions d’admissibilité d’un appel d’offres, que le prestataire de services ou un de ses affiliés ne devait pas être l'adjudicataire du contrat de préparation des plans et devis ou du contrat de travaux de construction portant en tout ou en partie sur le projet visé. Roche contestait la validité de cette condition d’admissibilité, alléguant qu’elle n’était pas autorisée par la réglementation applicable. La Cour supérieure a rejeté cette prétention en s’appuyant sur les principes de la liberté contractuelle :
[44] Cette règle particulière et propre au MTQ relève davantage du pouvoir général de contracter de cet organisme public donneur d’ouvrage, sans nécessité de recourir spécifiquement à la Loi habilitante.
[45] Cette capacité générale de contracter de l’administration gouvernementale peut ainsi inclure le droit de prévoir dans les documents d’appel d'offres les règles d’adjudication des contrats, dont les conditions d’admissibilité exigées d’un prestataire de services.
[46] C’est ainsi que les tribunaux reconnaissent une certaine discrétion aux organes publics afin de répondre à leurs propres besoins et protéger l’intérêt de la collectivité, tout en favorisant la libre concurrence et plus particulièrement de stipuler des conditions et des restrictions et de s’accorder des privilèges. […]
Quant à l’objectif poursuivi par le MTQ de préserver l’intégrité du processus, la Cour ajoute :
[50] Or, de façon globale, les effets de cette condition d’admissibilité (17.11) sont raisonnables et s’inscrivent dans les objectifs visés par la Loi habilitante, c’est-à-dire la confiance du public dans les marchés publics, la transparence dans les processus contractuels et le traitement intègre et équitable des concurrents.
Cette liberté pourrait ainsi servir d’assise à l’ajout de conditions plus restrictives que celles prévues par la loi. Une telle mesure viserait à préserver l’intégrité des entreprises qui font affaire avec l’organisme, ce que le mécanisme d’autorisation satisfait sans doute.
L’analyse du régime de l’autorisation de contracter s’impose cependant.
UN CODE COMPLET
Malgré la liberté dont dispose les organismes publics et municipaux pour définir les conditions d’admissibilité qu’ils jugent appropriées, le cadre strict fixé par la LCOP doit servir à interpréter et appliquer les exigences à ce chapitre.
C’est d’ailleurs l’approche adoptée dans l’affaire MPECO inc. c. Ville de Sainte-Agathe-des-Monts, 2021 QCCS 41, où la Cour supérieure soulignait que les dispositions de la LCOP devaient servir à interpréter les exigences de la Ville sur le régime d’autorisation de contracter :
[46] La nécessité de joindre le Certificat de l’AMF, prévue aux documents d’appel d’offres, doit être interprétée en conformité avec les dispositions de la Loi, puisque cette exigence découle de l’application de celle-ci. […]
[48] Suivant cette disposition, l’exigence de détenir une autorisation de l’AMF est liée à la dépense engendrée par le contrat devant être octroyé et non pas à la valeur du contrat apparaissant au bordereau de soumission.
[49] En interprétant les documents d’appel d’offres, à la lumière de cette disposition législative pertinente, la Ville n’a pas commis de faute.
L’arrêt de la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Entreprises QMD inc. c. Ville de Montréal, 2021 QCCA 1775 est au même effet.
Ainsi, les dispositions de la LCOP prescrivent un code complet définissant le champ d’application du régime, code qui s’oppose à la possibilité pour les organismes de fixer les seuils d’application du régime inférieurs à ceux prévus par les décrets gouvernementaux.
L’article 21.17 de la LCOP prévoit :
21.17. Une entreprise qui souhaite conclure avec un organisme public tout contrat comportant une dépense, incluant la dépense découlant de toute option prévue au contrat, qui est égale ou supérieure au montant déterminé par le gouvernement doit obtenir à cet effet une autorisation de l’Autorité des marchés publics. Ce montant peut varier selon la catégorie de contrat.
Une entreprise qui souhaite conclure tout sous-contrat public comportant une dépense égale ou supérieure à ce montant doit également être autorisée. (notre soulignement et notre emphase)
Si un organisme souhaite validement imposer la détention de l’autorisation de contracter pour un contrat non visé ou dont la dépense est inférieure au seuil en vigueur, il doit préalablement en faire la demande au gouvernement. En effet, l’article 21.17.1 de la LCOP prévoit qu’il incombe également au gouvernement de décider s’il est opportun d’exiger la détention d’une telle autorisation même pour un contrat inférieur au seuil qu’il a lui-même établi :
21.17.1. Malgré le montant de la dépense établi par le gouvernement en application de l’article 21.17, celui-ci peut, aux conditions qu’il fixe, déterminer qu’une autorisation est requise à l’égard des contrats publics ou sous-contrats publics, même s’ils comportent un montant de dépense inférieur.
Le gouvernement peut également, aux conditions qu’il fixe, déterminer qu’une autorisation est requise à l’égard d’une catégorie de contrats publics ou sous-contrats publics autre que celles déterminées en application de l’article 21.17 ou déterminer qu’une autorisation est requise à l’égard de groupes de contrats publics ou sous-contrats publics, qu’ils soient ou non d’une même catégorie.
Le gouvernement peut déterminer des modalités particulières relatives à la demande d’autorisation que doivent présenter les entreprises à l’Autorité à l’égard de ces contrats ou sous-contrats. (notre soulignement et notre emphase)
Le gouvernement fixe alors les conditions d’une telle autorisation et les modalités particulières qui peuvent s’appliquer à la demande d’autorisation. Il s’agit du seul moyen prévu par la loi afin de prescrire cette condition et l’opposer aux soumissionnaires.
Par ailleurs, les dispositions transitoires de la Loi sur l’intégrité en matière de contrats publics permettaient au gouvernement, avant le 31 mars 2016, de moduler les conditions et obligations relatives à l’autorisation préalable à l’obtention d’un contrat ou d’un sous-contrat public :
86. Malgré le montant de la dépense déterminé en application de l’article 85 ou celui fixé par le gouvernement en application de l’article 21.17 du chapitre V.2 de la Loi sur les contrats des organismes publics, le gouvernement peut, avant le 31 mars 2016, déterminer que ce chapitre s’applique à des contrats publics ou sous-contrats publics ou à des contrats ou sous-contrats réputés être publics en vertu de la loi, même s’ils comportent un montant de dépense inférieur. Il peut également déterminer que ce chapitre s’applique à une catégorie de contrats publics ou sous-contrats publics ou réputés l’être, autre que celles déterminées en application de ces articles ou déterminer que ce chapitre s’applique à des groupes de contrats publics ou sous-contrats publics ou réputés l’être, qu’ils soient ou non d’une même catégorie. Le gouvernement peut déterminer des modalités particulières relatives à la demande d’autorisation que doivent présenter les entreprises à l’Autorité des marchés financiers à l’égard de ces contrats ou sous-contrats. (notre soulignement)
Le gouvernement a exercé cette prérogative, laquelle est devenue l’article 21.17.1 de la LCOP depuis le 1er décembre 2017. Certains décrets précités concernant la Ville de Montréal sont ainsi venus devancer l’application graduelle de la LCOP et du régime d’autorisation pour l’étendre à des contrats non assujettis jusqu’alors.
Par exemple, dans le Décret 1049-2013 du 23 octobre 2013, le gouvernement applique l’article 86 de la Loi sur l’intégrité en matière de contrats publics et identifie un groupe de contrats dont l’obligation d’obtenir une autorisation de contracter est applicable, bien que la valeur de ceux-ci soit inférieure au seuil fixé en principe pour cette catégorie de contrat. Dans ce décret, il est énoncé que la Ville de Montréal a elle-même demandé au gouvernement d’assujettir certains de ses contrats à l’autorisation de contracter :
ATTENDU QUE la Ville de Montréal a demandé au gouvernement à huit reprises d’assujettir un total de 225 contrats au nouveau régime d’autorisation préalable à l’obtention d’un contrat public ou d’un sous-contrat public introduit par le chapitre V.2 de la Loi sur les contrats des organismes publics, concernant des appels d’offres qu’elle souhaitait poursuivre ou lancer;
ATTENDU QUE le comité exécutif de la Ville de Montréal a adopté, le 2 octobre 2013, la résolution CE13 1585 pour demander au gouvernement d’appliquer le chapitre V.2 de la Loi sur les contrats des organismes publics à tous ses contrats de travaux de construction en matière de voirie, d’aqueduc et d’égout comportant une dépense égale ou supérieure à 100 000 $, ainsi qu’à tous les sous-contrats rattachés directement ou indirectement à ces contrats et qui comportent une dépense égale ou supérieure à 25 000 $; (notre soulignement)
Enfin, en cours de contrat, seul le gouvernement peut obliger un contractant d’un organisme à obtenir une autorisation de contracter :
21.17.2. Le gouvernement peut obliger une entreprise partie à un contrat public ou à un sous-contrat public qui est en cours d’exécution à obtenir, dans le délai qu’il indique, une autorisation de contracter.
Le gouvernement peut déterminer des modalités particulières relatives à la demande d’autorisation que doit présenter l’entreprise à l’Autorité.
L’entreprise qui n’obtient pas son autorisation dans le délai prévu au premier alinéa est réputée en défaut d’exécuter ce contrat public ou ce sous-contrat public au terme d’un délai de 30 jours suivant l’expiration de ce délai. (notre soulignement et notre emphase)
Le champ d’application du régime de l’autorisation de contracter nous amène à conclure que le législateur a prévu un code complet et autonome, un cadre normatif strict définissant les conditions permettant aux entreprises d’obtenir des contrats publics [voir par analogie Orthofab inc. c. Régie de l'assurance maladie du Québec, 2012 QCCS 1876, par. 53]. A contrario, ce régime détermine les entreprises qui n’y ont pas accès, lorsque l’autorisation de contracter constitue une condition à la conclusion des contrats visés. Le respect rigoureux des conditions d’application de ce régime nous apparaît donc requis.
CONCLUSION
Les organismes publics et municipaux jouissent d’une certaine liberté dans la détermination de mesures de gestion contractuelle destinées à favoriser l’intégrité. La loi leur accorde d’ailleurs de larges pouvoirs à cet égard [voir par exemple Loi sur les cités et villes (chapitre C-19), art. 573.3.1.2].
Selon nous, le régime de l’autorisation de contracter fait exception à ce principe. Le législateur exprime clairement sa volonté de confier au gouvernement le soin de définir le champ d’application du régime et, par conséquent, un organisme municipal ou public ne pourrait viser les contrats inférieurs aux seuils prévus par décret.
- Décret 435-2015 concernant les contrats et sous-contrats de services comportant une dépense égale ou supérieure à 1 000 000 $; Décret 793-2014 concernant les contrats de partenariat public-privé comportant une dépense égale ou supérieure à 5 000 000 $; Décret 796-2014 concernant les contrats et sous-contrats de services et les contrats et sous-contrats de travaux de construction comportant une dépense égale ou supérieure à 5 000 000 $; Décret 890-2014 concernant l'obligation de demander l'autorisation prévue au Chapitre V.2 de la Loi sur les contrats des organismes publics; Décret 795-2014 concernant certains contrats d’approvisionnement et contrats de services de la Ville de Montréal qui comportent une dépense égale ou supérieure à 100 000 $ et divers sous-contrats qui comportent une dépense égale ou supérieure à 25 000 $; Décret 815-2014 concernant l'obligation de demander l'autorisation de co-contracter prévue au chapitre V.2 de la Loi sur les contrats des organismes publics; Décret 1105-2013 concernant les contrats et sous-contrats de services et les contrats et sous-contrats de travaux de construction comportant une dépense égale ou supérieure à 10 000 000 $; Décret 1103-2013 concernant les contrats de partenariat public-privé comportant une dépense égale ou supérieure à 10 000 000 $; Décret 1049-2013 concernant l'application du chapitre V.2 de la Loi sur les contrats des organismes publics aux contrats de travaux de construction, de reconstruction, de démolition, de réparation ou de rénovation en matière de voirie, d'aqueduc ou d'égout de la Ville de Montréal qui comportent une dépense égale ou supérieur à 100 000 $ et aux sous-contrats de même nature qui sont rattachés directement ou indirectement à ces contrats et qui comportent une dépense égale ou supérieure à 25 000 $; Décret 951-2013 concernant l'application du chapitre V.2 de la Loi sur les contrats des organismes publics à certains contrats de la Ville de Montréal; Décret 800-2013 concernant certains contrats de la Ville de Montréal; Décret 544-2013 concernant certains contrats de la Ville de Montréal; Décret 482-2013 concernant certains contrats de la Ville de Montréal; Décret 471-2013 concernant l'obligation de demander l'autorisation de contracter prévue au chapitre V.2 de la Loi sur les contrats des organismes publics; Décret 414-2013 concernant certains contrats de la Ville de Montréal; Décret 206-2013 concernant certains contrats de la Ville de Montréal; Décret 97-2013 concernant certains contrats de partenariat public-privé; Décret 96-2013 concernant certains contrats de la Ville de Montréal; Décret 1226-2012 concernant certains contrats de la Ville de Montréal.
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Décret 435-2015 concernant les contrats et sous-contrats de services comportant une dépense égale ou supérieure à 1 000 000 $.
- Décret 795-2014 concernant certains contrats d’approvisionnement et contrats de services de la Ville de Montréal qui comportent une dépense égale ou supérieure à 100 000 $ et divers sous-contrats qui comportent une dépense égale ou supérieure à 25 000 $.