À l’aune du nouveau test prévu par l’arrêt Municipalité de Mansfield-et-Pontefract[1], la Cour supérieure du Québec a récemment qualifié l’irrégularité affectant une soumission en matière de preuve de propriété ou location d’un équipement requis par les documents d’appel d’offres[2].
a) Les faits
Le 19 juillet 2022, la Ville de Lévis (ci-après « Ville ») publie un appel d’offres visant l’acquisition de services de déneigement et de déglaçage.
La Ville y exige que les soumissionnaires joignent une liste détaillée des équipements avec lesquels ils comptent exécuter les services de déneigement, lesquels doivent respecter les spécifications techniques minimales énumérées à l’Annexe A des documents d’appel d’offres. L’un des items exige une niveleuse munie de six roues motrices et que tout poids additionnel soit à l’avant comme spécification technique minimale.
Selon les documents d’appel d’offres, les soumissionnaires doivent joindre à leur soumission une preuve de propriété ou une preuve de location de l’équipement, et ce, pour la durée du contrat.
Dans sa soumission, le plus bas soumissionnaire Excavation Marcel Vézina inc. (ci-après la « Demanderesse ») a indiqué une niveleuse de marque Volvo ne comportant pas six roues motrices. Après l’ouverture des soumissions, la Demanderesse modifie sa liste d’équipements afin de substituer la niveleuse de marque Volvo pour une niveleuse de marque John Deere, munie de six roues motrices.
La Ville rejette la soumission de la Demanderesse en raison de la non-conformité de la niveleuse de marque Volvo et adjuge le contrat au second soumissionnaire.
Dans ce contexte, la Demanderesse a entrepris un recours en dommages à l’encontre de la Ville pour lui réclamer sa perte de profit.
b) Les arguments des parties
Les parties ont scindé l’instance afin que le Tribunal se prononce d’abord sur la conformité de la soumission de la Demanderesse.
Selon la Demanderesse, sa soumission était la plus basse conforme et que la Ville aurait dû lui adjuger le contrat. Elle avait le droit de modifier sa liste d'équipements avant le début du contrat. Elle affirme avoir corrigé l'irrégularité en louant puis en achetant une niveleuse comportant six roues motrices.
De son côté, la Ville argue que la Demanderesse ne pouvait modifier sa soumission pendant la période de validité de 120 jours et que l'absence de la niveleuse six roues motrices au moment du dépôt rendait la soumission non conforme, justifiant ainsi son rejet.
c) Les motifs du jugement
Après l’examen des documents d’appel d’offres, le Tribunal conclut que l'exigence de posséder une niveleuse six roues motrices est une condition essentielle de l'appel d'offres, bien que l’Annexe A ou le devis de l’appel d’offres ne prévoit pas que le défaut d’être propriétaire ou locataire d’une niveleuse six roues motrices entraînera le rejet de la soumission.
Selon le Tribunal, la possibilité de remplacer les équipements avant le 15 septembre de chaque année par des équipements semblables ne convainc pas qu’il ne s’agit pas d’une condition essentielle.
Le Tribunal retient plutôt que l’objectif de la clause est de tenir la Ville informée des modifications ou des remplacements d’équipement en cours d’exécution.
Ensuite, pour qualifier l’irrégularité, le Tribunal examine les trois considérations énoncées par la Cour d’appel dans l’arrêt Municipalité de Mansfield-et-Pontefract[3] :
- La gravité de l’erreur par rapport à l’exigence des documents d’appel d’offres;
- La possibilité pour le soumissionnaire de corriger son erreur; et
- Le risque de préjudice aux autres soumissionnaires.
Considérant la nature et l’objet du contrat, le Tribunal conclut que l’absence d’un équipement requis par l’appel d’offres ne constitue pas une simple erreur mathématique ou matérielle. Un équipement performant est au cœur d’un contrat de déneigement et de haute importance pour la Ville. Cette première considération milite pour l’irrégularité majeure.
Ensuite, il n’était pas possible pour la Demanderesse de corriger « son erreur ». Ce n’est qu’après l’ouverture des soumissions et le dévoilement public du montant des soumissions reçues que la Demanderesse procède à une modification pour se conformer en procédant d’abord à la location d’une première niveleuse six roues motrices, puis à l’achat d’une seconde sans devoir modifier sa soumission.
Enfin, le coût lié à la location puis à l’achat d’une niveleuse six roues motrices par la Demanderesse n’a pas été tenu en compte dans l’élaboration de sa soumission.
Ces trois considérations militent, selon le Tribunal, en faveur de la conclusion que l’irrégularité de la soumission de la Demanderesse est majeure
Par conséquent, le Tribunal conclut que la Ville n’a commis aucune faute en rejetant la soumission de la Demanderesse.
d) Conclusion
Précédemment à l’arrêt Municipalité de Mansfield-et-Pontefract[4], le défaut pour un soumissionnaire d’être propriétaire des équipements exigés ou de fournir une preuve de location a été reconnu comme une irrégularité majeure[5].
Dans le présent jugement, l’analyse des trois considérations énoncées dans l’arrêt Municipalité de Mansfield-et-Pontefract a permis de conclure que l’irrégularité relative à la liste des équipements de la Demanderesse était une irrégularité majeure.
- Municipalité de Mansfield-et-Pontefract c. Location Martin-Lalonde inc., 2024 QCCA 1045.
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Excavation Marcel Vézina inc. c. Ville de Lévis, 2025 QCCS 1016. Le jugement a été protée en appel (numéro de dossier 200-09-010908-256).
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Municipalité de Mansfield-et-Pontefract c. Location Martin-Lalonde inc., 2024 QCCA 1045.
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Municipalité de Mansfield-et-Pontefract c. Location Martin-Lalonde inc., 2024 QCCA 1045.
- Roxboro Excavation inc. c. Longueuil (Ville de), 2015 QCCA 871, par. 7; Construction Axika inc. c. Ville de Terrebonne, 2021 QCCS 341, par. 31-33.