Fiscalité et comptabilitéjuin 11, 2025

Qualification d’un don de bienfaisance aux fins de la LIR

La Loi de l’impôt sur le revenu[1] (LIR) prévoit qu’un contribuable puisse réclamer un crédit d’impôt lorsqu’il effectue un don, en espèces ou sous certaines autres formes et conditions, à un organisme de bienfaisance reconnu. En principe, le contribuable doit produire un reçu faisant état de la valeur du don effectué ou du montant du crédit réclamé. Mais qu’est-ce qu’un «don» au sens de la LIR ? Quels en sont les principaux critères ?

Ce sont des questions auxquelles la Cour d’appel fédérale (CAF) a été confrontée de nouveau, dans la récente décision Walby c. Canada[2].

Les faits

En réalité, deux dossiers ont été traités en même temps. Ces dossiers concernent deux contribuables canadiens, M. Chris Walby et M. Joel De Las Alas (les appelants) qui, au cours des années 2005 à 2011 inclusivement, ont participé à un programme mis sur pied par un organisme de bienfaisance reconnu Global Learning Gifting Initiative (GLGI)[3]. Pour M. De Las Alas, seule l’année 2006 était concernée.

En vertu du programme GLGI, les dons en espèces recueillis permettent aux donateurs d’obtenir deux reçus: un premier pour la valeur du don en espèces ainsi effectué et un second pour la valeur de licences visant des didacticiels prétendument développés ou utilisés et qui auraient été acquises dans le cadre du programme GLGI auprès d’une entité étrangère, à savoir Phoenix Learning Corporation. Ces licences auraient été données en leur nom à un organisme de bienfaisance enregistré. Généralement, la valeur du second reçu correspond à quatre à cinq fois la valeur du don en espèces reçu par GLGI.

Pour les sept années concernées, la valeur des dons de bienfaisance attribués à M. Walby est présentée au tableau suivant:

  2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011
Dons en espèces 15 000 $ 15 000 $ 15 000 $ 15 000 $ 15 000 $ 10 000 $ 10 000 $
Dons en nature (les licences) 75 010 $ 60 077 $ 75 006 $ 75 043 $ 60 010 $ 50 021 $ 50 000 $
 Total: 90 010 $ 75 077 $ 90 006 $ 90 043 $ 75 010 $ 60 021 $ 60 000 $

De son côté, M. De Las Alas a seulement participé au programme GLGI au cours de l’année 2006. Les montants qu’il a déclarés à titre de dons de bienfaisance pour l’année en question sont les suivants: des dons en espèces au montant de 13 600 $ et des dons en nature (les licences) de 54 447 $ pour un total de 68 047 $.

Pour chacune des années concernées, les contribuables ont demandé des crédits d’impôt en vertu de l’article 118.1 LIR pour le total des valeurs apparaissant ci-dessus.

Le ministre du Revenu national (le ministre) a établi des nouvelles cotisations à l’égard de M. Walby et de M. De Las Alas par lesquelles il a refusé l’ensemble des crédits d’impôt demandés. Ces avis de nouvelle cotisation ont été contestés par les appelants devant la CCI, tant ceux concernant les crédits d’impôt des dons versés en espèces que ceux visant les licences. Dans tous les cas, la CCI a maintenu les avis de nouvelle cotisation et rejeté les arguments des appelants[4]. Ces derniers ont porté en appel devant la CAF la décision de la CCI en ce qui concerne les dons en espèces seulement.

La CCI

Tout d’abord, la Cour rappelle que devant la CCI, les appelants ont admis que, du fait de leur participation au programme GLGI, ils s’attendaient à recevoir en retour plus que leurs contributions en espèces. Les deux appelants s’attendaient à s’enrichir grâce à leur participation.[5] Conséquemment, la CCI a conclu que les appelants n’avaient aucune intention libérale lorsqu’ils ont versé leurs contributions en espèces. Ils les ont versées dans le cadre d’une série d’opérations à laquelle ils ont participé afin de s’enrichir en recevant des licences en vertu du programme GLGI. La CCI a donc considéré que ces contributions en espèces ne constituaient donc pas un «don» à un organisme de bienfaisance aux fins de l’application de l’article 118.1 LIR.

De plus, le juge de la CCI a également conclu que les dispositions des paragraphes 248(30) à (32) LIR ne s’appliquaient que s’il y avait intention libérale. Puisque M. Walby et M. De Las Alas n’avaient aucune intention libérale, ces dispositions ne s’appliquaient pas.

Cependant, bien qu’il ait conclu que les paragraphes 248(30) à (32) LIR ne s’appliquaient pas, le juge de la CCI s’est néanmoins exprimé sur le sens du terme «valeur» figurant au paragraphe 248(30) LIR et a conclu que «[l]e montant de l’avantage lié aux didacticiels correspond à la valeur à laquelle les appelants s’attendaient (et non à leur juste valeur marchande réelle)»[6].

Les appelants ont contesté la décision de la CCI invoquant que le juge de la CCI aurait commis une erreur:

  1. en concluant que le don à l’organisme de bienfaisance enregistré ne constituait pas un don valide; et
  2. en concluant que les règles relatives aux dons fractionnés avaient pour effet de vicier un don valide.

La CAF a donc examiné si le juge de la CCI avait commis quelqu’erreur de fait ou de droit. À cet égard, la CAF rappelle les critères d’analyse, à savoir que:

[16] La norme de contrôle applicable aux questions de fait est celle de l’erreur manifeste et déterminante, et la norme de contrôle applicable aux questions de droit (y compris les questions de droit isolables) est celle de la décision correcte (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33).

Analyse et décision de la CAF

Dans son analyse, la CAF rappelle que le programme GLGI a fait l’objet de plusieurs appels devant la CCI et la CAF elle-même. La CCI s’est penchée sur l’admissibilité aux crédits d’impôt demandés dans le cadre du programme GLGI dans la décision Mariano c. La Reine.[7] Dans cette décision, la CCI a refusé les crédits d’impôt demandés pour les dons en espèces ainsi que pour les prétendus dons de licences. Dans une autre décision plus récente Aslam c. Canada,[8] la Cour a rejeté l’appel d’un contribuable qui s’était également vu refuser des crédits d’impôt pour dons de bienfaisance découlant de sa participation au programme GLGI.

Les appelants soutiennent toutefois que leur situation est différente, voire unique. Les appelants allèguent qu’ils ne recherchent que les crédits d’impôt relatifs aux contributions en espèces faites à un organisme de bienfaisance reconnu par les autorités fiscales et non ceux reliés aux licences.

Les appelants reconnaissent les faits et, comme ils l’ont admis devant la CCI, ils reconnaissent également qu’ils s’attendaient à recevoir les licences dont ils pourraient faire don à un organisme de bienfaisance enregistré. Leurs demandes de crédits d’impôt pour dons de bienfaisance relativement à leurs contributions en espèces tenait également pour acquis que la juste valeur marchande des licences était de quatre à cinq fois supérieure à leurs contributions en espèces. Cependant, tout comme la CCI, la CAF note que les opérations relatives aux licences étaient un trompe-l’œil, et aucun bien d’une quelconque valeur n’a été transféré aux appelants[9].

La Cour doit toutefois examiner certaines questions.

A) Les opérations étaient-elles interdépendantes ?

Les appelants plaident que les dons en espèces donnent droit à des crédits d’impôt pour la valeur des reçus obtenus de manière indépendante aux crédits d’impôt reliés à la valeur des licences qu’ils s’attendaient à recevoir à la suite de ces mêmes dons en espèces.

Ainsi, les appelants soutiennent que, considérant que GLGI a émis des reçus différents aux fins des crédits d’impôt demandés (dons en espèces vs licences), ces opérations sont indépendantes. Conséquemment, ils soutiennent avoir droit aux crédits d’impôt reliés aux dons en espèces même si les crédits d’impôt reliés à la valeur des licences n’ont pas été accordés.

En analyse, la Cour note premièrement qu’un crédit d’impôt pour don de bienfaisance nécessite l’émission d’un reçu. Sans reçu, aucun crédit d’impôt ne peut être accordé.

Par ailleurs, un reçu, en soi, ne constitue pas une preuve qu’un don puisse être admissible à un crédit d’impôt, comme le mentionne le paragraphe 118.1(2) LIR:

Art. 118.1(2) Attestation du don — Pour que le montant admissible d’un don soit inclus dans le total des dons de bienfaisance, le total des dons de biens culturels ou le total des dons de biens écosensibles, le versement du don doit être attesté par la présentation au ministre des documents suivants:

a) un reçu contenant les renseignements prescrits; […]

Pour déterminer si les contributions en espèces de M. Walby et de M. De Las Alas constituent un don, il ne faut pas uniquement se limiter aux opérations directement liées à ces contributions. Dans l’arrêt Maréchaux c. Canada,[10] la Cour a confirmé la conclusion suivante tirée par la CCI dans cette affaire :

[12] Dans ce cas‑ci, il n’y a qu’un seul arrangement interdépendant, et aucune partie de cet arrangement ne peut être considérée comme un don que l’appelant a effectué sans s’attendre à quoi que ce soit en échange.

C’est le paragraphe 118.1(3) LIR qui prévoit le droit à un crédit d’impôt. Cette disposition mentionne que le crédit d’impôt est fonction du total des dons d’un particulier pour une année. L’expression «total des dons» est définie au paragraphe 118.1(1) LIR et comprend: «le total des dons de bienfaisance» d’un particulier. Aux yeux de la Cour, cette expression représente «le total des sommes représentant chacune le montant admissible […] d’un don […] fait à un» organisme de bienfaisance enregistré.

La CAF note que l’argument des appelants selon lequel il suffit de confirmer le versement du montant indiqué sur un reçu donné pour déterminer si un contribuable a fait un don est sans fondement. Afin de déterminer si un don a été fait, il faut tenir compte de toutes les circonstances pertinentes et, en particulier, de toutes les composantes d’une seule opération interdépendante.

Plus encore, les appelants ont eux-mêmes considéré que les opérations étaient interdépendantes. Comme l’a fait remarquer le juge de la CCI, les appelants «s’attendaient à s’enrichir grâce à leur participation» au programme GLGI. Clairement, ils ne pouvaient s’enrichir que si les opérations étaient interdépendantes.

En conclusion, la CAF considère que le juge de la CCI n’a commis aucune erreur en considérant le programme GLGI comme une opération interdépendante.

B) Sens du mot «don»

Les appelants ont fait valoir que les contributions en espèces constituaient des dons valides puisqu’ils n’ont pas effectivement obtenu davantage de valeur par suite de ces contributions. Cet argument soulève la question de savoir quel sens revêt le terme «don».

La Cour note que le mot «don» n’est pas défini dans la Loi. Par ailleurs, quelques décisions ont déjà traité de cette question.

Dans l’affaire Morrison,[11] le contribuable avait participé à un programme de dons appelé le Canadian Humanitarian Trust (le programme CHT) en vertu duquel le contribuable voyait le montant de son don converti en unités «Essential Medicine Units» (unités de médicaments essentiels) de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) pour le bénéfice du candidat retenu (le client). Le client choisissait aussi de faire don des unités de médicaments essentiels de l’OMS à une autre fondation de bienfaisance enregistrée et se voyait octroyé un reçu pour pouvoir réclamer un crédit d’impôt pour la valeur de ces unités.

Dans sa déclaration de revenus pour l’année d’imposition 2004, M. Morrison avait déclaré deux dons de bienfaisance: un don en espèces de 15 350 $ et un don de 41 108,82 $ calculé en fonction de la valeur présumée de certains produits pharmaceutiques. Le juge de la CCI a accueilli la demande de crédit d’impôt pour don de bienfaisance de M. Morrison relativement au paiement en espèces qu’il avait versé à l’organisme de bienfaisance enregistré au motif que ce paiement en espèces constituait un don et que M. Morrison n’avait obtenu aucun avantage (autre que fiscal) en raison ou découlant de ce don en espèces. Le jugement Morrison contient notamment le passage suivant qu’il vaut la peine de citer:

[159] Dans l’arrêt La Reine c. Friedberg, 1991 CanLII 14017 (FCA), 92 D.T.C. 6031 (C.A.F.), la Cour d’appel fédérale a reconnu que, pour vicier un don, un avantage ou une contrepartie doit effectivement être versé au donateur:

[…] un don est le transfert volontaire du bien d’un donateur à un donataire, en échange duquel le donateur ne reçoit pas d’avantage ni de contrepartie (à la page 6032). [Caractères gras dans l’original.]

Ce passage est important. De plus, dans la décision Morrison, le juge de la CCI a conclu qu’il n’y avait pas de lien entre le paiement en espèces et le droit de recevoir des produits pharmaceutiques.

À la suite de l’arrêt Friedberg, la Cour suprême du Canada a confirmé que la principale caractéristique d’un don est l’absence de toute attente de rémunération. Entre autres, l’honorable juge McLachlin, s’exprimant au nom des juges majoritaires de la CSC dans l’arrêt Peter c. Beblow,[12] a déclaré ce qui suit:

La principale caractéristique d’un don en droit, c’est-à-dire le fait de donner volontairement à autrui sans attente de rémunération, n’est tout simplement pas présente.

De même, la CAF a réitéré ce principe à l’effet que le donateur ne doit pas s’attendre à recevoir un avantage dans l’arrêt Woolner c. Canada (P.G.)[13]:

[7] Notre Cour a posé qu’un don, au sens où l’entend la Common Law, est un transfert volontaire d’un ou de biens d’une personne à une autre, à titre gratuit et non en exécution d’une obligation contractuelle, sans attente ou espoir d’un avantage matériel en contrepartie. En l’espèce, il est manifeste que les contributions étaient volontaires. Reste à savoir si elles ont été faites dans l’attente ou l’espoir d’un avantage matériel.

L’arrêt Maréchaux de la CCI, a aussi été confirmé par la CAF:

Dans ce cas‑ci, il n’y a qu’un seul arrangement interdépendant, et aucune partie de cet arrangement ne peut être considérée comme un don que l’appelant a effectué sans s’attendre à quoi que ce soit en échange.[14]

D’autres décisions ont confirmé ce même principe, notamment dans la décision Cassan c. La Reine,[15] qu’un contribuable doit avoir l’intention libérale requise de faire un don.

Ainsi, si un donateur transfère un bien en s’attendant à recevoir un avantage, le transfert ne sera pas considéré comme un don. Si un contribuable s’attend à recevoir un avantage, il n’aura pas l’intention libérale requise de faire un don.

Par ailleurs, dans son analyse dans l’arrêt Entreprises Ludco Ltée c. Canada,[16] la CSC a déclaré ce qui suit:

[54] Dans l’interprétation de la Loi, tout comme dans d’autres domaines du droit, les tribunaux appelés à dégager l’objet d’une mesure ou l’intention de son auteur doivent déterminer objectivement la nature de la fin poursuivie en tenant compte à la fois des éléments subjectifs et objectifs pertinents […].

Plus concrètement, en ce qui concerne les appelants, la Cour note au paragraphe [50] du jugement qu’en règle générale, la Cour doit tenir compte des éléments subjectifs et objectifs pertinents. Dans les présents appels, les appelants ont admis qu’ils avaient l’intention de s’enrichir. Par conséquent, les arguments des appelants ne peuvent être retenus:

[14] […] Ils ont également admis que, du fait de leur participation au programme GLGI, ils s’attendaient à recevoir en retour plus que leurs contributions en espèces. Les deux appelants s’attendaient à s’enrichir grâce à leur participation.

C) Quelle est la valeur à considérer ?

Bien que dans les circonstances, la notion de valeur n’étant d’ailleurs qu’effleurée par les appelants, la CAF s’est attardée à en faire une analyse. Les appelants soumettent que cette «valeur» utilisée aux paragraphes 248(30) à (32) LIR doit être réelle. Sur cette notion, ce sont effectivement ces paragraphes de la LIR qui nous concernent plus particulièrement. Bien qu’il ne soit pas défini, par contre, le terme «valeur» est utilisé ailleurs dans la LIR, entre autres au paragraphe 15(1) LIR pour déterminer la valeur d’un avantage imposable à un actionnaire.

En principe, la Cour estime qu’il faut distinguer le terme «valeur» de l’expression «juste valeur marchande», bien qu’ils puissent s’équivaloir, selon les circonstances.

La Cour mentionne que les paragraphes 248(30) à (32) ont été ajoutés à la LIR afin de tenir compte des cas où un donateur pourrait, en échange d’un montant en espèces ou d’un bien transféré à un organisme de bienfaisance enregistré, recevoir un avantage de valeur. Le paragraphe 248(30) LIR contient une règle applicable lorsqu’un contribuable effectue un don et reçoit un certain avantage. Le paragraphe 248(31) LIR renvoie à la «juste valeur marchande». Enfin, le montant de l’avantage est défini ainsi au paragraphe 248(32) LIR.

Le juge de la CCI, confirmé par la CAF, a conclu que le paragraphe 248(30) LIR n’élimine pas l’exigence selon laquelle le donateur doit avoir une intention libérale. Les appelants sont également en accord avec cette conclusion.

Toutefois, après avoir conclu que les paragraphes 248(30) à (32) LIR ne s’appliquaient pas, le juge de la CCI a formulé une remarque incidente au paragraphe [74] de ses motifs au sujet du «montant de l’avantage»:

[74] Le montant de l’avantage lié aux didacticiels correspond à la valeur à laquelle les appelants s’attendaient (et non à leur juste valeur marchande réelle).

Pour la Couronne, cette valeur correspondrait au plus élevé des montants suivants:

  • la juste valeur marchande; ou
  • la «valeur perçue de l’avantage, du point de vue du donateur».

Toutefois, la Couronne n’a pu appuyer ses prétentions d’aucune disposition dans la LIR à cet égard. La CAF a alors dû procéder de sa propre analyse en s’appuyant sur le sens commun ou ordinaire du terme «valeur», notamment selon les définitions trouvées dans les dictionnaires Black’s Law Dictionary (B. Garner éd., St-Paul: Thomson Reuters, 2024) et New Shorter Oxford English Dictionary on Historical Principles (1993) [New York: Oxford University Press Inc.], ce dernier contenant la définition suivante:

«La valeur matérielle ou pécuniaire d’une chose; la quantité d’argent, de biens, etc., contre laquelle une chose peut être échangée.»

La Cour estime que ces définitions sont pertinentes puisqu’elles définissent la «valeur» du point de vue pécuniaire. Ces définitions permettent de déterminer objectivement la valeur d’un bien ou d’un service.

D’autre part, les tribunaux se sont maintes fois exprimés sur le sens de l’expression «juste valeur marchande», également non définie dans la LIR.

Notamment, la CAF a retenu le passage suivant tiré de l’arrêt Canada (P.G.) c. Nash,[17] dans lequel la Cour a confirmé la définition de l’expression «juste valeur marchande» telle qu’elle a été énoncée dans une décision antérieure de la Cour fédérale:

[8] La définition généralement admise de la juste valeur marchande se trouve dans la décision du juge Cattanach, dans l’affaire Succession Henderson et Bank of New York c. M.R.N., 1973 CanLII 2406 (FC), 73 D.T.C. 5471, à la page 5476:

La Loi ne donne aucune définition de l’expression « juste valeur marchande »; celle-ci a été définie de diverses façons, généralement selon ce qu’avait à l’esprit la personne cherchant à formuler la définition. Je ne crois pas nécessaire d’essayer de donner une définition précise de cette expression telle qu’employée dans la Loi; il suffit, me semble-t-il, de dire qu’il y a lieu de donner à ces mots leur sens ordinaire. Dans son sens courant, me semble-t-il, cette expression désigne le prix le plus élevé que le propriétaire d’un bien peut raisonnablement s’attendre à en tirer s’il le vend de façon normale et dans le cours ordinaire des affaires, le marché n’étant pas soumis à des pressions inhabituelles et étant constitué d’acheteurs disposés à acheter et des vendeurs disposés à vendre, qui n’ont entre eux aucun lien de dépendance et qui ne sont en aucune façon obligés d’acheter ou de vendre. J’ajouterais que cet exposé succinct de mon point de vue sur le sens à donner à l’expression « juste valeur marchande » comprend ce que j’estime être l’élément essentiel, soit un marché libre de toutes restrictions, où le prix est établi par le jeu de la loi de l’offre et de la demande entre des acheteurs et des vendeurs avertis et désireux d’acheter et de vendre.

Bien que le juge Cattanach ait pris soin de signaler qu’il n’essayait pas de donner une définition «précise», le fait que la formule qu’il propose a été retenue telle quelle dans la jurisprudence depuis une trentaine d’années permet de penser que, même si elle n’est pas nécessairement exhaustive, sa définition est maintenant considérée comme la définition applicable.

Après une analyse exhaustive de la jurisprudence,[18] et considérant qu’un terme ou une expression utilisée dans la LIR devrait recevoir la même interprétation, la CAF en vient à la conclusion que le terme «valeur» utilisé au paragraphe 248(30) LIR devrait recevoir le même sens qu’au paragraphe 15(1) LIR:

[75] Par conséquent, je ne suis pas d’avis que l’on devrait attribuer au terme «valeur» figurant au paragraphe 248(32) de la Loi une définition différente de celle qu’aurait ce terme au paragraphe 15(1) de la Loi, où il est employé sans être entouré des mots «juste» et «marchande». Le paragraphe 248(32) de la Loi vise à déterminer le montant de l’avantage en ce qui concerne un don ou une contribution monétaire. Le montant de l’avantage correspondrait à la valeur pécuniaire ou au prix de l’avantage, qui serait un montant objectif et non un montant subjectif fondé sur la «valeur prévue».

Les appels de MM. Walby et De Las Alas ont donc été rejetés.

Commentaires

Au final, il semble bien établi que pour demander et obtenir un crédit d’impôt pour don de bienfaisance, il ne suffit pas de simplement produire un reçu délivré par un organisme de bienfaisance reconnu. L’intention libérale requise afin d’effectuer un «don» au sens de la LIR implique que le donateur ne doit espérer aucun avantage ni aucune contrepartie en retour de ce don. Enfin, la valeur d’un tel don ne correspond pas nécessairement à sa «juste valeur marchande» mais plutôt à la valeur pécuniaire ou au prix de l’avantage, qui serait un montant objectif et non un montant subjectif fondé sur la «valeur prévue».

Annexe 1 — Extraits de la LIR

Le paragraphe 248(30) est ainsi libellé:

Art. 248(30) Intention de faire un don — Le fait qu’un transfert de bien donne lieu à un montant d’un avantage ne suffit en soi à rendre le transfert inadmissible à titre de don à un donataire reconnu si, selon le cas:

a) le montant de l’avantage n’excède pas 80 % de la juste valeur marchande du bien transféré;

b) le cédant établit à la satisfaction du ministre que le transfert a été effectué dans l’intention de faire un don.

Le paragraphe 248(31) de la Loi renvoie à la «juste valeur marchande»:

Art. 248(31) Montant admissible d'un don ou d'une contribution monétaire — Le montant admissible d’un don ou d’une contribution monétaire correspond à l’excédent de la juste valeur marchande du bien qui fait l’objet du don ou de la contribution sur le montant de l’avantage, le cas échéant, au titre du don ou de la contribution. [Nos soulignés]

Le montant de l’avantage est défini ainsi au paragraphe 248(32) LIR:

Art. 248(32) Montant de l'avantage — Le montant de l’avantage au titre d’un don ou d’une contribution monétaire fait par un contribuable correspond au total des sommes suivantes:

a) le total des sommes, sauf celle visée à l’alinéa b), représentant chacune la valeur, au moment du don ou de la contribution, de tout bien ou service, de toute compensation ou utilisation ou de tout autre bénéfice que le contribuable, ou une personne ou une société de personnes qui a un lien de dépendance avec lui, a reçu ou obtenu, ou a le droit, immédiat ou futur et absolu ou conditionnel, de recevoir ou d’obtenir, ou dont le contribuable ou une telle personne ou société de personnes a joui ou a le droit, immédiat ou futur et absolu ou conditionnel, de jouir, et qui, selon le cas:

(i) est accordé en contrepartie du don ou de la contribution,

(ii) est accordé en reconnaissance du don ou de la contribution,

(iii) se rapporte de toute autre façon au don ou à la contribution;

b) la dette à recours limité, déterminée selon le paragraphe 143.2(6.1), relative au don ou à la contribution au moment où il est fait. [Nos soulignés]


  1. S.R.C. (1985), ch. 1 (5ème suppl.) telle qu’amendée.
  2. Wally c. Canada, 2025 CAF 94 (CanLII) (12 mai 2025).

  3. Le programme GLGI a été créé le 18 octobre 2004 et enregistré à titre d’abri fiscal ayant pour objectif déclaré d’amasser des fonds au nom de deux organismes canadiens de bienfaisance alors enregistrés: Canadian Charity Association (CCA), qui est devenu plus tard International Charity Association Network (ICAN), et Millennium Charitable Foundation (Millennium).

    C’est le promoteur, entre autres, qui faisait la promotion du programme GLGI. Durant la période visée, la promotion du programme GLGI a été faite auprès des contribuables canadiens dans la perspective que les participants reçoivent des crédits d’impôt nettement supérieurs aux dons réellement versés, selon les reçus pour dons obtenus d’organismes de bienfaisance précis, et obtiennent ainsi un rendement positif variant de 56 % à 112 %, selon les taux d’imposition applicables dans la province de résidence des participants et l’année de participation. Le programme GLGI a fonctionné de 2004 à 2014 (extrait de: Exposé conjoint partiel des faits).

  4. Walby c. Le Roi, 2023 CCI 164.

  5. Walby c. Le Roi, 2023 CCI 164, au par. [14].

  6. Walby c. Le Roi, 2023 CCI 164, au par. [74].

  7. Mariano c. La Reine, 2015 CCI 244.

  8. Aslam c. Canada, 2004 CAF 193 (CanLII), 2024 CAF 193.

  9. Wally c. Canada, 2025 CAF 94 (CanLII) (12 mai 2025), au par. [19].

  10. Maréchaux c. Canada, 2010 CAF 287, au par. [12]

  11. Morrison c. La Reine, 2018 CCI 220.

  12. Peter c. Beblow, 1993 CanLII 126 (CSC), [1993] 1 R.C.S. 980.

  13. Woolner c. Canada (Procureur général), [1999] A.C.F. no 1615.

  14. Maréchaux c. Canada, 2010 CAF 287, au par. [12].

  15. Cassan c. La Reine, 2017 CCI 174.

  16. Entreprises Ludco Ltée c. Canada, 2001 CSC 62.

  17. Canada (Procureur général) c. Nash, 2005 CAF 386.

  18. Canada (Procureur général) c. Nash, 2005 CAF 386; Succession Henderson et Bank of New York c. M.R.N., 1973 CanLII 2406 (FC), 73 D.T.C. 5471; Downey c. Canada, 2006 CAF 353; Schwartz c. Canada, 1996 CanLII 217 (CSC), [1996] 1 R.C.S. 254; R. c. Zeolkowski, 1989 CanLII 72 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 1378, et Thomson c. Canada (Sous‑ministre de l’Agriculture), 1992 CanLII 121 (CSC), [1992] 1 R.C.S. 385; Francis c. Baker, 1999 CanLII 659 (CSC), [1999] 3 R.C.S. 250.

Me Jacques Ostiguy, avocat, F.Adm.A., Pl.Fin., CMC, de l’étude Avocats-Conseils Ostiguy Laurin, s.n. L’auteur est également chargé de cours à l’UQAM, à l’École de gestion de l’Université de Sherbrooke et professeur au Collège de Valleyfield.

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