Dans l’affaire Commission scolaire crie[1], le tribunal d’arbitrage était saisi d’un grief contestant la décision de l’employeur de refuser la demande d’accommodement de la plaignante et de la maintenir en absence pour invalidité. Le tribunal s’est penché sur la démarche d’accommodement entreprise par l’employeur, le syndicat et la plaignante et a constaté que cette dernière a manqué à son devoir de coopérer et de participer activement au processus.
I. Faits
L’employeur est une commission scolaire desservant un territoire large, dont les taux de population et de scolarisation sont faibles. La plaignante y occupe le poste de conseillère en orientation.
En plus d’offrir des services pédagogiques, la commission constitue un point de repère pour les étudiants, dont près de 200 d’entre eux quittent chaque année leur communauté pour poursuivre des études supérieures. Afin de leur fournir un soutien continu, l’employeur dispose d’une antenne au centre-ville de Montréal qui permet de les accueillir physiquement. Ce sont dans ces locaux que la plaignante effectue habituellement sa prestation de travail.
Dans le cadre de ses fonctions, la plaignante conseille les étudiants sur leur parcours scolaire et professionnel, réalise diverses activités favorisant leur rétention et leur réussite et leur offre du soutien dans leur recherche de logement ou de programmes d’admission, par exemple. En outre, elle prend en charge les étudiants en détresse qui se présentent aux locaux de Montréal, étant la seule employée habilitée à gérer ce type de situations. De plus, bien que la plaignante puisse être amenée à se déplacer, notamment dans le cadre d’activités de recrutement, elle réalise la majorité de ses tâches par le biais de modes de communication dématérialisés, dont les courriels, les conversations téléphoniques ou les appels par visioconférence. Enfin, la plaignante est appréciée, compétente et connue des membres de la commission et des étudiants. Elle joue d’ailleurs un rôle de « pivot » auprès de ces derniers.
Au début du printemps 2022, l’état de santé de la plaignante se détériore. Constatant un essoufflement marqué, même lors d’efforts minimes, son médecin traitant recommande d’abord qu’elle télétravaille pendant huit semaines. À la fin du mois de mars 2022, elle est totalement invalide, mais parvient à effectuer sa prestation de travail de manière sporadique et exclusivement depuis son domicile.
C’est au mois de janvier 2023 que la plaignante effectue un retour au travail progressif, échelonné sur cinq semaines et en télétravail.
Le 22 février 2023, son état de santé ne présentant pas d’amélioration concrète, la plaignante communique à l’employeur une demande d’accommodement pour raisons médicales. Elle souhaite exercer ses fonctions exclusivement en télétravail. L’employeur refuse cette demande le 2 mars, puis, à nouveau, le 16 mars, après que la plaignante eût fait appel de la décision initiale. Selon l’employeur, les tâches de la plaignante doivent être accomplies en personne.
L’employeur, le syndicat et la plaignante entament des discussions afin de parvenir à des mesures d’accommodement adaptées aux limitations fonctionnelles de la plaignante. Parmi les options proposées, le transport adapté semble être l’alternative la plus appropriée.
Au cours de l’été, la plaignante transmet une demande de transport adapté, qui est acceptée. Toutefois, elle estime que ce service augmenterait son temps de trajet vers les lieux de travail de 80 minutes par jour et décide donc, unilatéralement, de ne pas se prévaloir de cette option. Elle n’informe ni le syndicat ni l’employeur que sa demande a été acceptée. La démarche d’accommodement de la plaignante n’aboutit pas.
Un grief est déposé le 4 mai 2023. La partie syndicale y conteste le refus de l’employeur d’accepter la demande d’accommodement pour raisons médicales de la plaignante. Plus précisément, le syndicat soutient que la plaignante peut exercer ses fonctions complètement à distance, la nature de ses tâches étant essentiellement administrative et s’effectuant, pour la majorité, via courriels, conversations téléphoniques et visioconférence. Les situations requérant une présence effective de la plaignante sur les lieux du travail sont rares et peuvent être déléguées à d’autres salariés sans que cela n’occasionne des inconvénients. Selon le syndicat, la position de l’employeur va à l’encontre de ses obligations en vertu de la convention collective applicable et de la Charte des droits et libertés de la personne[2].
Quant à l’employeur, il reconnaît, dans un premier temps, que l’exigence imposée à la plaignante de travailler en personne constitue une discrimination prima facie, fondée sur son handicap. Cependant, il précise qu’il s’agit d’une exigence professionnelle justifiée, puisqu’elle permet la réalisation de sa mission en tant que commission scolaire. En effet, l’employeur rappelle que plusieurs tâches dévolues à la plaignante ne peuvent être effectuées qu’en présence. Cela est le cas des activités de recrutement, qui exigent des déplacements sur tout le territoire couvert par la commission, ou encore de la prise en charge des étudiants, notamment lors de situations de détresse. Les étudiants doivent pouvoir s’attendre à être reçus en personne par la plaignante, s’ils en ressentent le besoin. La demande de la plaignante d’exercer ses fonctions en télétravail à temps plein est une contrainte excessive et ne peut donc pas être acceptée par l’employeur.
II. Décision
Tout d’abord, l’arbitre rappelle que, dans le cas d’une discrimination prima facie, il incombe à l’employeur de démontrer que l’exigence professionnelle qu’il formule est justifiée. Pour ce faire, il doit remplir les deux critères établis par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt B.C.G.S.E.U.[3]
Dans un premier temps, l’employeur doit démontrer qu’il a adopté l’exigence ou la norme contestée dans un but rationnellement lié à l’exécution du travail. Ensuite, il doit prouver que cette exigence est raisonnablement nécessaire à l’exécution du travail. À cette seconde étape, il doit être établi par l’employeur qu’il serait impossible d’accommoder la plaignante sans que cela ne lui cause une contrainte excessive.
L’arbitre conclut que ces deux critères sont effectivement remplis par l’employeur.
D’une part, l’exigence formulée par l’employeur a pour objectif d’assurer la mission d’accueil, de soutien et d’accompagnement de la commission auprès de sa clientèle, dont les besoins en la matière sont importants, ainsi que de favoriser l’enseignement supérieur. La plaignante, en tant qu’unique conseillère en orientation présente à Montréal, joue un rôle clé dans la réalisation de cette mission. La norme imposée, soit celle de travailler en personne aux locaux de Montréal, répond donc à un objectif véritable et rationnellement lié au travail fourni par la plaignante.
D’autre part, l’employeur a également démontré qu’il n’était pas possible d’accorder le télétravail à temps complet sans subir une contrainte excessive. Dans ce cadre, le tribunal analyse en détail le degré de coopération de chacune des parties prenantes à la démarche d’accommodement de la plaignante. Ce faisant, il rappelle que le processus doit être sérieux et exhaustif et que toutes les parties concernées doivent s’y impliquer.
En l’espèce, la preuve révèle que l’employeur, le syndicat et la plaignante ont échangé sur les moyens de transport qui pourraient être utilisés par cette dernière afin de se rendre sur les lieux de travail. Parmi les options présentées, le transport adapté constitue une solution adéquate.
L’arbitre rappelle alors que la demande de transport adapté formulée par la plaignante a été acceptée, mais qu’elle a omis d’en informer l’employeur et le syndicat, jugeant que cette option augmenterait démesurément son temps de trajet quotidien. Elle s’est alors privée d’une mesure atténuante qui aurait dû faire l’objet d’une étude par les parties. Son absence de coopération a empêché l’employeur et le syndicat de lui offrir un moyen de fournir sa prestation de travail en respectant ses limitations fonctionnelles et a précipité l’échec du processus d’accommodement. En s’appuyant sur la jurisprudence applicable, l’arbitre indique que le manque de coopération de la plaignante suffit pour rejeter sa plainte.
Enfin, le tribunal précise que le télétravail à temps complet constitue une contrainte excessive pour l’employeur. Si la plaignante a été autorisée à télétravailler à quelques occasions, ces accommodements n’étaient que temporaires, l’espoir d’un rétablissement étant alors vraisemblable. Puisque l’état de santé de la plaignante ne présente pas de signes d’amélioration, le tribunal conclut qu’autoriser le télétravail de manière permanente entraverait la réalisation de la mission de l’employeur et nuirait aux étudiants.
III. Commentaires
Cette décision rappelle que le processus d’accommodement n’est pas à sens unique. Si l’employeur propose des conditions de travail raisonnables, qui respectent les limitations fonctionnelles de l’employé, ce dernier est tenu de participer à leur mise en œuvre. En pareil cas, l’employé ne peut donc pas imposer la solution qu’il estime parfaite. Son défaut de coopérer aux démarches d’accommodement peut suffire à rejeter sa plainte, comme cela est le cas en l’espèce.
- Syndicat des professionnelles et professionnels en milieu scolaire du Nord-Ouest (SPPMSNO) et Commission scolaire crie (Louise Ostiguy), 2025 QCTA 8 (M. Éric-Jan Zubrzycki).
- RLRQ, c. C-12.
- Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. B.C.G.S.E.U., 1999 CanLII 652 (CSC).