Résumé : L’arbitre Johanne Cavé a accueilli en partie une demande d’ordonnance de sauvegarde déposée par le syndicat afin d’interdire à la mairesse de la Municipalité de Sainte-Lucie-des-Laurentides de communiquer directement, verbalement ou par écrit, avec deux des quatre salariés visés par la demande pour la durée de la procédure d’arbitrage d’un grief alléguant du harcèlement psychologique de la part de la mairesse.
Dans une affaire impliquant la Municipalité de Sainte-Lucie-des-Laurentides(1), l’arbitre Johanne Cavé était saisie d’une demande d’ordonnance de sauvegarde présentée par le syndicat afin qu’il soit ordonné à la mairesse de la municipalité de ne plus communiquer directement avec quatre salariés durant la procédure d’arbitrage portant sur un grief de harcèlement psychologique, et ce, afin de préserver leur santé, leur sécurité et leur dignité. L’arbitre a accueilli en partie la demande à l’égard de deux des quatre salariés visés.
I. CONTEXTE FACTUEL
Le 31 juillet 2020, le syndicat dépose un grief au nom de quatre salariés occupant respectivement les postes d’adjointe administrative, préposée à l’accueil, inspecteur en bâtiment et commis comptable, qui relèvent tous du directeur général de la municipalité. Le grief allègue que l’employeur n’offre pas un milieu de travail exempt de harcèlement psychologique en raison des agissements de la mairesse de la municipalité.
Le 15 octobre 2020, le syndicat dépose une demande d’ordonnance de sauvegarde par laquelle il demande au tribunal d’ordonner à la mairesse de ne plus communiquer directement avec les salariés afin de préserver leur santé, leur sécurité et leur dignité. Le syndicat précise lors de l’audience que depuis le dépôt du grief, la mairesse continue de se comporter de façon vexatoire et intimidante envers les salariés. Dans ce contexte, la mairesse a été identifiée comme partie intervenante au litige.
Lors de l’audience, la municipalité est représentée par le directeur général, qui indique d’emblée que la municipalité consent à la demande d’ordonnance de sauvegarde. Dans ces circonstances, le syndicat et l’employeur prétendaient que l’arbitre devait se limiter à prendre acte de ce consentement et émettre l’ordonnance de sauvegarde visant la mairesse.
Après l’audience, le syndicat demande une réouverture d’enquête afin de déposer en preuve deux mises en demeure transmises par la mairesse à deux des salariés visés par la demande d’ordonnance de sauvegarde. Ces mises en demeure les somment de se « rétracter immédiatement et de cesser de calomnier [la mairesse] avec de fausses allégations de harcèlement psychologique ». Le tribunal accueille la demande de réouverture d’enquête, considérant la pertinence de la preuve.
II. ANALYSE
Les questions auxquelles l’arbitre devait répondre étaient les suivantes :
- Le tribunal doit-il se limiter à prendre acte de l’accord entre l’employeur et le syndicat concernant une ordonnance de sauvegarde visant la mairesse ?
- L’arbitre a-t-il compétence pour rendre une ordonnance visant la mairesse ?
- Les critères en matière d’ordonnance de sauvegarde sont-ils satisfaits ?
Il convient de résumer la décision de l’arbitre à l’égard de chacune de ces questions.
1. Le tribunal doit-il se limiter à prendre acte de l’accord entre l’employeur et le syndicat concernant une ordonnance de sauvegarde visant la mairesse ?
L’arbitre a répondu par la négative à cette question au motif que l’article 100.12 g) du Code du travail(2) « donne à l’arbitre, et non aux parties, le pouvoir d’émettre une ordonnance de sauvegarde ». Elle a ajouté que les parties sont libres de négocier entre elles, mais que les ordonnances de sauvegarde relèvent de la compétence de l’arbitre et que le fait que les parties s’entendent sur l’opportunité d’émettre une telle ordonnance ne limite pas ses pouvoirs à cet égard.
2. L’arbitre a-t-il compétence pour rendre une ordonnance visant la mairesse ?
L’arbitre a estimé qu’elle avait effectivement compétence pour rendre une ordonnance visant la mairesse. Elle a estimé que le dossier comportait des circonstances exceptionnelles au sens entendu par la Cour d’appel dans l’affaire Collège d’enseignement général et professionnel A(3), qui lui permettaient d’envisager l’émission d’une telle ordonnance contre la mairesse personnellement, même si elle ne représente pas l’employeur.
L’arbitre a précisé que la mairesse réclame, à tort ou à raison, le droit de donner des instructions aux salariés, en plus de contester l’autorité du directeur général d’accueillir le grief et de consentir à la demande d’ordonnance de sauvegarde sans résolution du conseil municipal. Il lui paraissait donc incongru qu’elle puisse profiter d’une immunité à l’encontre d’une ordonnance de sauvegarde dans ce contexte.
3. Les critères en matière d’ordonnance de sauvegarde sont-ils satisfaits ?
a) L’apparence de droit
L’arbitre rappelle qu’elle n’a pas à se prononcer sur le bien-fondé du grief à ce stade, mais qu’elle doit déterminer si les comportements de la mairesse, tels qu’allégués par les salariés, satisfont les critères de l’apparence de droit. Elle résume ainsi la situation pour les quatre salariés visés :
- Mme Forget : Elle relève divers incidents impliquant la mairesse survenus à quatre dates différentes, qui ont mené à un départ en congé de maladie. Parmi ceux-ci, elle rapporte un incident lors duquel la mairesse aurait crié fort et lancé son sac à main par terre, un courriel la dénigrant auprès des membres du conseil municipal, un courriel à un citoyen critiquant et discréditant les employés de la municipalité ainsi que des instructions accompagnées de menaces d’impliquer la Sûreté du Québec et d’imposer des mesures disciplinaires à défaut d’exécuter ses instructions;
- M. Bienvenue : Il dénonce des courriels dans lesquels la mairesse critique le travail de l’administration ainsi que son propre travail;
- Mme Laverdure : Il rapporte avoir reçu des instructions de la mairesse à au moins une reprise, accompagnées de la menace d’impliquer la Sûreté du Québec, et d’imposer des mesures disciplinaires à défaut d’exécution de ses instructions;
- Mme Bazinet : Elle relate les mêmes événements que ceux rapportés par Mmes Forget et Laverdure concernant les instructions reçues de la mairesse et les menaces d’impliquer la Sûreté du Québec et d’imposer des mesures disciplinaires à défaut d’exécution de ses instructions.
Le tribunal en conclut donc que les salariés rapportent des propos négatifs de la mairesse, verbaux ou écrits, qui sont présentés comme des violations des dispositions de la convention collective et de la loi, ce qui l’amène à conclure que le grief n’est pas futile ou vexatoire à sa face même. Le critère d’apparence de droit est donc satisfait.
b) Le préjudice sérieux
À cet égard, le syndicat doit démontrer que les salariés s’exposent à un préjudice sérieux auquel la décision au fond ne pourra vraisemblablement remédier. Elle rapporte ainsi la preuve faite par chaque salarié à cet égard :
- Mme Forget : Celle-ci a témoigné avoir dû s’absenter en congé de maladie en raison des agissements de la mairesse. Le syndicat ajoute également que Mme Forget a reçu une mise en demeure suite à son affidavit et à son témoignage lors de l’audience. L’arbitre conclut que le syndicat a démontré qu’elle a subi un préjudice sérieux auquel une décision favorable sur le fond ne saurait remédier. Par ailleurs, comme la preuve porte à croire qu’en l’absence d’ordonnance, les communications directes de la mairesse avec Mme Forget se poursuivront, l’arbitre estime qu’il y a urgence d’intervenir et que le critère du préjudice irréparable est satisfait;
- M. Bienvenue : L’arbitre retient le fait que la mairesse n’aurait pas recommandé l’embauche de M. Bienvenue dans un poste régulier et le fait qu’il a reçu la mise en demeure suite à son témoignage lors de l’audience comme des éléments qui sont de nature à l’intimider et à lui causer un préjudice sérieux, notamment en mettant en péril son emploi et en l’exposant à un recours civil lié à l’exercice de son droit de grief.
- Elle considère que le critère du préjudice sérieux est également satisfait pour lui;
- Mmes Laverdure et Bazinet : L’arbitre conclut que le syndicat n’a pas démontré l’existence d’un préjudice sérieux pour ces salariées. Elle souligne qu’elle ne condamne ni n’endosse le comportement de la mairesse, mais estime que le fardeau de la preuve au stade de l’ordonnance de sauvegarde n’est pas rencontré.
c) Balance des inconvénients
L’arbitre rappelle les dispositions pertinentes du Code municipal du Québec(4), notamment l’article 142.1 concernant le droit de surveillance, d’investigation et de contrôle du maire de la municipalité ainsi que les articles 210, 211 et 212 qui font du directeur général le fonctionnaire principal qui est responsable de l’administration de la municipalité, incluant la gestion des employés. Elle souligne que l’article 212 du Code municipal prévoit précisément que le directeur général est responsable d’assurer la communication entre le conseil et les employés de la municipalité.
L’arbitre est d’avis que la mairesse pourrait exercer ses droits et responsabilités sans inconvénient sérieux, malgré une ordonnance lui interdisant de communiquer avec Mme Forget et M. Bienvenue. Elle signale également que la preuve démontre l’existence d’un conflit important entre la direction générale et la mairesse, mais que cette situation ne devrait pas affecter le droit des employés à un milieu de travail sécuritaire. Dans ce contexte, la balance des inconvénients penche en faveur de Mme Forget et de M. Bienvenue, puisqu’ils s’exposent à un préjudice sérieux dans le cas où la demande d’ordonnance de sauvegarde serait rejetée.
À l’inverse, la mairesse ne saurait subir un préjudice d’une ordonnance d’interdiction de communiquer avec les salariés, dans la mesure où ses demandes pourront être acheminées au directeur général ou à une personne désignée par lui, pour ensuite être acheminées aux employés.
Pour ces motifs, l’arbitre ordonne à la mairesse, pour la durée de la procédure d’arbitrage, de s’abstenir de communiquer directement, verbalement ou par écrit avec Mme Forget et M. Bienvenue.
III. COMMENTAIRES
Cette décision est plutôt inusitée, mais reflète pourtant une situation assez fréquente dans les municipalités de plus petite taille dans lesquelles les élus, souvent par souci d’assurer un service irréprochable aux citoyens, s’ingèrent dans l’administration municipale et communiquent directement avec les salariés sans passer par le directeur général. Cette décision illustre le genre de situation extrême à laquelle cette dynamique peut malheureusement mener.
Comme l’arbitre l’indique, l’article 212 du Code municipal prévoit précisément que c’est le directeur général qui assure la communication entre le conseil et les employés de la municipalité. Le droit de surveillance accordé par la loi au chef du conseil municipal ne devrait pas lui permettre d’usurper ce rôle, sauf en cas de circonstances exceptionnelles.
- Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) et Sainte-Lucie-des-Laurentides (Municipalité de) et Legault, 2020 QCTA 591 (Me Johanne Cavé).
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RLRQ c. C-27.
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Association du personnel de soutien du Collège A c. Collège d’enseignement général et professionnel A (Collège d’enseignement général et professionnel A c. Flynn), 2012 CanLII 105278 (QC CA), par. 23.
- RLRQ c. C-27.1.