Destitution d’un directeur général en raison de harcèlement psychologique
Résumé : Le Tribunal administratif du travail a confirmé la destitution du directeur général de la Municipalité de Saint-Alphonse-Rodriguez imposée par la Municipalité en raison de harcèlement psychologique qu’il a fait subir à des employés municipaux. Le Tribunal a par ailleurs rejeté la réclamation pour lésion professionnelle ainsi que les plaintes de pratique interdite et de harcèlement psychologique déposées par le directeur général.
Dans l’affaire Gravel c. Municipalité de Saint-Alphonse-Rodriguez[1], le juge administratif Guy Blanchet était saisi d’une plainte de destitution, de plaintes pour pratique interdite, d’une plainte de harcèlement psychologique et d’une réclamation pour lésion professionnelle déposées par le directeur général de la Municipalité. Le plaignant prétendait qu’il avait fait l’objet de harcèlement psychologique principalement de la part de la mairesse et de certains élus, à qui il reprochait de l’ingérence dans les affaires municipales. Il prétendait également qu’il avait subi des mesures de représailles en raison du dépôt de ses plaintes à la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail (« CNESST »).
De son côté, la Municipalité soutenait que la destitution du plaignant était justifiée en raison du harcèlement psychologique qu’il a fait subir à des employés municipaux, lesquels s’étaient confiés à l’employeur pendant un arrêt de travail pour maladie du directeur général.
I. Faits
Le plaignant est embauché le 15 août 2016 à titre de directeur général et secrétaire-trésorier en vertu d’un contrat de travail à durée déterminée de quatre ans.
En novembre 2017, la mairesse, qui était auparavant conseillère municipale depuis 2012, est élue par acclamation.
Le 11 décembre 2018, à la demande du plaignant, la Municipalité adopte une résolution qui modifie son contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée.
Le 11 février 2019, le plaignant débute un arrêt de travail pour des raisons médicales. Il ne reviendra jamais au travail. Quelques semaines après le début de son arrêt de travail, il fait une réclamation à la CNESST pour lésion professionnelle en alléguant qu’il subit du harcèlement psychologique au travail. Le billet médical à cet effet est transmis par le plaignant à une employée municipale.
Durant l’absence du plaignant, la Municipalité embauche une directrice générale par intérim à temps partiel. Peu de temps après, il est convenu de procéder à un diagnostic organisationnel afin de bien comprendre et identifier les tâches des employés.
Vers la même période, certains employés apprennent que le plaignant a déposé une plainte de harcèlement psychologique et s’adressent alors au greffier adjoint de la Municipalité pour l’informer de certains événements survenus avec le plaignant. Le tout est alors discuté avec la mairesse, qui fait alors les démarches pour mandater une firme externe pour procéder à une enquête sur le climat de travail.
L’enquête se déroule sur quelques mois et le plaignant a l’occasion de fournir sa version des faits sur chacune des allégations.
Ultimement, le rapport d’enquête révèle que le plaignant a exercé du harcèlement psychologique à l’égard de plusieurs employés municipaux et recommande à la Municipalité de prendre les mesures nécessaires pour remédier à la situation. Le plaignant est destitué peu de temps après.
II. Analyse
Le Tribunal identifie ainsi les questions en litige :
- La destitution du plaignant est-elle exempte de motifs arbitraires, discriminatoires ou déraisonnables et la décision de la Municipalité est-elle sage, opportune, judicieuse et non précipitée?
- Le plaignant a-t-il été victime de harcèlement psychologique?
- Le plaignant a-t-il subi une lésion professionnelle le 8 février 2019?
- Le plaignant a-t-il subi des mesures de représailles à la suite du dépôt de ses plaintes?
Nous allons examiner chacune de ces questions.
1. La destitution du plaignant est-elle exempte de motifs arbitraires, discriminatoires ou déraisonnables et la décision de la Municipalité est-elle sage, opportune, judicieuse et non précipitée?
Le Tribunal analyse d’abord le processus d’enquête réalisé par la firme externe mandatée par la Municipalité. Il retient qu’à la lumière de la preuve, la Municipalité a procédé à une enquête sérieuse. Il souligne qu’il n’a pas constaté de précipitation dans celle-ci ni de mauvaise foi à l’endroit du plaignant. Il signale notamment qu’après avoir rencontré les employés, l’enquêtrice a suspendu son enquête pour attendre que le médecin traitant du plaignant autorise son retour au travail avant de le rencontrer. De même, le fait que le plaignant n’ait pas été informé à l’avance des reproches qui lui étaient faits n’a pas vicié les démarches effectuées selon le Tribunal, dans la mesure où il a eu amplement le temps de répondre aux questions de l’enquêtrice et qu’il a même eu l’occasion de fournir une seconde version des faits.
Le Tribunal a également souligné qu’on pouvait questionner le fait que les employés n’aient jamais dénoncé les comportements du plaignant avant son absence pour maladie. Il a toutefois rappelé le contexte qui sévissait à la Municipalité, c’est-à-dire que plusieurs employés avaient signé une pétition quelques années auparavant dénonçant le comportement de l’ancien maire, ce qui avait entraîné de grands bouleversements dans la Municipalité. Il en retient donc que certains employés concernés n’avaient vraisemblablement pas envie de revivre une telle situation.
Au soutien de la destitution, le Tribunal retient quatre principaux manquements :
- Un événement au cours duquel le plaignant a crié après une employée municipale, qui a dû se réfugier derrière sa chaise parce qu’elle avait peur. Malgré la preuve contradictoire entre les deux protagonistes, le Tribunal a retenu la version de l’employée municipale. Il a signalé qu’en aucun cas le plaignant n’était justifié de crier après une employée au point que celle-ci se sente menacée;
- Le plaignant a convoqué une rencontre avec les employés des finances dans une salle à aire ouverte de l’Hôtel de ville, entourée de bureaux d’employés. À cette occasion, il s’est mis en colère et a crié après une employée en la traitant d’incompétente. Bien que le plaignant a nié l’avoir traitée d’incompétente, il a admis que les propos tenus lors de cette rencontre n’étaient peut-être pas agréables et qu’il avait parfois des intonations de voix. Le Tribunal a conclu que le plaignant utilisait une méthode des plus contestables afin d’indiquer son insatisfaction envers le travail de ses employés. Il souligne « hausser la voix, crier et traiter une employée d’incompétente dépasse les limites acceptables à l’exercice du droit de gestion »;
- Le plaignant a tenu une rencontre disciplinaire collective dans une salle à aire ouverte de l’Hôtel de ville. La réception d’une mesure disciplinaire est toujours un événement marquant dans la vie d’un employé et dans ce contexte, le Tribunal souligne que la confidentialité d’une telle mesure est primordiale dans le processus, ce que le plaignant a négligé;
- 4) Comportements et commentaires désobligeants et irrespectueux à l’endroit de plusieurs employés : le Tribunal a retenu que le plaignant a instauré un climat de travail toxique et tendu et que son intransigeance l’a rendu à sa perte. Il souligne que si un salarié est « à ses yeux » incompétent, il doit prendre les moyens nécessaires afin de le faire progresser dans son travail et non pas le rabaisser et l’humilier devant les autres.
Pour ces principaux motifs et considérant que le plaignant était le plus haut fonctionnaire de la Municipalité, il conclut que la destitution était justifiée. Le fait que le plaignant n’ait manifesté aucun remords lors de l’audience militait en faveur de cette conclusion.
2. Le plaignant a-t-il été victime de harcèlement psychologique?
Le plaignant faisait plusieurs reproches à des conseillers et principalement à la mairesse quant au fait qu’ils auraient communiqué directement avec les employés, minant ainsi son autorité.
Le Tribunal mentionne que le bureau de la mairesse était situé, de la date de son élection en novembre 2017 jusqu’au mois de janvier 2019, à la Bibliothèque municipale et que celui du plaignant était situé à l’Hôtel de ville. Ce n’est qu’en janvier 2019 que le bureau de la mairesse est déménagé à l’Hôtel de ville. C’est donc dire que la mairesse et le plaignant n’ont partagé les locaux de l’Hôtel de ville que pour une très courte période de deux semaines au début de l’année 2019.
Après analyse des nombreuses allégations du plaignant, le Tribunal rejette la plainte de harcèlement psychologique.
3. Le plaignant a-t-il subi une lésion professionnelle le 8 février 2019?
En ce qui concerne la réclamation pour un accident du travail, le Tribunal souligne que la preuve analysée précédemment quant à la plainte de harcèlement psychologique démontre que les événements décrits n’étaient pas imprévus et soudains. Il rejette la réclamation.
4. Le plaignant a-t-il subi des mesures de représailles à la suite du dépôt de ses plaintes?
Le plaignant alléguait notamment avoir subi des mesures de représailles par la transmission d’une lettre de la Municipalité l’informant de la réception d’allégations de harcèlement psychologique le mettant en cause et du retrait de ses accès informations et de son nom du site Internet de la Municipalité pendant son absence maladie.
Quant au premier moyen, le Tribunal a souligné que la Municipalité a l’obligation légale de prendre les moyens raisonnables pour prévenir et faire cesser le harcèlement psychologique lorsqu’il est porté à sa connaissance. Elle a donc agi de façon raisonnable dans le contexte où plusieurs employés se plaignaient du comportement du plaignant.
Quant au deuxième moyen, soit le retrait des accès informatiques et du nom du plaignant du site Internet, le Tribunal conclut que la Municipalité devait prendre les mesures nécessaires afin que la directrice générale par intérim ait accès aux courriels du plaignant pendant son absence. Par ailleurs, aucune preuve n’a été administrée sur l’allégation suivant laquelle la Municipalité aurait supprimé de son site Internet le fait qu’il était directeur général.
Les plaintes pour pratique interdite ont donc été rejetées.
III. Conclusion
Cette décision confirme les obligations légales qui incombent à tout employeur en matière de harcèlement psychologique. Elle illustre également le principe du sain exercice du droit de gérance. En effet, dans cette affaire, la défense du plaignant pour justifier ses comportements inappropriés reposait notamment sur le fait qu’il était entouré d’employés incompétents, ce qui justifiait parfois son impatience ou ses haussements de ton. Or, le Tribunal a condamné cette façon de faire, qui ne peut être tolérée en milieu de travail. D’ailleurs, le maintien de ce discours tout au long de l’audience a fait dire au Tribunal qu’il y aurait un risque de récidive en cas de réintégration du plaignant, qui ne démontrait aucun remords.
- 2024 QCTAT 574.