Réclamer un CTI: la LTA comporte ses propres critères quant à la notion de personne liée
Une décision intéressante a été rendue en matière de TPS/TVH par la Cour canadienne de l’impôt en lien avec une réclamation de crédit de taxe sur les intrants («CTI») sur des honoraires. Bien qu’elle traite du droit de réclamer des CTI, elle fait l’analyse de la notion de «personnes liées».
Dans cette affaire(1), la société Colmvest Holding Corporation («Société») était une société de portefeuille. Pour ses périodes de déclaration allant du 1er avril 2014 au 30 juin 2015, la Société a demandé des CTI pour un montant total de 47 592 $ se rapportant à des honoraires d’avocat.
Ces honoraires découlaient d’un arbitrage entre la Société et l’autre actionnaire 443307 Ontario Inc. («443») concernant la distribution de dividendes par cette dernière.
Il est vrai que la Société n’avait pas engagé ces honoraires pour «consommation, utilisation ou fourniture dans le cadre de ses propres activités commerciales», mais plutôt en raison de son lien avec la société 443 certainement dans le but de recouvrer une forme de revenu. Suivant les règles en matière de taxes de vente, la Société ne serait pas en mesure de réclamer des CTI en lien avec cette dépense puisqu’elle n’est pas engagée dans le cadre d’une activité commerciale.
L’ARC avait donc refusé les CTI demandés, mais la Société en a appelé de cette décision devant la CCI en invoquant le paragraphe 186(1) de la Loi sur la taxe d’accise («LTA»).
Afin de réclamer un CTI en vertu du paragraphe 186(1) LTA, plusieurs exigences différentes doivent être rencontrées et dans le cadre de cet appel, l’exigence principale que la Société devait respecter était celle d’être liée à 443.
Le mot «lié» est défini au paragraphe 126(2) LTA qui énonce que les personnes sont liées «au sens de la Loi de l’impôt sur le revenu («LIR») lorsqu’elles sont liées aux termes des paragraphes 251(2) à (6) de cette même loi». Par conséquent, il fallait donc déterminer si la Société était liée à 433 en vertu de ces dispositions.
La Cour réfère donc au contrôle de droit et mentionne que selon le sous-alinéa 251(2)b)(i) LIR, une société est liée à la personne qui contrôle cette société. Pour l’application des paragraphes 251(2) à (6), «contrôle» signifie «contrôle de droit». L’appelante détenait 25 % de 443. L’autre actionnaire détenait le 75 % restant. Par conséquent, la Cour a conclu que c’est l’autre actionnaire qui détenait le contrôle de 443.
Dans ses arguments, la Société a référé aux enseignements de l’arrêt Duha Printers (Western) Ltd. (1998 CanLII 827 (CSC)), où la Cour suprême du Canada a conclu qu’une convention unanime des actionnaires devrait être considérée aux fins de l’examen du contrôle de droit.
Elle réfère ensuite au sous-alinéa 251(5)b)(i) LIR qui dispose que la personne qui, aux termes d’un contrat, a un droit, immédiat ou futur, conditionnel ou non, à des actions d’une société, est réputée occuper la même position relativement au contrôle de la société que si elle était propriétaire des actions à ce moment-là.
Cela nous amène donc à l’analyse de la convention unanime des actionnaires de 443 donnant à la Société un droit de premier refus concernant l’achat des actions de l’autre actionnaire dans l’éventualité où cette dernière recevrait une offre de bonne foi d’un tiers. La Société considérait donc que ce droit était du type de celui visé par le sous-alinéa 251(5)b)(i) LIR et, par conséquent, la Société était réputée avoir le contrôle de toutes les actions de 443.
Cependant, il semble ressortir de la preuve analysée par la Cour que les parties ne suivaient pas les règles établies par la Convention unanime des actionnaires. La Cour a mentionné qu’«il semble qu’aucune des dispositions en matière de gouvernance qui exigent un consentement unanime n’ait jamais été suivie. En fait, je n’ai entendu aucun témoignage qui m’amènerait à conclure qu’un aspect quelconque de cette convention n’a jamais été suivi». La Cour a donc mis en doute le fait que les parties auraient appliqué l’article 3.2 de cette convention et même le fait que cet article soit effectivement en vigueur. Cette conclusion est plutôt surprenante considérant que la Cour ne fait pas état du fait que la Convention ne semble pas avoir été annulée et également du fait que les parties auraient pu choisir d’appliquer la convention en vigueur ou de la modifier.
La Cour a donc conclu que la Société ne détenait pas les droits visés par la convention et par conséquent, elle a choisi de ne pas se prononcer sur la présomption du sous-alinéa 251(5)b)(i) LIR et son effet sur la détermination à savoir si les parties étaient liées.
La Cour a ensuite analysé la notion de «contrôle par un groupe» établie par le sous-alinéa 251(2)c)(i) LIR qui dispose que deux sociétés sont liées si elles sont contrôlées par la même personne ou le même groupe de personnes.
En l’espèce, la Société était détenue par William Meany qui contrôlait cette dernière. L’autre actionnaire était détenue exclusivement par John Regan. Par conséquent, M. Regan contrôlait cette entité. Même en présumant que M. Regan et M. Meany formaient un groupe de personnes contrôlant la société 443, ce même groupe ne contrôlait pas la Société, de sorte que la Société et 443 n’étaient pas liées aux termes du sous‑alinéa 251(2)c)(i).
Ensuite, la Cour a fait l’analyse de la notion de «contrôle par un groupe lié» visée par le sous-alinéa 251(2)c)(iii) LIR qui dispose que deux sociétés sont liées si l’une des sociétés est contrôlée par une personne et si cette personne est liée à un membre d’un groupe lié qui contrôle l’autre société. La cour a conclu que M. Regan et M. Meany formaient un groupe de personnes qui contrôlaient la société 443, mais elle a déterminé qu’ils ne formaient pas un groupe lié.
Selon la définition du paragraphe 251(4) LIR, un groupe lié est un groupe de personnes dont chaque membre est lié à chaque autre membre du groupe. M. Meany et M. Regan n’étaient aucunement liés par des liens familiaux ou maritaux.
À titre d’argument subsidiaire, la Société a soutenu qu’elle exerçait un contrôle de fait sur 443 et, par conséquent, elle était liée à 443. La Cour conclut qu’elle n’avait pas à trancher cette question puisque la notion de contrôle de fait ne se retrouve pas aux paragraphes 251(2) à (6) LIR, dûment identifiés par le paragraphe 126(2) LTA. Elle a mentionné que les mots «contrôlée, directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit» utilisés dans la LIR pour référer au contrôle de fait sont utilisés dans les dispositions sur les sociétés connexes de l’article 256 LIR et sont définies au paragraphe 256(5.1) LIR. Ces mots ne figurent pas dans les paragraphes 251(2) à (6) LIR qui visent plutôt le contrôle de droit. Elle conclut donc que le contrôle de fait ne s’applique pas à ces paragraphes et ne peut donc pas s’appliquer au paragraphe 126(2) LTA puisque celui-ci vise uniquement le contrôle de droit.
Considérant que la Société n’était pas liée à 443, elle n’était pas en mesure de réclamer un CTI. Étant donné que cette condition pour l’application de l’article 186 LTA n’était pas satisfaite, la Société ne pouvait donc pas invoquer ce paragraphe. La Cour a donc rejeté la réclamation de la Société.
Cela démontre que le critère pour la réclamation de CTI, différent de celui de la réclamation d’une dépense, peut interdire celle-ci, mais la dépense pourrait quand même être déductible en vertu de la LIR. Bien que la Cour ne discute pas de la déductibilité de la dépense, il est possible que cette dépense soit déductible puisqu’elle a été engagée dans le but de recouvrir un revenu. Nous n’avons malheureusement pas les détails, mais nous sommes d’avis qu’il faut faire attention aux automatismes faisant en sorte que l’on réclame une dépense et, du même coup, on réclame le CTI qui est en lien avec celle-ci. Il faut alors garder en tête que la LTA dispose de son propre régime.
- Colmvest Holdings Corporation c. La Reine, 2022 CCI 70, 28 juin 2022.