Fiscalité et comptabilitédécembre 03, 2021

Commentaire sur l’affaire Pillenière, Simoneau portant sur les pouvoirs des municipalités pour protéger les milieux naturels sur leur territoire

Dans un texte publié en 2007, l’auteur des présentes lignes écrivait :

« Sujet de préoccupation relativement nouveau des administrations municipales au Québec, la protection des milieux naturels – humides ou boisés – soulève en effet des enjeux de plus en plus fréquents au sein des collectivités locales. Premières artisanes de l’aménagement et du développement de leur territoire, les municipalités sont certainement toutes désignées pour intervenir dans la protection des milieux naturels qui s’y trouvent. Les municipalités apparaissent en effet placées sur la ligne de front en matière d’environnement, en général, et de conservation, en particulier.

Aussi, la protection de notre patrimoine naturel ne peut plus être l’apanage du gouvernement provincial seul. L’urgence des enjeux exige la participation des gouvernements de tous les niveaux, ce qui inclut plus que jamais les municipalités qui, selon le principe de la subsidiarité, doivent être habilitées à agir compte tenu des réalités de leur territoire et des particularités de la population locale. »(1)

Il aura fallu près de 15 ans avant qu’un jugement de la Cour supérieure ne vienne valider ce que nous avancions alors : oui, les municipalités disposent des pouvoirs nécessaires pour protéger les milieux naturels présents sur leur territoire et, non, cela ne constitue pas de l’expropriation déguisée lorsque les paramètres de la Loi sont respectés.

La décision de la Cour supérieure, sous la plume de la juge Florence Lucas, dans l’affaire Pillenière Simoneau c. Ville de Saint-Bruno-de-Montarville(2) replace les pendules à l’heure de façon très éloquente.

Au mois de mars 2018, dans la foulée de l’entrée en vigueur du schéma d’aménagement et de développement (SAD) de l’agglomération de Longueuil, la Ville de Saint-Bruno-de-Montarville adopte une série de règlements d’urbanisme dont plusieurs dispositions ont pour objectifs d’assurer la protection des milieux humides et boisés se trouvant sur son territoire. Ce faisant, conformément à l’obligation de concordance inscrite à la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme (RLRQ, c. A-19.1; ci-après « L.a.u. »), la Ville accomplit son obligation de rendre ses règlements d’urbanisme conformes aux dispositions du SAD de l’agglomération, lequel SAD s’inscrivait également en conformité avec les objectifs de protection des milieux naturels énoncés au plan métropolitain d’aménagement et de développement (PMAD) de la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM).

L’entrée en vigueur des règlements de la Ville aura pour effet concret d’empêcher Pillenière, Simoneau (ci-après « Pillenière »), un promoteur immobilier, de réaliser un projet de développement résidentiel dans le boisé Sabourin. En effet, entre autres dispositions pertinentes, la nouvelle réglementation de la Ville encadre dorénavant sévèrement la coupe d’arbres dans le but de protéger le couvert forestier de la forêt privée et interdit le remblai dans les milieux humides. Dès lors, le promoteur immobilier ne sera plus autorisé à couper des arbres pour des fins de construction résidentielle, non plus qu’à remblayer les milieux humides qui se trouvent sur les terrains dont il est propriétaire.

Devant une telle situation réglementaire, Pillenière prétendra que les règlements adoptés par la Ville sont abusifs et déraisonnables et qu’ils constituent une expropriation déguisée justifiant qu’une indemnité d’une valeur de plus de 20 millions de dollars lui soit versée.

Dans un jugement étoffé, qui fera certainement école, la juge Lucas répond aux divers arguments du promoteur immobilier et, à la suite d’une analyse minutieuse, les rejettera les uns après les autres. Elle débute son analyse par l’énoncé suivant : « Le droit de propriété n’est pas absolu »(3) et conclut son jugement ainsi :

« En somme, la réglementation municipale adoptée en mars 2018 atteint l'objectif législatif de protection des milieux humides, relève d’une interprétation raisonnable de la loi habilitante LAU, découle d’un processus conforme menant à son adoption et s'avère justifiée à la lumière de l'importance et de la valeur écologique des milieux humides sur les lots en litige. À défaut de démontrer le caractère déraisonnable de la réglementation municipale attaquée et l'expropriation déguisée, le recours des promoteurs doit être rejeté. »(4)

Cela étant, voici pourquoi nous estimons que ce jugement aura une résonnance importante pour la suite des choses en matière de protection des milieux naturels par les municipalités.

1) Les municipalités sont tenues de se conformer aux prescriptions des documents de planification des autorités supérieures

Au paragraphe 37 du jugement, la juge Lucas écrit que les municipalités sont « tenues » d’adopter un plan d’urbanisme et des règlements conformes aux prescriptions des documents de planification des organismes municipaux supérieurs que sont l’agglomération de Longueuil et la CMM. Dès lors que ces documents prescrivent la protection des milieux naturels(5), la Ville de Saint-Bruno-de-Montarville n’avait d’autre choix que d’ajuster sa réglementation d’urbanisme en conséquence.

À ce sujet, il est intéressant de constater comment la juge Lucas considère cette obligation de conformité comme l’un des éléments appuyant la validité des règlements de la Ville de Saint-Bruno-de-Montarville alors que dans Dupras c. Ville de Mascouche(6), la juge Harvie n’a pas donné une portée similaire à cette obligation suivant laquelle la Ville de Mascouche avait ajusté sa réglementation en conformité avec le schéma d’aménagement de la MRC des Moulins qui prescrivait la protection du boisé appartenant à Mme Dupras.

2) Les municipalités disposent des pouvoirs habilitants nécessaires pour protéger l’intégrité des milieux naturels présents sur leur territoire

La juge Lucas voit ensuite, dans les paragraphes 12.1° et 16° du deuxième alinéa de l’article 113 L.a.u., l’habilitation législative nécessaire permettant aux municipalités de protéger les milieux naturels sur leur territoire. L’article 113 L.a.u. est la disposition qui permet aux municipalités d’adopter et mettre en œuvre un règlement de zonage sur leur territoire. Cette disposition constitue donc l’assise législative des règlements de zonage qui sont en vigueur partout, ou presque, au Québec. Les paragraphes susmentionnés prévoient donc ce qui suit :

« 113. Le conseil d’une municipalité peut adopter un règlement de zonage pour l’ensemble ou partie de son territoire.

Ce règlement peut contenir des dispositions portant sur un ou plusieurs des objets suivants:

[…]

12.1° régir ou restreindre la plantation ou l’abattage d’arbres afin d’assurer la protection du couvert forestier et de favoriser l’aménagement durable de la forêt privée;

[…]

16° régir ou prohiber tous les usages du sol, constructions ou ouvrages, ou certains d’entre eux, compte tenu, soit de la topographie du terrain, soit de la proximité de milieux humides et hydriques, soit des dangers d’inondation, d’éboulis, de glissement de terrain ou d’autres cataclysmes, soit de tout autre facteur propre à la nature des lieux qui peut être pris en considération pour des raisons de sécurité publique ou de protection de l’environnement; » [Nous soulignons]

L’adage juridique dit : le pouvoir de réglementer ne comprend pas celui de prohiber totalement, sauf quand la loi le prévoit. Les auteurs Hétu et Duplessis écrivent à ce sujet :

« Lorsque le législateur délègue aux municipalités un pouvoir de réglementation, ceci ne comprend pas le pouvoir de prohiber totalement l'activité que celles-ci peuvent régir […] C'est une application de la doctrine de l'ultra vires : les municipalités ne peuvent exercer que les pouvoirs expressément conférés. Toutefois la prohibition n'est pas interdite si la loi habilitante l'autorise en employant des termes comme « prohiber », « défendre », « supprimer », « interdire », « empêcher ». »(7) [Nous soulignons]

La juge Lucas reconnaît donc que le paragraphe 16° du deuxième alinéa de l’article 113 L.A.U. offre justement aux municipalités le pouvoir de prohiber totalement « tous les usages du sol, constructions ou ouvrages » pour des raisons de « protection de l’environnement », reconnaissant du même coup le pouvoir particulier offert aux municipalités en ce domaine. Elle écrit :

« [113] Ici, l'analyse qui précède nous confirme qu'en adoptant la réglementation en litige, la municipalité exerce son pouvoir de «prohiber tous les usages du sol constructions ou ouvrages» à proximité des milieux humides. En quelque sorte, ce ne sont pas les règlements municipaux qui empêchent le développement immobilier résidentiel des lots, mais bien leurs caractéristiques particulières et la présence de milieux humides, lesquels sont protégés par la LAU mais également par la Loi sur la qualité de l’environnement, en vertu de laquelle un certificat d'autorisation du ministre est requis aux fins d’ériger une construction, rappelons-le. » [Italiques dans l’original; nous soulignons]

3) L’exercice des pouvoirs réglementaires des municipalités en matière de protection des milieux naturels ne constitue pas une expropriation déguisée

La juge Lucas prend bien soin de souligner que les règlements de la Ville de Saint-Bruno-de-Montarville n’ont pas pour effet de réserver les terrains concernés à l’usage de la Ville ou de ses citoyens. Bien que les promoteurs ne conservent qu'une jouissance limitée des lots, ils en conservent néanmoins l’usage exclusif. Autrement dit, les règlements de la Ville n’ont pas un effet de taking de la propriété privée. 

Par ailleurs, au promoteur qui se plaint de l'effet abusif de la réglementation contestée, la juge Lucas rétorque que l’exercice valide des pouvoirs réglementaires par une municipalité ne peut donner ouverture à une conclusion d’abus ou d’un exercice déraisonnable desdits pouvoirs réglementaires. La juge se montre aussi d’avis que le règlement n’est pas discriminatoire à l’égard du promoteur puisqu’il s’applique uniformément à l’ensemble du territoire, là où il se trouvent des milieux naturels humides ou boisés.

Exercés dans un tel contexte, les pouvoirs réglementaires des paragraphes 12.1° et 16° de l’article 113 L.a.u. ne peuvent conduire à une conclusion d’expropriation déguisée. À ce sujet, la juge Lucas réfère à la décision récente de la Cour suprême du Canada, dans l’affaire Lorraine(8). Dans cet arrêt, la Cour suprême a eu l’occasion de rappeler que « [c]onstitue un abus de pouvoir le fait pour un organisme public d'exercer illégalement son pouvoir de réglementation, c'est-à-dire en dérogation des fins voulues par le législateur dans la délégation de ce pouvoir »(9)

Or, aux termes des paragraphes 12.1° et 16° de l’article 113 L.a.u., quelles sont ces fins voulues par le législateur ? La protection écosystémique des milieux naturels, fussent-ils boisés ou humides, et la protection de l’environnement. Aussi, une municipalité qui adopte des règlements d’urbanisme qui ont pour effet de protéger ces écosystèmes réalise les fins voulues par le législateur. On ne peut, par la suite, lui en tenir rigueur en la taxant d’avoir procédé à une expropriation déguisée. En cela, le jugement Pillenière n’est pas sans rappeler les propos du juge Thôt qui, dans l’affaire 9034-8822 Québec inc. c. Sutton (Ville de)(10), avait eu ses mots à propos de l’effet de la règlementation de la ville portant sur la protection des boisés :

« 16 C'est à travers cet outil d'interprétation que l'article 113 paragr. 12.1 doit être compris. Assurer la protection du couvert forestier et favoriser l'aménagement durable de la forêt privée par une réglementation sur l'abattage d'arbres, c'est participer au développement durable et réaliser le virage souhaité par le Législateur. »

La juge Lucas se réfère alors à la désormais célèbre note de bas de page 9 de l’arrêt de la Cour d’appel dans l’affaire Saint-Rémi alors que le juge Sansfaçon, traitant de la portée du paragraphe 16° de l’article 113 L.a.u. opine : « Cela dit, le règlement pourra validement prohiber tout usage d'un ou d'une partie d'un terrain sans obligation d'indemniser son propriétaire si la loi lui accorde spécifiquement ce pouvoir. »(11)

Un tel pouvoir réglementaire est exceptionnel dans le coffre à outils des municipalités. De fait, seules trois dispositions de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme permettent de prohiber totalement, soit l’article 113 concernant le règlement de zonage, comme on vient de le voir, l’article 115 (4°), qui porte sur le règlement de lotissement et contient une disposition similaire à celle de l’article 113 précité, et l’article 118 pour le règlement de construction(12). C’est donc dire toute l’ampleur de la marge de manœuvre que le législateur offre aux municipalités afin de restreindre l’exercice du droit de propriété quant à la protection des milieux naturels sur leur territoire.

4) La notion de « zonage de superposition » (overlay zoning)

Une autre avancée notable de ce jugement concerne l’inclusion dans la jurisprudence québécoise de la notion de « zonage de superposition » ou overlay zoning par lequel la juge répond à l’argument du promoteur qui reproche à la Ville de ne pas avoir transformé son zonage de « résidentiel » à « conservation » si son objectif est de véritablement protéger le couvert forestier. Or, la juge Lucas se montre d’avis que cela n’était pas nécessaire puisque les dispositions réglementaires visant à protéger les milieux naturels se superposent aux normes déjà existantes. À ce propos, elle écrit :

« [129] Or, contrairement à plusieurs autres pouvoirs énoncés à l’article 113 LAU, la Ville fait valoir que son pouvoir de régir afin d'assurer la protection du couvert forestier (par. 12.1) et celui de prohiber pour des raisons de protection de l'environnement (par. 16) ne sont pas des pouvoirs qui doivent être exercés « par zone ». »

On remarquera en effet que ces paragraphes 12.1° et 16° de l’article 113 L.a.u. ne contraignent pas les municipalités à réglementer « par zone », comme le fait, par exemple, le paragraphe 12° de cet article qui traite aussi de remblai et de déblai.

En cela, le législateur est cohérent et permet aux municipalités de réglementer les usages, constructions ou ouvrages dans les milieux naturels, humides ou boisés, là où ils se trouvent, peu importe la nature du zonage (résidentiel, commercial, institutionnel, industriel, etc.) applicable dans la zone concernée. La nature, en effet, n’a que faire des limites cadastrales ou administratives arbitrairement établies par les humains. Aussi, la L.a.u. permet donc d’adopter des mesures réglementaires destinées à protéger ces milieux naturels qui se superposent au zonage existant. Référant aux écrits de Me Marc-André LeChasseur à ce sujet, la juge Lucas expose :

« Ces dernières dispositions lui permettent d'imposer des règles supplémentaires, ce que l'auteur Marc-André LeChasseur explique comme suit :

En second lieu, une variation de cette méthode est le zonage superposé ou dimensionnel (overlay zoning) où l’on conserve les zones existantes tout en y superposant certaines aires définies indépendamment des zones initiales et qui contiennent des exigences supplémentaires que les lots dans ces zones se doivent de respecter. Cette méthode est d'une grande utilité en matière de protection de l'environnement et du patrimoine, puisqu'on peut définir ainsi des zones de protection de manière flexible. On retrouve notamment ce genre de planification en matière de contraintes anthropiques ou naturelles suivant les paragraphes 16 et 16.1 de l’article 113 al. 2. »(13) [Italiques et soulignés dans l’original]

La notion d’overlay zoning est davantage usitée aux États-Unis. Dans un texte portant sur ce sujet, l’auteur Blackwell explique :

« Euclidean zoning, however, is ineffective in its protection of environmentally sensitive lands because it focuses on social and economic values rather than on natural resources. In addition, Euclidean zoning is often too inflexible to accommodate the irregular boundaries of environmentally sensitive areas.

[…]

In contrast, overlay zoning more effectively protects natural resource areas. Overlay zones are those that are specifically tailored to protect the environmental area at issue, whether it be a reservoir, aquifer, forest, or beach area. An outgrowth of Euclidean zoning, overlay zones in effect circumscribe an environmental area that is already subject to Euclidean regulation, and impose additional requirements thereon. Overlay zones are more effective than other land use controls in environmental protection because of their flexibility, their concentrated focus on specific environmental areas, and their use of performance standards. »(14) [Nous soulignons]

Cela dit, un examen attentif du sixième alinéa de l’article 113 L.a.u. permet de constater que la notion d’overlay zoning, ou de zonage superposé, existe depuis longtemps dans notre loi. Cet alinéa annonce ainsi l’overlay zoning en ces termes :

« Pour l’application du paragraphe 16° ou 16.1° du deuxième alinéa, le règlement de zonage peut, de façon particulière, diviser le territoire de la municipalité, établir des catégories d’usages, de constructions ou d’ouvrages à prohiber ou à régir et établir des catégories d’immeubles, d’activités ou d’autres facteurs justifiant, selon le paragraphe visé, une telle prohibition ou réglementation. Il peut alors décréter des prohibitions ou des règles qui varient selon les parties de territoire, selon les premières catégories, selon les secondes catégories ou selon toute combinaison de plusieurs de ces critères de distinction. Le règlement peut, aux fins de permettre la détermination du territoire où s’applique une prohibition ou une règle à proximité d’une source de contraintes, faire appel à la mesure du degré des effets nocifs ou indésirables produits par la source. »

Bref, la décision Pillenière permet donc à la notion d’overlay zoning de prendre place dans la jurisprudence québécoise, soulignant ainsi explicitement l’existence de cette modalité du zonage dans le coffre à outils des municipalités.

5) L’importance de la démarche d’acquisition de connaissances et de planification

Enfin, un dernier élément retient davantage notre attention dans ce jugement. Cela a trait à l’acquisition de la nécessaire connaissance préalable du territoire. Avant de permettre le développement du territoire, il faut le connaître. Incidemment, les règlements de zonage mis en place dans les années ’60, aux balbutiements du droit de l’urbanisme au Québec, ignoraient quasi-systématiquement l’état du territoire sous-jacent. Aussi, chaque parcelle du territoire se voyait attribuer, à cette époque, des usages anthropiques rémunérateurs. On connaît le résultat du développement débridé du territoire des dernières décennies : inondations, îlots de chaleurs, dégradation de la qualité de l’eau des lacs et cours d’eau, déclin marqué de la biodiversité, etc.

Pour protéger, donc, il faut connaître. Aussi, en adoptant ses règlements d’urbanisme en mars 2018, la Ville de Saint-Bruno-de-Montarville n’a pas décidé du jour au lendemain de protéger tel ou tel endroit sur son territoire, comme cela, sans raison valable. 

Au contraire, le résultat final, soit l’adoption des règlements d’urbanisme disputés dans l’affaire Pillenière, est l’aboutissement d’une démarche d’acquisition de connaissances débutée plusieurs années auparavant par une caractérisation des parcelles non-bâties de son territoire et une évaluation de la valeur écologique relative de celles-ci, dans un contexte à la fois local et régional. Une fois cette nécessaire connaissance préalable du territoire acquise, la Ville s’est livrée à un exercice de planification et de priorisation : quels milieux seront protégés, quels milieux pourront faire l’objet d’un développement.

Tout au long de ces démarches, la Ville affiche publiquement les fruits de ce travail. Ainsi, à partir de 2014, les études de caractérisation sont rendues publiques, la Ville adopte ensuite un plan de conservation des milieux humides et autres milieux naturels de son territoire, ce qui la conduira à l’adoption d’un énoncé de vision stratégique « vers 2035 » puis, en 2017, à l’adoption de son plan d’urbanisme. Dans chacun de ces documents, les constats quant à l’importance de la protection des milieux naturels et les objectifs de protection sont clairement énoncés. À ce sujet, la juge Lucas fait valoir :

« [102] Or, la Ville ne cache pas son intention de préserver intégralement les lots dans leur état naturel. La preuve révèle que les objectifs de préservation des milieux humides découlent du PMAD de la Communauté métropolitaine de Montréal, puis du SAD de l’agglomération de Longueuil et s'avèrent présents tout au long du processus d'adoption réglementaire, et notamment dans le Plan de conservation où la Ville explique ceci :

5.1.2 Secteur du boisé Sabourin

Le secteur du boisé Sabourin comprend 13,44 ha de milieux humides situés sur des terrains privés, ce qui représente 15,2 % de tous les milieux humides visés par le plan de conservation.

[…]

Conservation de milieux naturels

Le plan prévoit la conservation de tous les boisés et friches du secteur afin de préserver l'intégrité des milieux humides et des fonctions qu'ils remplissent. »

Et la juge de souligner comment le plan de conservation de la Ville identifiait nommément le contrôle réglementaire de l’abattage des arbres comme étant un moyen de mise en œuvre des objectifs du plan de conservation(15). Aussi, il ressortait clairement de l’ensemble de la documentation rendue publique par la Ville que celle-ci avait l’intention d’utiliser ses pouvoirs réglementaires pour assurer la pérennité des milieux humides et boisés à conserver, notamment, en contrôlant les activités d'abattage d'arbres pour assurer le maintien du couvert forestier. Par conséquent, le promoteur ne pouvait se dire surpris lorsque, en mars 2018, la Ville de Saint-Bruno-de-Montarville a adopté ses règlements d’urbanisme destinés à protéger les milieux naturels sur son territoire. Ce n’était là que l’aboutissement logique et raisonnable de la démarche d’acquisition de connaissances amorcée plusieurs années auparavant et des efforts de planification du devenir de son territoire articulé dans le cadre de la mise en œuvre des objectifs de protection des milieux naturels énoncés au PMAD de la CMM et au SAD de l’agglomération de Longueuil.

Bien mal venu le promoteur qui veut ensuite se plaindre du résultat.

Conclusion

Dans l’affaire de la protection de la rainette faux-grillon, à La Prairie, le juge Martineau, de la Cour fédérale, posait la question suivante : « Nous sommes-nous imposés collectivement une règle de civilisation par laquelle nous devons prévenir l’annihilation des individus d’une espèce sauvage menacée et la destruction de son habitat naturel ? »(16) Et de répondre : « Il semble bien que ce soit le cas […] »(17).

Le législateur québécois, par l’entremise notamment de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme offre des pouvoirs aux municipalités afin de protéger les derniers milieux naturels qui se trouvent encore sur le territoire de la CMM, ou ailleurs au Québec. Une municipalité qui agit ainsi réalise les « fins voulues par le législateur »(18) en matière de protection des milieux naturels. 

La qualité de nos milieux de vie dépend de plus en plus de notre capacité à proposer une occupation du territoire qui permette le maintien des équilibres écosystémiques dynamiques. En cela, nous sommes d’avis que les municipalités du Québec disposent de tous les pouvoirs pour agir en faveur de la protection des milieux de vie de leur collectivité. Le jugement de la Cour supérieure dans l’affaire Pillenière confirme bel et bien, et de manière éloquente, que les municipalités disposent des pouvoirs utiles en ce domaine; elles ne se rendront donc pas «coupables» d’expropriation déguisée en les utilisant à bon escient.

C’est pourquoi, en ce domaine, les municipalités doivent dorénavant assumer un leadership qui nous permettra véritablement de prendre pied dans le paradigme du développement durable. En cela, les propos du juge Tôth dans l’affaire Sutton(19) montrent la voie : mettre en œuvre le développement durable, c’est procéder à un changement fondamental de philosophie sociétale.

Saurons-nous collectivement y parvenir ? Le jugement Pillenière nous semble être un pas de plus dans la bonne direction.


  1. Jean-François GIRARD, « La protection des milieux naturels par les municipalités : effervescence d’un droit en développement », dans Développements récents en droit de l’environnement 2007, Cowansville (Québec), Les Éditions Yvon Blais, 2007, p. 81.
  2. 2021 QCCS 4031.

  3. Id., par. 52.

  4. Id., par. 144.

  5. Le PMAD vise notamment la protection des milieux naturels d’une superficie équivalente à 17% de la superficie totale de son territoire. Le SAD de l’agglomération de Longueuil, pour sa part, poursuit l’objectif de protéger au moins 20% du territoire à des fins d’écosystèmes d’intérêt.

  6. 2020 QCCS 2538. Jugement porté en appel.

  7. Jean HÉTU et Yvon DUPLESSIS, Droit municipal – Principes généraux et contentieux, édition électronique (www.intelliconnect.ca), par. 8.154. Références omises.

  8. Lorraine (Ville) c. 2646-8926 Québec inc., 2018 CSC 35.

  9. Id., par. 26. Nous soulignons.

  10. 2008 QCCS 1839, EYB 2008-133168 (C.S.), conf. par 9034-8822 Québec inc. c. Sutton (Ville de), EYB 2010-173377 (C.A.).

  11. Ville de Saint-Rémi c. 9120-4883 Québec inc., 2021 QCCA 630, par. 25, note de bas de page 9. Nous soulignons.

  12. En ce dernier cas, la prohibition ne vise pas les mêmes objets que pour les articles 113 et 115, mais cela concerne plutôt les « éléments de fortification ou de protection d’une construction », cette disposition ayant été ajoutée à la loi pour empêcher l’érection de bunker de motards criminalisés.

  13. Jugement Pillenière, par. 129 citant Marc-André LeChasseur, « Chapitre 8 — L'urbanisme de performance », dans Zonage et urbanisme en droit canadien, 3° éd., Wilson & Lafleur, CAN, Juribistro eDoctrine, p. 8.

  14. Robert J. BLACKWELL, « Overlay zoning, performance standards, and environmental protection after Nollan », 16 Boston College Environmental Affairs Law Review (1989), 615, 615-616.

  15. Jugement Pillenière, par. 104

  16. Centre québécois du droit de l’environnement c. Ministre environnement Canada, 2015 CF 773, par. 5.

  17. Id., par. 6.

  18. Lorraine (Ville) c. 2646-8926 Québec inc., précité, note 6.

  19. Précitée, note 10.
Me Jean-François Girard
Biologiste et avocat spécialisé en droit de l’environnement et en droit municipal

Me Girard pratique au sein du cabinet DHC Avocats où il offre, depuis 2002, une expertise particulière aux municipalités qui désirent relever les défis du développement durable et qui veulent améliorer la qualité du milieu de vie de leurs citoyens.

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