La dation en paiement est une vente qui génère un revenu
L’auteure résume et analyse une décision récente de la Cour du Québec concernant le traitement fiscal d’une dation en paiement en tant que revenu d’entreprise.
La Cour du Québec a récemment déterminé que d’un point de vue fiscal, une dation en paiement doit être traitée comme une vente. Ainsi, l'entreprise qui, dans le cadre d'une transaction, a cédé la propriété d'un terrain autre que celui faisant l'objet d'un litige, doit inclure dans ses revenus, à titre de revenu d'entreprise, la contrepartie qu'elle a reçue.
La décision Sommets du Mont-Tremblant inc. c. ARQ, 2023 QCCQ 9061, a été rendue en novembre dernier par la Cour du Québec. Les faits en cause peuvent se résumer ainsi.
Solstice Mont-Tremblant s.a. (Solstice) bénéficiait d’une option d’acquisition d’un terrain, dont Les Sommets du Mont-Tremblant inc. (Les Sommets) était propriétaire. Il semble qu’une entente avait été initialement conclue entre Les Sommets et une tierce société qui, en contrepartie, avait effectué un premier versement de 300 000 $ le 7 avril 2004 et un second de 100 000 $ le 1er avril 2005.
Le 23 février 2007, Solstice a déposé une requête introductive d’instanceen dommages-intérêts de 7 556 430 $ contre Les Sommets et Richard Bonenfant, leur reprochant de ne pas avoir honoré leurs engagements découlant de l’option d’acquisition de terrains.
Le 20 décembre 2007, Les Sommets et Bonenfant ont déposé une demande reconventionnelle en dommages-intérêts de 325 000 $ contre Solstice, Pierre Blondeau, Louis Lessard et Dominique Turcotte, pour avoir abusé du processus judiciairepar leur procédure.
Le 30 octobre 2015, une transaction, quittance et ses annexes (la Transaction) mettant fin au litige fut convenue entre les parties impliquées. Afin de mettre fin au litige, Les Sommets s’engageait ainsi à payer un montant de 158 052,05 $ à Solstice et lui céder un terrain d’une valeur de 400 000 $ situé à Mont-Tremblant. Le terrain a ensuite été cédé le 31 mars 2016.
L’ARQ a entamé une vérification auprès de Les Sommets pour les années d’imposition 2016 à 2018. Le dossier de Les Sommets fut sélectionné en raison de l’absence de déclaration de la transaction immobilière entre deux personnes liées relative au terrain cédé. Le but de la vérification était de «déterminer les impacts fiscaux découlant de la disposition des biens immobiliers de la société au cours de la période de vérification».
La vérificatrice de l’ARQ a constaté que Les Sommets avait cédé à Solstice un terrain qu’elle détenait en inventaire pour 400 000 $ et que le revenu provenant de cette transaction n’avait pas été déclaré. L’ARQ a donc établi un revenu imposable de 331 362 $ contrairement à la perte déclarée de 92 000 $.
Les Sommets a déposé un avis d’opposition et ensuite un appel devant la Cour du Québec.
Principalement, Les Sommets était d’avis que la transaction intervenue entre Solstice et elle ne générait pas un revenu d’entreprise mais plutôt un «remboursement, par équivalence en nature, d’une valeur de 400 000 $, pour les fins de l’exercice d’une option d’acquisition de terrain dont la somme a été payée en deux versements, l’un de 300 000 $ le 7 avril 2004 et l’autre de 100 000 $ le 1er avril 2005».
La position de l’ARQ était plutôt à l’effet que la transaction intervenue avait généré un revenu d’entreprise puisqu’elle résultait de la cession d’un terrain ou subsidiairement, d’une dation en paiement, toutes deux soumises au même traitement fiscal qu’une vente.
La question en litige était donc de savoir si l’ARQ était justifiée d’ajouter un revenu d’entreprise à Les Sommets pour son exercice financier terminé le 31 janvier 2017 en raison de la cession du terrain.
La Cour conclut qu’il s’agissait d’une dation en paiement et que celle-ci entraînait un revenu d’entreprise.
Premièrement, les états financiers de Les Sommets pour 2005 et 2006 ne traitaient pas de l’encaissement de 400 000 $ reçu en deux versements: l’un de 300 000 $ le 7 avril 2004 et l’autre de 100 000 $ le 1er avril 2005 en provenance d’une tierce société pour les fins de l’exercice de l’option d’acquisition d’un terrain. Monsieur Bonenfant a reconnu que Les Sommets n’avait pas déclaré de revenus d’entreprise pour ces deux encaissements.
Les états financiers ne révélaient pas non plus de variation de l’inventaire malgré la cession du terrain à Solstice.
Les articles 26.1 et 80 LI définissent le revenu imposable en ces mots:
Art. 26.1. Calcul du revenu imposable d’une société — Le revenu imposable d’une société visée à l’article 22 pour une année d’imposition est son revenu pour l’année plus tout ajout prévu au livre IV et moins toute déduction permise par ce dernier livre.
Art. 80. Revenu provenant d’une entreprise ou d’un bien — Sous réserve de la présente partie, le revenu d’un contribuable provenant d’une entreprise ou d’un bien est le bénéfice qu’il en tire.
Revenus à inclure dans le revenu — Les revenus qu’un contribuable doit, en vertu du présent titre, inclure dans le calcul de son revenu provenant pour une année d’imposition d’entreprises ou de biens sont ses revenus en provenant pour cette année, à moins de disposition contraire du présent titre.
La définition de la notion d’entreprise se trouve à l’article 1 LI qui se lit:
«entreprise» comprend une profession, un métier, un commerce, une manufacture ou une activité de quelque genre que ce soit, y compris, sauf aux fins du paragraphe a du premier alinéa de l’article 164, de l’article 250.4 et du paragraphe i du deuxième alinéa de l’article 726.6.1, un projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial, mais ne comprend pas une charge ni un emploi.
Dans sa décision, la Cour réfère au Bulletin d’interprétation IT-218R de l’ARC où l’on mentionne qu’«un gain provenant de la vente de biens immeubles sera considéré comme un revenu d’entreprise, un revenu tiré d’un bien ou un gain en capital».
Par la suite, la Cour s’est interrogée sur la nature de l’acte juridique intervenu entre les parties. Ainsi, trois actes juridiques ont été invoqués par l’une ou l’autre des parties pour qualifier la cession du terrain concernée par la Transaction: une vente, une dation en paiement ou un remboursement par équivalence en nature d’un acte juridique anéanti rétroactivement selon le principe de la restitution.
La Cour a ensuite analysé certaines de ces définitions. La Cour indique que suivant la définition du mot «vente», une vente constitue une cession à titre onéreux. Cependant, une cession à titre onéreux n’est pas toujours considérée comme une vente, notamment en ce qui a trait à la cession de créance:
[40] Mais en l’espèce, la cession peut être considérée comme une vente. En effet, dans la Transaction et quittance, le contribuable s’engage «[e]n contrepartie de la somme de 400 000 $ reçue», à céder à la demanderesse un terrain, autre que celui envisagé lors de l’exercice de l’option d’acquisition de terrains. Il est également prévu que «[l]e contrat de vente à intervenir par le notaire choisi par la demanderesse contiendra les clauses usuelles des contrats de vente d’immeuble».
[41] Est-ce que l’on doit plutôt inférer des termes de la Transaction et quittance, dont notamment à son préambule et au paragraphe 2 qui mentionne «l’acquisition d’un terrain qui n’a jamais eu lieu» et à la section «Quittance», que la cession du terrain remplace l’obligation initialement envisagée dans l’option d’acquisition d’un terrain — celui qui devait être transféré en 2004 — et qu’il y a eu dation en paiement ? Ou est-ce que l’on doit conclure que l’acte juridique en entier a été anéanti rétroactivement comme le prétend le contribuable ?
[42] Pour qu’une restitution se produise dans le domaine contractuel, il faut que le contrat soit frappé de nullité ou soit résolu et ainsi, être censé ne jamais avoir existé.
La Cour conclut que la restitution des prestations ne correspond pas à la situation en litige. Rien dans la Transaction ne fait mention de la volonté des parties d’anéantir l’option d’acquisition rétroactivement et de remettre en état les parties. Si tel avait été le cas, le terrain concerné par l’option aurait été remis à Les Sommets et le paiement de 400 000 $ remis à Solstice, puisque le principe de la restitution des prestations en nature est la règle et la restitution par équivalent est l’exception. Au contraire, le règlement donnait effet à l’option par le paiement en argent de 158 052 $ et la cession d’un terrain d’une valeur marchande de 400 000 $.
C’est donc seulement la cession du bien qui n’a jamais eu lieu et non la vente à proprement parler. De plus, l’économie générale de la Transaction écarte l’interprétation voulant que l’acte juridique en entier ait été anéanti de façon rétroactive.
Il faut donc conclure que l’essence même de la Transaction est une dation en paiement. En lieu et place du terrain visé par l’exercice de l’option pour laquelle un montant de 400 000 $ a été versé à Les Sommets en 2004 et 2005, cette dernière a cédé un autre terrain avec l’accord de Solstice. Les Sommets se trouve donc à avoir cédé la propriété d’un autre bien que celui prévu à l’option en règlement d’un litige par un transfert au sens de l’article 1799 C.c.Q.
La Cour se réfère ensuite à l’article 1800 C.c.Q. qui établit les effets de la dation en paiement: «[l]a dation en paiement est assujettie aux règles du contrat de vente et celui qui transfère ainsi un bien est tenu aux mêmes garanties que le vendeur».
La Cour note qu’il n’y a pas de jurisprudence publiée qui aborde le traitement fiscal d’une dation en paiement, mais elle décide de lui attribuer le traitement fiscal de la vente.
Une fois cette détermination faite par la Cour, celle-ci devait donc déterminer le type de revenu généré par la dation en paiement. Toujours en s’inspirant du Bulletin d’interprétation IT-218R de l’ARC, la Cour a énoncé les critères pouvant être retenus pour déterminer le type de revenu:
Dans la Loi de l’impôt sur le revenu, aucune disposition ne précise dans quelles circonstances des gains provenant de la vente de biens immeubles doivent être considérés comme un revenu ou une recette en capital. Toutefois, en faisant de telles déterminations, les tribunaux ont considéré des facteurs du genre de ceux qui sont énumérés ci-dessous. En voici une liste qui ne doit pas être considérée comme limitative:
- l'intention du contribuable en ce qui concerne le bien immeuble au moment de l'achat;
- la vraisemblance de l'intention du contribuable;
- l'emplacement géographique du bien immeuble acquis et son zonage;
- la mesure dans laquelle l'intention du contribuable est réalisée;
- la preuve que l'intention du contribuable a changé après l'achat du bien immeuble;
- la nature de l'entreprise, de la profession, du métier ou de l'occupation du contribuable et des associés;
- la mesure dans laquelle l'argent emprunté a servi à financer l'acquisition du bien immeuble et les modalités arrêtées pour le financement s'il y a lieu;
- la période pendant laquelle le bien immeuble a été détenu par le contribuable;
- le fait que la possession du bien immeuble soit partagée avec des personnes autres que le contribuable;
- la nature de la profession des autres personnes mentionnées en i) ci-dessus, de même que leurs intentions avouées et leur ligne de conduite;
- les facteurs qui ont motivé la vente du bien immeuble;
- la preuve que le contribuable et/ou les associés se livrent sur une grande échelle au commerce de l'immeuble.
La Cour a pris en considération les éléments suivants:
- La cession du terrain du 31 mars 2016 a été effectuée dans le cadre des activités de l’entreprise de Les Sommets;
- Le terrain est un bien en inventaire de Les Sommets le 31 mars 2016 selon la LI;
- L’acte de cession du terrain contient les clauses usuelles des contrats de vente d’immeubles;
- La cession du terrain a été consentie pour 400 000 $;
- Le terrain cédé est différent de celui faisant l’objet de l’option d’acquisition d’un terrain dont bénéficiait Solstice;
- La tierce société a payé 400 000 $ à Les Sommets en deux versements les 7 avril 2004 et 1er avril 2005 pour les fins de l’exercice d’une option d’achat d’un terrain autre que celui en litige;
- Le coût du terrain cédé est de 20 398 $.
La Cour conclut que Les Sommets était propriétaire de différents terrains dans un objectif de revente, notamment dans le cadre d’éventuels projets de développement immobilier. L’objectif de l’entreprise était donc de réaliser des profits. Il y a donc une présomption, quoique réfutable, que l’on visait à générer un revenu d’entreprise.
La Cour s’est alors demandé si la dation en paiement avait pour effet de constituer un revenu provenant effectivement de l’exploitation d’une entreprise. Bien que cette opération soit survenue en raison d’un litige qui était imprévu et qu’il n’était pas dans l’intention de Les Sommets d’y recourir, elle est intimement liée à l’exercice de l’option d’acquisition. Cette dation en paiement visait à remplacer la vente d’un terrain qui n’a pas eu lieu et qui se situait dans le cours normal des activités de Les Sommets.
La valeur de la contrepartie concrétisée résultant de la dation en paiement correspondait à la valeur marchande du terrain cédée établie à 400 000 $. Ce montant était imposable entre les mains de Les Sommets à titre de revenu d’entreprise puisque la cession du terrain qu’elle a remplacé s’inscrivait dans le cadre d’une vente dans le cours normal des activités de l’entreprise.
La Cour a donc rejeté l’appel de Les Sommets.