Fiscalité et comptabilitéavril 28, 2021

Fardeau de preuve et méthode indirecte: la Cour du Québec nous offre une excellente revue des principes!

Au début de l’année 2021, la Cour du Québec, sous la plume du juge Forlini, a rendu une décision favorable au contribuable dans un contexte où l’Agence du revenu du Québec (ARQ) avait émis des avis de nouvelle cotisation sur la base d’une méthode indirecte dans la décision Chen (Succession de Pourafzal) c. Agence du revenu du Québec.(1)

Dans ce dossier, un élément de plus s’ajoutait au fardeau de la preuve puisque le contribuable, M. Pourafzal (Contribuable), est décédé avant l’audience et ce fut Hsiao-Wen Chen, en sa qualité de liquidatrice de la succession de Massoud Pourafzal (la Succession), qui a complété les appels à l’encontre des avis de nouvelle cotisation émis pour les années 2001, 2002 et 2003.

Ces nouveaux avis de cotisation découlaient d’une vérification basée sur une méthode alternative de vérification (ou méthode indirecte), soit la méthode des mouvements de trésorerie où l’ARQ a déterminé que M. Pourafzal aurait omis de déclarer des revenus de 28 538 $ pour l’année 2001, 46 946 $ pour l’année 2002 et 88 932 $ pour l’année d’imposition 2003. Les avis de nouvelle cotisation avaient été émis à l’extérieur des délais normaux de cotisation et l’ARQ avait ajouté aux montants cotisés des pénalités en vertu de l’article 1049 LI.

L’ARQ a commencé sa vérification en 2004 et elle s’est terminée en 2012 par une modification à la baisse des avis de nouvelle cotisation à la suite d’une décision sur opposition. Au cours de ces années, le Contribuable et son comptable ont collaboré avec l’ARQ, tel que relaté dans le jugement de la Cour. Le 21 février 2012, l’ARQ a émis des avis de nouvelle cotisation pour les trois années et ce sont ces avis qui étaient visés par l’appel devant la Cour du Québec. En cours d’instance, Mme Chen a dû reprendre l’instance à la suite du décès du Contribuable.

Les questions soulevées par le litige étaient les suivantes:

  1. La Succession a-t-elle démontré, prima facie, que les conditions requises pour recourir à une méthode alternative de vérification n’ont pas été observées?
  2. La Succession a-t-elle démontré, prima facie, que la méthodologie utilisée par l’ARQ n’est pas fiable, car elle a omis de tenir compte de certaines entrées de fonds qui réduisent de façon substantielle le revenu prétendument non déclaré du Contribuable?
  3. L’Agence a-t-elle prouvé que le Contribuable a fait de fausses représentations des faits par incurie ou par omission volontaire dans ses déclarations de revenus pour les années 2001, 2002 et 2003?
  4. L’Agence a-t-elle prouvé que le ministre était justifié d’imposer les pénalités de l’article 1049 LI pour négligence flagrante?

Avant de répondre à ces questions, la Cour nous rappelle en premier lieu les principes en matière de fardeau de preuve.

Ainsi, suivant l’article 1014 LI, les avis de nouvelle cotisation sont présumés valides et compte tenu de cette présomption, le fardeau de preuve du contribuable est le suivant, comme l’énonce la Cour d’appel dans Alertpay Incorporated c. Agence du revenu du Québec:(2)

[25] Une cotisation fiscale bénéficie d’une présomption de validité. Elle pourra être repoussée par le contribuable s’il présente une preuve prima facie démontrant l’inexactitude de la cotisation.

[26] Le fardeau du contribuable consiste à démontrer «en quoi les faits sur lesquels s’appuie la cotisation sont incorrects. Cette preuve doit être suffisante pour convaincre le tribunal, à première vue». Elle doit aussi «comporter un certain degré de précision et de probabilité en sa faveur» pour être retenue.

[27] Un «témoignage clair, non ébranlé en contre-interrogatoire et offert par un témoin dont la crédibilité n’[a] pas été mise en doute, alors qu’aucune preuve contraire n’[a] été présentée par le fisc» peut constituer une preuve suffisante pour «démolir» la présomption. Cependant, la simple négation des faits retenus pour la délivrance de l’avis de cotisation n’est pas suffisante pour contrer la présomption de validité.

[28] Si le contribuable satisfait à ces exigences, alors s’opère un renversement du fardeau de preuve, et c’est à l’autorité fiscale qu’incombe la tâche de «réfuter la preuve prima facie et [de] prouver la cotisation établie par présomption», par une preuve prépondérante.

Dans cette décision, la Cour d’appel rappelle que la présomption de validité s’applique également aux cotisations qui sont établies par l’utilisation d’une méthode alternative ou indirecte.

La Cour réfère ensuite à une autre décision de la Cour d’appel 3096-4035 Québec inc. c. Agence du revenu du Québec:(3)

[31] La cotisation fiscale est présumée valide (art. 1014 L.I.), bien qu’elle soit établie à l’aide d’une méthode alternative. Le contribuable peut alors tenter de repousser ou «démolir» cette présomption en présentant une preuve prima facie qui démontre que la cotisation est inexacte. Il doit établir, à première vue, le caractère incorrect des faits soutenant la cotisation, sans besoin d’établir le montant exact de son revenu imposable. Une preuve prima facie est définie comme étant «celle qui est étayée par des éléments de preuve qui créent un tel degré de probabilité en sa faveur que la cour doit l’accepter si elle y ajoute foi, à moins qu’elle ne soit contredite ou que le contraire ne soit prouvé» ou encore «une preuve suffisante pour établir un fait jusqu’à preuve du contraire». Sans que cela soit une exigence, cette preuve, qui doit «comporter un certain degré de précision et de probabilité», doit généralement être documentaire ou circonstancielle plutôt qu’uniquement une affirmation du contribuable. Bref, une simple négation des faits qui soutiennent la cotisation ne suffit pas à contrer la présomption. Le contribuable peut également «se décharger de son fardeau en démontrant, prima facie, que la méthode «n’était pas fiable ou que les conditions requises pour y recourir n’ont pas été observées»».

[32] S’il réussit, l’autorité fiscale doit réfuter la preuve prima facie et prouver, par une preuve prépondérante, les faits au soutien de la cotisation.

La Cour réitère que les hypothèses factuelles sur lesquelles s’appuie l’avis de cotisation et qui doivent être réfutées par le contribuable se retrouvent généralement dans le rapport de vérification, le mémoire sur opposition et la défense produite dans le cadre de l’appel de la cotisation. Pour démolir la présomption, le contribuable n’a pas à établir le montant exact de son revenu imposable.

QUESTION 1: La Succession a-t-elle démontré prima facie que les conditions requises pour recourir à une méthode alternative de vérification n’ont pas été observées?

Le principe de la méthode indirecte trouve sa source à l’article 95.1 LAF qui énonce que le ministre n’est pas lié par une déclaration ou les renseignements fournis par une personne dans sa déclaration de revenus. La jurisprudence reconnaît que dans certaines circonstances, le ministre peut, malgré la déclaration, établir une nouvelle cotisation en ayant recours à une méthode alternative et les conditions d’ouverture à l’utilisation d’une telle méthode se retrouvent dans la décision Restaurant Le Relais de Saint-Jean inc. c. Agence du revenu du Québec:(4)

2.2 Utilisation d’une méthode alternative de vérification

[…]

[62] Il se dégage d’ailleurs de l’ensemble de la jurisprudence en matière fiscale qu’un vérificateur qui se voit confier la tâche de procéder à une vérification en matière de taxes doit d’abord tenter d’adopter l’approche traditionnelle. Ce n’est que lorsqu’il constate qu’il est impossible d’effectuer une vérification directe et traditionnelle, qu’il peut utiliser une méthode alternative.

[63] Encore récemment, la Cour a rappelé que des registres nettement déficients et peu fiables justifient le recours, au moment de la vérification en matière de taxes de vente, à une méthode alternative de reconstitution des revenus et dépenses de l’entreprise.

[64] Ainsi, avant d’avoir recours à la méthode de vérification indirecte par sondage, le fisc doit d’abord conclure, pour des motifs raisonnables, que les livres, registres et pièces justificatives de l’entreprise ne sont pas fiables ou que les renseignements qui y sont consignés laissent planer un doute sérieux sur leur exactitude.

Cette décision énumère certains exemples qui permettent la justification d’une telle méthode dans le cadre d’une vérification d’une entreprise. Cette méthode peut également être appliquée dans le dossier d’un particulier lorsque la déclaration de ce dernier est à ce point inexacte, incomplète ou fausse et qu’il est incapable de fournir des explications raisonnables pour justifier les écarts. C’est également le cas lorsque l’étude préliminaire du dossier par le vérificateur révèle des indices de richesse qui ne sont pas justifiés par les revenus déclarés ou si le particulier n’a pas collaboré avec les autorités fiscales pour expliquer les écarts estimés entre ses revenus déclarés et ses sorties de fonds.

La Cour indique que la méthode indirecte des mouvements de trésorerie est basée sur l’écart entre les entrées et les sorties de fonds d’un ménage. L’objectif de cette méthode est de compiler toutes les entrées et sorties de fonds survenues au cours d’une année fiscale et qui sont nécessaires pour financer le mode de vie d’un ménage et de déceler un écart possible. Le but n’est pas de déterminer la source des revenus, mais plutôt d’établir un déficit ou une insuffisance des entrées de trésorerie par rapport aux sorties de fonds nécessaires pour financer le mode de vie d’un ménage.

S’il y a effectivement un déficit, celui-ci est calculé et il est ajouté au revenu du contribuable pour une année d’imposition.

La Cour rappelle que la méthode de mouvements de trésorerie est une solution de dernier recours qui est surtout employée dans les cas où le contribuable refuse de produire une déclaration de revenus, qu’il a produit une déclaration inexacte ou qu’il refuse de collaborer avec les autorités fiscales.

Dans le dossier de M. Pourafzal, l’ARQ justifiait l’emploi d’une telle mesure en disant que le Contribuable avait «été sélectionné dans le cadre du projet organisationnel de lutte contre l’évasion fiscale pour le projet spécifique «Indices de richesses»» et qu’il s’agissait d’un dossier «à risque».

Pendant les périodes pertinentes, le Contribuable était l’actionnaire unique de Mei Le café Chinois inc., qui exploitait un restaurant. Sa conjointe, Mme Chen, y travaillait. Un enfant habitait avec eux. Il était propriétaire de deux immeubles à revenus locatifs, dont un qui abritait le restaurant. Il avait également des placements. Sa principale source de revenus provenait de ses placements et de ses immeubles. Les montants issus de ces sources de revenus ont évidemment varié selon les années.

Tel que mentionné précédemment, l’ARQ avait entamé la vérification du Contribuable en 2004 et quatre vérificateurs se sont succédé dans le dossier de vérification. Tout au long du processus de vérification, le Contribuable a collaboré avec l’ARQ, tel que mentionné à deux reprises dans la décision. Le Contribuable a complété le questionnaire de l’ARQ où il expliquait notamment avoir reçu un don, qu’il avait eu recours à des marges de crédit et qu’il avait contracté des prêts hypothécaires. L’ensemble des explications étaient appuyées de documents et la Cour relate que plus de 500 pages ont été transmises à l’ARQ.

La Cour note dans sa décision que l’ARQ a toujours justifié sa décision d’avoir eu recours à la méthode indirecte des mouvements de trésorerie, puisque le Contribuable avait «été sélectionné dans le cadre du projet organisationnel de lutte contre l’évasion fiscale pour le projet spécifique «Indices de richesses»». Cependant, le Rapport de l’ARQ ne donnait aucun indice justifiant l’utilisation d’une telle méthode.

La Cour conclut donc en premier lieu que la Succession a prouvé que les conditions requises pour recourir à une méthode alternative n’existaient pas.

La décision dresse une trame factuelle longue et détaillée qui démontre que le comportement du Contribuable n’était pas celui d’un contribuable qui ignore les demandes de l’ARQ ou qui refuse de collaborer avec elle. La Succession a donc démontré selon la Cour de façon prima facie que les conditions requises pour recourir à la méthode de mouvements de trésorerie n’existaient pas au moment de la vérification. La Succession a repoussé la présomption de validité des avis de nouvelle cotisation.

La Cour conclut ensuite que l’ARQ n’a pas réfuté cette preuve prima facie et prouvé par une preuve prépondérante qu’elle était justifiée de recourir à la méthode de mouvements de trésorerie.

La première vérificatrice au dossier est celle qui a décidé d’avoir recours à une méthode indirecte et elle n’a pas témoigné au procès. Il n’y a donc pas eu d’explication sur les raisons pour lesquelles il était impossible d’effectuer une vérification selon l’approche traditionnelle. D’ailleurs, la plupart des vérificateurs n’ont pas témoigné lors de l’audience et la Cour en tire une inférence négative.

QUESTION 2: La Succession a-t-elle démontré prima facie que la méthodologie utilisée par l’ARQ n’est pas fiable, car elle a omis de tenir compte de certaines entrées de fonds qui réduisent de façon substantielle le revenu prétendument non déclaré du Contribuable?

Selon la Succession, les revenus additionnels établis suivant le Rapport de l’ARQ n’étaient pas fiables et comportaient de nombreuses erreurs, autant au niveau des entrées de fonds qu’au niveau des sorties de fonds. La Succession a démontré que l’ARQ n’avait pas tenu compte de plusieurs éléments expliqués et démontrés lors de la vérification. La Cour reprend donc l’analyse de certains éléments afin de déterminer s’ils ont été considérés par l’ARQ, s’ils auraient dû être considérés et qu’elle en est l’impact s’ils le sont. Après avoir conclu que plusieurs éléments auraient dû être considérés par l’ARQ, la Cour doit alors déterminer si l’ARQ a réfuté la preuve prima facie et prouvé la cotisation établie par présomption.

Un seul vérificateur a été entendu pour l’ARQ et selon la Cour celui-ci n’a pas pu expliquer de façon convenable les changements apportés au Rapport. La Cour relate qu’il était confus et hésitant lorsqu’il tentait d’expliquer la méthodologie qu’il a suivie pour préparer ses rapports sur les mouvements de trésorerie et par conséquent elle conclut que l’ARQ ne réfute pas la preuve prima facie présentée par la Succession.

QUESTION 3: L’Agence a-t-elle prouvé que le Contribuable a fait de fausses représentations des faits par incurie ou par omission volontaire dans ses déclarations de revenus pour les années 2001, 2002 et 2003?

La Succession soutenait que les années d’imposition étaient prescrites. L’ARQ était plutôt d’avis que le Contribuable avait fait une fausse représentation des faits par incurie ou par omission volontaire «parce que à la suite d’une vérification des années 2001, 2002 et 2003 par la méthode indirecte de mouvements de trésorerie, nous avons trouvé des écarts considérables qui représentent environ 58 %, 40 % et 48 % des revenus calculés pour le contribuable respectivement pour les années 2001, 2002 et 2003».

La Cour réitère que si l’ARQ n’est pas en mesure de prouver par prépondérance que l’écart dans le mouvement de trésorerie résulte d’une fausse représentation des faits par incurie ou omission volontaire de la part du Contribuable, alors l’appel doit être accueillie car les avis de nouvelle cotisation sont prescrits et l’ARQ ne bénéficie plus de la présomption de validité. La Cour conclut que l’ARQ n’a pas rempli ce fardeau.

 
Il est intéressant de lire que la Cour note que la Succession n’était pas tenue d’expliquer au dollar près cet écart. Le Contribuable avait offert une bonne collaboration et a fourni la grande majorité des documents demandés par l’ARQ et cela était suffisant pour la Cour afin de démontrer la bonne foi du Contribuable.

QUESTION 4: Le Ministre était-il justifié d’imposer les pénalités de l’article 1049 LI pour négligence flagrante?

Suivant les commentaires précédents de la Cour, celle-ci conclut que les critères de l’article 1049 LI n’ont pas été rencontrés.

Cette décision est très pertinente sur le fardeau de preuve et sur la «mécanique» d’un dossier fiscal où l’on conteste l’utilisation d’une méthode indirecte. La Cour fait un excellent rappel des règles aux praticiens quant à la présentation de la preuve dans ce genre de dossier, tant au niveau du fardeau de preuve à compléter qu’au niveau des lacunes à éviter.


  1. 2021 QCCQ 1453, 27 janvier 2021.
  2. 2020 QCCA 46.

  3. 2020 QCCA 1039.

  4. Restaurant Le Relais de Saint-Jean inc. c. Agence du revenu du Québec, 2020 QCCA 823.
Me Julie Gaudreault-Martel
Avocate, Associée BCF
Avocate, Associée chez BCF s.e.n.c.r.l.
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