La détermination d’un avantage imposable sous le par. 15(1) LIR
La détermination d’un avantage imposable sous le par. 15(1) LIR peut-elle reposer uniquement sur l’analyse du compte «Dû à un actionnaire»?
Le paragraphe 15(1) LIR est bien connu des fiscalistes… et des actionnaires qui obtiennent d’une société, un quelconque avantage imposable ou qui pourrait l’être. Ce paragraphe se lit précisément comme suit:
Art. 15(1) Avantages aux actionnaires — La valeur de l'avantage qu'une société confère, à un moment donné, à son actionnaire, à un associé d'une société de personnes qui compte parmi ses actionnaires ou à son actionnaire pressenti est incluse dans le calcul du revenu de l'actionnaire, de l'associé ou de l'actionnaire pressenti, selon le cas, pour son année d'imposition qui comprend ce moment, sauf dans la mesure où cette valeur est réputée en vertu de l'article 84 constituer un dividende ou dans la mesure où cet avantage est conféré à l'actionnaire au moyen de l'une des opérations suivantes:
a) dans le cas où la société réside au Canada à ce moment:
(i) la réduction du capital versé de la société,
(ii) le rachat, l'acquisition ou l'annulation, par la société, d'actions de son capital-actions,
(iii) la liquidation, la cessation ou la réorganisation de l'entreprise de la société,
(iv) une opération à laquelle les paragraphes 88(1) ou (2) s'appliquent;
a.1) dans le cas où la société ne réside pas au Canada à ce moment:
(i) une distribution visée au paragraphe 86.1(1),
(ii) une réduction du capital versé de la société, visée à la subdivision 53(2)b)(i)(B)(II) ou au sous-alinéa 53(2)b)(ii),
(iii) le rachat, l'acquisition ou l'annulation, par la société, d'actions de son capital-actions,
(iv) la liquidation, ou la liquidation et dissolution, de la société;
b) le versement d'un dividende ou d'un dividende en actions;
c) l'octroi à tous les propriétaires d'actions ordinaires du capital-actions de la société à ce moment d'un droit, relatif à chaque action ordinaire et identique à chacun des autres droits conférés à ce moment relativement à chacune des autres actions semblables, d'acquérir d'autres actions du capital-actions de la société; pour l'application du présent alinéa:
(i) les actions ordinaires d'une catégorie donnée du capital-actions de la société sont réputées être identiques aux actions ordinaires d'une autre catégorie de son capital-actions dans le cas où, à la fois:
(A) les droits de vote rattachés à la catégorie donnée d'actions diffèrent de ceux rattachés à l'autre catégorie d'actions,
(B) les modalités des catégories d'actions ne présentent pas d'autres différences qui pourraient donner lieu à un important écart entre la juste valeur marchande d'une action de la catégorie donnée et la juste valeur marchande d'une action de l'autre catégorie,
(ii) des droits ne sont pas considérés comme identiques si leur coût d'acquisition diffère;
d) une opération visée aux alinéas 84(1)c.1), c.2) ou c.3).
Cependant, la CCI a rappelé que ce n’est pas nécessairement parce qu’un montant est inscrit dans un compte de passif du type «Dû à un actionnaire», ou encore que le solde ait augmenté, que ce montant représente un tel avantage qui, par surcroît, serait imposable.
Contexte
En effet, en février dernier, la CCI a rendu une décision dans l’arrêt Houle c. Le Roi[1] où M. Houle contestait deux avis de cotisation émis par l’ARC portant sur les années 2010 et 2011. Pour ces années, l’Agence avait initialement estimé que M. Houle aurait dû avoir ajouté dans ses revenus des montants de 71 657 $ et 35 829 $ respectivement en se basant strictement sur une analyse du compte «Payable à l’actionnaire». À la suite de diverses observations découlant de l’avis d’opposition de M. Houle, ces montants ont ensuite été réduits à 64 489 $ et 32 245 $ respectivement.
Question en litige
Essentiellement, M. Houle contestait l’analyse qui avait été faite par la représentante de l’Agence et notamment la méthode utilisée et les hypothèses de travail à la base des avis de cotisation émis en 2013.
Aux yeux du tribunal, il est rapidement venu à la conclusion que la question fondamentale qui devait être résolue était la suivante:
- Est-ce à bon droit que le ministre a conclu, en utilisant uniquement la différence entre les soldes de début et de fin d’exercice du compte «Payable à l’actionnaire» de la société, qu’un avantage a été conféré à M. Houle?
Les arguments des parties
Au cours des années d’imposition visées, M. Houle était le seul actionnaire et administrateur d’une société qui effectuait la vente de pièces de monnaie de collection ainsi que l’achat et la vente de pièces de collection (voitures miniatures, blousons de course Nascar, timbres, etc.). Son exercice se termine le 30 avril. Lors des premiers avis de cotisation, une somme de 107 486 $ a d’abord été calculée par l’ARC, puis répartie sur les exercices 2010 et 2011 comme mentionné ci-dessus. La répartition calculée par l’Agence n’est pas contestée. C’est plutôt la méthode d’analyse utilisée qui, de l’avis de M. Houle, fait défaut.
En effet, selon l’appelant, l’Agence ne pouvait pas conclure qu’un avantage lui ait été conféré en utilisant uniquement la différence entre les soldes de début et de fin d’exercice du compte «Payable à l’actionnaire» de la société. Selon lui, l’Agence ne pouvait pas tirer une telle conclusion, car il ne s’agissait que de simples écritures comptables. Il a soutenu ne pas avoir reçu 96 734 $ de la société et que, par conséquent, la société ne lui a pas conféré ce montant comme avantage.[2] Les sommes que M. Houle aurait reçues de la société au cours des années d’imposition 2010 et 2011 étaient des remboursements d’avances faites par M. Houle au cours des années d’imposition précédentes.
De son côté, l’Agence a prétendu que M. Houle n’avait pas avancé 96 374 $ à la société au cours de son année d’imposition 2011. Selon l’intimée, M. Houle aurait délibérément augmenté artificiellement le solde du compte «Payable à l’actionnaire» afin de permettre à la société de lui verser des montants libres d’impôt. Par conséquent, selon l’intimée, M. Houle se serait approprié 96 374 $ de la société.
L’intimée a soutenu de plus que le ministre a tenu compte des soldes du compte «Payable à l’actionnaire» uniquement pour l’exercice 2011 de la société. Selon le ministre, la seule analyse pertinente était celle ayant trait à l’exercice 2011 de la société et non aux exercices antérieurs. Par conséquent, l’analyse effectuée par M. Houle concernant les exercices de la société antérieurs à 2011 n’était pas pertinente.[3]
La preuve
Selon le tribunal, la preuve a démontré que l’ARC a conclu que la société a conféré à M. Houle cet avantage après avoir examiné les écritures comptables «de régularisation de fin d’exercice» et la «balance de vérification» de la société. Selon le témoin de l’Agence ayant procédé à cette analyse, «ces écritures ont vraisemblablement été faites par le comptable afin d’établir le solde de fin d’exercice du compte «Payable à l’actionnaire» de la société pour 2011».[4]
Dans sa contestation devant la CCI, M. Houle a produit plusieurs tableaux Excel exposant des dépenses qu’il aurait payées pour le compte de la société au cours des années 1999 à 2008 inclusivement. Selon l’appelant, il aurait ainsi avancé 379 980 $ à la société dans cette période.
Au cours du procès, constatant certaines erreurs d’écritures comptables, les parties ont convenu de diminuer d’un montant additionnel de 34 352 $ le montant de revenus en litige, pour l’établir globalement à 62 382 $ à répartir dans les deux années en cause. Lors des plaidoiries, d’autres erreurs ont été relevées ayant pour effet de réduire un autre 26 351 $ du compte «Payable à l’actionnaire». Le tribunal en est donc venu à la conclusion que le montant en litige se résumait à la somme de 36 029 $.
L’analyse
Se référant à la décision de la CAF dans l’arrêt Laliberté c. La Reine,[5] l’honorable juge Ouimet de la CCI a maintenu que l’analyse du paragraphe 15(1) LIR comporte trois étapes, en ajoutant que cette analyse est intrinsèquement factuelle:
- Déterminer si un avantage a été conféré à l’actionnaire en sa qualité d’actionnaire;
- Déterminer précisément la teneur de l’avantage;
- Déterminer la valeur de l’avantage conféré à l’actionnaire en fonction de ce qu’il lui en aurait coûté s’il n’avait pas été un actionnaire.
Par son témoignage, l’appelant a prétendu avoir avancé les sommes mentionnées. L’intimée a allégué au contraire qu’au moyen d’écritures comptables, le comptable de la société a délibérément augmenté artificiellement le solde du compte «Payable à l’actionnaire» de la société. Ce stratagème aurait permis à M. Houle de se faire rembourser plus tard des avances qui n’auraient pas été faites. Essentiellement, l’intimée a allégué l’existence de fausses écritures comptables.
À ce propos, la Cour a cité le passage suivant de l’arrêt Chaplin c. La Reine,[6] propos auxquels a souscrit l’honorable juge Ouimet:
[114] Cela dit, je ne suis pas convaincu que le simple fait de faire une fausse écriture comptable, même sciemment, confère un avantage à un actionnaire. Il me semble que l’avantage est conféré lorsqu’un bien de valeur est donné à l’actionnaire. Tout au plus, une fausse écriture comptable jette les bases du déguisement d’un crédit futur ou de la dissimulation d’une dette due par un actionnaire à la société. Elle ne constitue pas en soi un avantage.
Au surplus, rappelant la décision Laliberté,[7] la CAF a mentionné qu’un avantage conféré doit être réel et non une «fiction légale». Selon le juge Ouimet, ceci inclut les «fictions comptables».
Par ailleurs, le juge a ajouté que le terme «avantage» n’est pas défini dans la LIR, mais que le dictionnaire Petit Robert le définit comme suit: «Ce qui est utile, profitable».
Quant au terme «profitable», il renvoie à l’idée de «tirer profit» de quelque chose et donc au terme «profit». Ce terme est défini dans le Petit Robert comme suit: «Augmentation des biens que l’on possède, ou amélioration de situation qui résulte d’une activité».
Pour la Cour, la preuve n’a pas démontré que M. Houle ait reçu des montants de la société pour les années en contestation, outre les sommes reçues en remboursement de celles qu’il avait avancées.
En conséquence, la Cour n’a pu conclure que M. Houle ait reçu un avantage de la société en 2010 et 2011.
Par ailleurs, l’intimée a soutenu que selon la décision Dumais c. La Reine[8] de la CAF, la Cour devrait conclure qu’un avantage au sens du paragraphe 15(1) LIR a été conféré à un actionnaire en raison d’une augmentation du solde du compte «Payable à l’actionnaire» au cours d’une année d’imposition.
L’honorable juge Ouimet a dit ne pouvoir souscrire à cet argument. Dans la cause Dumais, qui se distingue des faits sous analyse, l’unique actionnaire et administrateur de la société n’avait pas payé le plein prix de vente d’un immeuble que la société lui avait vendu. En effet, un solde de 42 000 $ du prix d’achat de l’immeuble demeurait impayé après quelques années, alors que le compte «Payable à l’actionnaire» avait augmenté à chaque année, au lieu de diminuer. L’ARC a conclu que l’actionnaire avait obtenu un avantage correspondant à la différence entre le prix de vente et la somme versée à la société par l’actionnaire pour l’immeuble.
L’ARC avait au préalable conclu que le solde du compte «Payable à l’actionnaire» de la société n’avait pas été rajusté pour tenir compte de ce fait. Aucune quittance n’avait apparemment été donnée. Mme Dumais avait plaidé compensation sans être en mesure de le démontrer.
D’autre part, dans l’arrêt Dumais, il n’était pas question d’écritures comptables fausses, mais bien d’avances non remboursées dans les faits.
La Cour a donc donné droit à l’appel de M. Houle et a référé le dossier au ministre pour un réexamen.
Conclusion
Compte tenu de l’analyse qui précède, la Cour a estimé que le ministre (ou l’Agence) ne pouvait pas conclure qu’un avantage ait été accordé à un actionnaire au sens du paragraphe 15(1) LIR par la seule analyse du compte «Payable à l’actionnaire» ou uniquement en faisant la preuve qu’à la suite d’écritures comptables fausses, le solde du compte «Payable à l’actionnaire» ait été augmenté artificiellement.
- Houle c. Le Roy, 2023 CCI 2 (CanLII), 14 février 2023.
-
Houle c. Le Roy, 2023 CCI 2, par. [9].
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Houle c. Le Roy, 2023 CCI 2, par [10].
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Houle c. Le Roy, 2023 CCI 2, par. [14].
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Laliberté c. La Reine, 2020 CAF 97.
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Chaplin c. La Reine, 2017 CCI 194, par. [114].
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Laliberté c. La Reine, 2020 CAF 97, par. 35.
- Dumais c. La Reine, 2008 CAF 174.