Fiscalité et comptabilitéoctobre 25, 2018|Mis à jourjuin 11, 2020

Quand un pompier dépasse les bornes !

Par Me Frédéric Poirier et Me Stéphanie Lalande du cabinet Bélanger Sauvé.

Résumé : Le Tribunal administratif du travail a récemment rejeté une plainte suivant l’article 15 du Code du travail déposée par un lieutenant pompier congédié pour des motifs disciplinaires en même temps qu’il participait à une campagne de syndicalisation. Le tribunal souligne au passage l’importance du respect de la ligne de commandement par les pompiers d’un service d’incendie municipal.

Faits

Le plaignant occupait le poste de lieutenant au service des incendies de la Ville de Richelieu. Il a été congédié pour des motifs disciplinaires de façon concomitante à sa participation à une campagne de syndicalisation. En conséquence, celui-ci a déposé une plainte en vertu de l’article 15 du Code du travail. Ainsi, le tribunal(1) mentionne d’emblée que la question à laquelle il faut répondre est la suivante :

Est-ce que la Ville a réussi à repousser la présomption en démontrant l’existence d’une autre cause juste et suffisante de congédiement?

La Ville reproche ce qui suit au plaignant :

  1. Critiques envers la direction :
    • Au début de l’année 2016, des membres de l’état-major constatent que le comportement du plaignant est problématique. Il a une attitude rebelle face à l’autorité et conteste ouvertement la compétence de ses supérieurs. Il traite ses supérieurs de « trou du cul » et de « mange marde ». Dans un courriel qu’il envoie aux autres membres de l’état-major, il exprime :
    • Présentement à Richelieu, ce sont les pompiers et les lieutenants qui amènent des méthodes de travail, parce que les membres de la direction n’ont aucune expérience dans un service d’incendie permanent. […] Il faut évoluer et non rester comme il y a 10 ans !
    • En juin 2016, la situation se détériore encore un peu plus. Dans un autre courriel qu’il envoie à ses supérieurs, il fait preuve d’impolitesse.
  2. Événements des 7 et 14 juin :
    • Le 7 juin en soirée, un exercice est prévu à la caserne. Le plaignant mentionne à son supérieur qu’il n’y aura pas de pratique aujourd’hui parce « qu’il a des choses à régler », « que c’est ce soir que ça se passe » et « qu’il va kicker le nid d’abeilles ».
    • Effectivement, l’exercice est annulé par un membre de l’état-major. Il y a une rencontre et lors de cette rencontre, le plaignant s’emporte. Il est hostile et acrimonieux envers ses interlocuteurs. Il pointe du doigt et traite le directeur des incendies de « washer ».
    • Le 14 juin, un second exercice est annulé toujours en raison du comportement du plaignant.
  3. Refus de suivre les procédures à Rouville Station le 20 juin :
    • La Ville blâme le plaignant pour ne pas avoir respecté les procédures du Service des incendies en se rendant sur le site d’une intervention à bord du mauvais véhicule.
  4. Refus de suivre les procédures lors d’un incendie de véhicule le 22 juin :
    • La Ville reproche également au plaignant de ne pas avoir respecté les procédures en se rendant sur les lieux d’un accident de la route à bord du mauvais véhicule.
  5. Dénigrement de ses supérieurs auprès d’un employé de la Ville le 23 juin : 
    • La Ville accuse le plaignant d’avoir dit à un inspecteur municipal que le Service des incendies manquait de professionnalisme et qu’il est géré à la façon « d’un petit village », « par des mononcles » et « qu’il y a beaucoup de choses qu’il a noté qui pourrait constituer un dossier incriminant envers les gens du service incendie ».
  6. Refus d’obtempérer à une consigne le 7 juillet :
    • La Ville affirme que le plaignant n’a pas obtempéré à un ordre du directeur en refusant de remettre à un propriétaire un document intitulé « Remise de propriété », lequel fait état des correctifs que ce dernier doit apporter à sa résidence.
  7. Refus d’obtempérer à une consigne le 17 juillet :
    • La Ville blâme le plaignant pour son comportement lors d’une intervention impliquant un feu de grange dans une municipalité voisine. Son supérieur rapporte qu’à cette occasion le plaignant a contrevenu à deux reprises aux consignes de l’officier responsable.
Suite aux événements survenus les 7 et 14 juin, une enquête débute. Le 4 août, le plaignant est suspendu cinq jours pour ces événements.

Au cours de l’été 2016, l’Association des pompiers crée une page Facebook afin que les membres de la brigade puissent converser confidentiellement sur des sujets qui les concernent.

Un des lieutenants accède à cette page et n’aime pas ce qu’il lit. Il considère que les échanges vont dans la mauvaise direction et que les propos de certains de ses collègues dépassent les limites acceptables, notamment parce qu’ils critiquent sans ménagement et en termes très peu élogieux le travail des membres de l’état-major.

Le lieutenant décide de rapporter à ses supérieurs la teneur de ces échanges. Le 29 août, il rencontre ses supérieurs à cet égard.

Le 31 août, il rencontre le plaignant et lui relate ce qu’il a lu sur Facebook. Ce dernier lui demande de fournir des preuves.

Suivant tous les événements, le 6 septembre, le conseil municipal décide de congédier le plaignant parce qu’il n’est pas digne de confiance, qu’il a une attitude négative et qu’il n’a aucun respect pour la Ville et l’état-major. Il estime que sa présence a un effet toxique sur le service des incendies.

Décision

Tout d’abord, le juge administratif signale que le litige se déroule dans un service municipal de lutte contre les incendies où doit régner une discipline quasi militaire. Il en va de l’efficacité des interventions et de la sécurité des pompiers et du public. Il faut donc obéir aux ordres, respecter la hiérarchie et suivre la ligne de commandement. De plus, à titre de lieutenant, le plaignant doit faire respecter l’autorité de ses supérieurs.

En ce qui concerne les suspensions relatives aux événements des 7 et 14 juin, le juge administratif confirme que le comportement du plaignant méritait une suspension. En effet, le plaignant a agi de façon hostile et agressive envers ses supérieurs, en plus d’avoir insulté le directeur des incendies en son absence.

Le juge examine ensuite des captures d’écran de Facebook, dont il fait état comme suit :
[79] Tout d’abord, le 16 août, alors que les pompiers sont convoqués par le directeur du SSIR à une rencontre obligatoire le 23 août pour faire le point sur leur assiduité au travail, le plaignant écrit : « Je pense plus que ce mardi-là [en référence au 23 août], il n’y a pas de pratique obligatoire, ni rien de prévu à l’horaire. Tout le monde est occupé ce soir-là! » [Notre soulignement]. De fait, à peine la moitié des pompiers se sont présentés à cette réunion.

Le juge en conclut qu’en boycottant une rencontre obligatoire, le plaignant contrevient à ses obligations déontologiques et professionnelles. Il s’agit d’une faute grave, d’autant plus qu’il occupe un poste de lieutenant et qu’il a été avisé 12 jours auparavant, lors de la remise de sa lettre de suspension, que toute faute pourrait mener au congédiement.

Suivant tous les événements initiaux, la suspension et les interventions sur la page Facebook, le juge administratif confirme le congédiement. Plus précisément, il souligne ce qui suit :

[87] Le congédiement peut sembler sévère, mais, étant donné la gravité de la faute prouvée, cette sanction n’est certainement pas illogique ou abusive au point de dissimuler un prétexte pour réprimer l’exercice des droits syndicaux du plaignant. Cela étant, il n’appartient pas au Tribunal d’agir comme arbitre de griefs et de substituer à la décision de la Ville celle qui lui paraît juste et raisonnable, compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire.

 

[88] Selon monsieur Chagnon, président de l’Association à l’époque pertinente au litige, la fin d’emploi du plaignant n’a strictement rien à voir avec ses activités syndicales. Le Tribunal partage ce point de vue et conclut que le congédiement du plaignant est totalement étranger à sa participation à une campagne de syndicalisation.
  1. Gauthier et Ville de Richelieu, 2018 QCTAT 4141.
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