Fiscalité et comptabilitéaoût 11, 2022

La Cour suprême refuse un recours en annulation fondé sur l’équité

Contexte

Dans des situations exceptionnelles, les tribunaux acceptent d’intervenir afin de corriger une erreur commise dans des transactions effectuées par des contribuables dans des circonstances où il serait inéquitable de laisser ces contribuables subir des conséquences fiscales négatives et inattendues. Dans des chroniques précédentes(1), le soussigné avait commenté certaines décisions des tribunaux canadiens, dont la Cour suprême du Canada, ayant soit permis ou refusé de donner droit aux recours entrepris par les contribuables visant à soit corriger une transaction ou à l’annuler, pour des motifs d’équité.

Tout récemment, la Cour suprême a majoritairement (8 contre 1) décidé de ne pas accorder le recours en annulation dans deux dossiers similaires. La présente chronique fera état de la décision majoritaire de huit des neuf juges, mais aussi de la dissidence de l’Honorable juge Côté dans les causes jumelles P.G. Canada c. Collins Family Trust et P.G. Canada c. Cochran Family Trust(2).

Les faits

Les faits remontent à 2008. Dans les deux cas, les sociétés Rite-Way Metals Ltd. et Harvard Industries Ltd., domiciliées en Colombie-Britannique, ont requis les services et avis professionnels de la même firme d’experts-comptables et fiscalistes, à quelques mois d’intervalle, afin d’élaborer et mettre en place un plan visant la protection des actifs de ces sociétés contre leurs créanciers sans qu’il n’y ait d’impôt à payer sur le revenu. Le plan convenu faisait intervenir la création d’une fiducie familiale (pour chacune des sociétés) et d’une société de portefeuille, et d’utiliser les règles d’attribution prévues au paragraphe 75(2) LIR ainsi que la déduction des dividendes prévue au paragraphe 112(1) LIR.

Plus concrètement, dans chaque cas, une société de portefeuille a été constituée pour l’achat d’actions de la société d’exploitation, une fiducie familiale nommant la société de portefeuille à titre de bénéficiaire a été créée, et des fonds ont été prêtés à la fiducie pour l’achat d’actions de la société d’exploitation. Les sociétés d’exploitation ont payé des dividendes aux fiducies, lesquels ont été attribués aux sociétés de portefeuille en application du paragraphe 75(2) LIR. Ces dernières ont pour leur part demandé, en vertu du paragraphe 112(1) LIR, une déduction à l’égard de ces dividendes. Cela a eu pour effet de transférer 510 000 $ de la société Rite‑Way à la fiducie familiale Collins, et 2 085 000 $ de la société Harvard à la fiducie familiale Cochran, et ce, sans que soit payé d’impôt sur le revenu.

Dans l’élaboration de ce plan, la firme d’experts-comptables a tenu compte de l’interprétation des dispositions pertinentes publiées à l’époque par l’ARC(3), interprétation qui était d’ailleurs généralement soutenue par les fiscalistes dans la communauté fiscale, de même que par les procureurs du ministre devant les tribunaux dans ces deux dossiers, jusqu’en Cour d’appel.

Cependant, en 2011 dans l’arrêt Sommerer(4), sous la plume du juge Miller, la Cour canadienne de l’impôt a jeté une douche d’eau froide à l’égard de cette interprétation en concluant que les règles d’attribution prévues au paragraphe 75(2) LIR étaient inapplicables lorsque les biens en question avaient été vendus à une fiducie, plutôt que donnés ou affectés à celle‑ci. Bref, la CCI a dit que l’interprétation de l’ARC était erronée. Cette décision a été portée en appel et la Cour d’appel fédérale a confirmé la décision de la CCI(5). Jusqu’à ce moment, il était généralement admis que les règles d’attribution s’appliquaient tant que la fiducie détenait le bien, point de vue qui était également partagé par l’ARC.

En réaction à ces décisions, l’ARC a réévalué sa position et émis des avis de nouvelles cotisations à l’égard des sociétés concernées en mars 2016 et ce, rétroactivement pour les années 2008 à 2010. Ces avis de nouvelles cotisations ont évidemment été contestés par les sociétés concernées, mais sans succès.

De plus, devant la nouvelle position dorénavant soutenue par les autorités fiscales et l’échec des contestations des avis de nouvelles cotisations, les sociétés se sont adressées aux tribunaux afin de faire annuler les transactions ayant mené au paiement de dividendes et pour l’annulation des dividendes eux-mêmes.

La décision de la Cour suprême résume bien le sort de ces demandes devant les tribunaux de la Colombie-Britannique:

[5] Le juge en cabinet a accordé l’annulation en se fondant sur l’arrêt Re Pallen Trust, 2015 BCCA 222, 385 D.L.R. (4th) 499, où la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique, appliquant le test anglais relatif à l’annulation en equity énoncé dans Pitt c. Holt, [2013] UKSC 26, [2013] 2 A.C. 108, a confirmé une ordonnance annulant les mêmes types d’opérations sur le fondement d’une erreur quant à leurs conséquences fiscales (2019 BCSC 1030, [2020] 1 C.T.C. 26). Bien qu’il se soit dit préoccupé par le fait que les arrêts rendus par notre Cour dans Hôtels Fairmont et dans l’affaire connexe, Groupe Jean Coutu (PJC) inc. c. Canada (Procureur général), 2016 CSC 55, [2016] 2 R.C.S. 670, aient grandement miné l’arrêt Re Pallen Trust, le juge en cabinet s’est considéré lié par ce dernier. La Cour d’appel a confirmé sa décision, statuant qu’il n’avait pas commis d’erreur en appliquant Re Pallen Trust ou en exerçant le pouvoir discrétionnaire que lui confère l’equity (2020 BCCA 196, [2021] 1 C.T.C. 153). Les arrêts Hôtels Fairmont et Jean Coutu, a‑t‑elle affirmé, s’appliquent restrictivement afin d’empêcher la rectification; ni l’un ni l’autre ne permet d’empêcher largement l’octroi de toute réparation en equity dans les circonstances de l’espèce, ni ne mine la valeur jurisprudentielle de l’arrêt Pitt c. Holt.

La décision de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a été portée en appel devant la Cour suprême par le Procureur général du Canada qui a soutenu que:

  1. les juridictions inférieures ont commis une erreur en adoptant le test de l’annulation en equity énoncé dans Pitt c. Holt, et
  2. subsidiairement, si cet arrêt s’applique, elles ont commis une erreur dans son application.

Décision de la Cour suprême

L’analyse de l’opinion majoritaire

Dans une décision majoritaire rendue sous la plume de l’Honorable juge Brown, huit juges ont donné raison au premier argument de l’appelant; la juge Côté aurait rejeté l’appel et conséquemment accordé l’annulation des transactions en question.

Pour les juges de la majorité, le principe d’equity est limitatif et il repose sur ses origines, à savoir qu’il a été établi pour «atténuer les résultats découlant «[d’une common law inflexible» qui commandaient la réparation comme question de «conscience» et de «plus grande équité» (J. Berryman, The Law of Equitable Remedies (2e éd. 2013), p. 2)(6)…».

Bien que les tribunaux disposent d’une grande latitude pour accorder une réparation en equity, leur application relève d’un principe dit «limitatif». Cette compétence est reconnue dans les situations de fraude, d’abus, d’influence indue et les opérations iniques. «En général, le tribunal d’equity peut accorder une réparation quand il serait inique ou inéquitable de permettre que la common law s’applique en faveur de la partie qui sollicite l’exécution de la transaction. Cependant, il n’y a rien d’inique ou d’inéquitable dans l’application ordinaire de lois fiscales à des opérations librement convenues.»(7) Citant l’arrêt Canada-Vie(8), pour la majorité, le contribuable doit être imposé sur les conséquences fiscales qui découlent de ce qu’il a fait, et non de ce qu’il a envisagé réaliser.

Ainsi, sauf disposition contraire de la loi, les contribuables doivent être imposés conformément à l’application ordinaire de la loi fiscale applicable, en fonction de ce qu’ils ont vraiment convenu de faire, et non pas de ce qu’ils auraient pu faire.(9) «S’il doit y avoir une réparation, c’est au Parlement, et non à un tribunal d’equity, de l’accorder. Pour ce seul motif, on ne peut, à mon avis, considérer que les arrêts Pitt c. Holt et Re Pallen Trust énoncent le droit applicable en Colombie‑Britannique.»(10)

La Cour souligne que le principe de Shell Canada a été appliqué dans les arrêts Hôtels Fairmont et Jean Coutu en concluant que les instruments en cause dans ces affaires ne pouvaient pas être rectifiés (dans Hôtels Fairmont) ou encore interprétés ou rétroactivement modifiés (dans Jean Coutu) afin d’éviter une conséquence fiscale négative imprévue. Étonnamment, se référant aux décisions de la Cour suprême dans Hôtels Fairmont et Jean Coutu, l’Honorable juge Brown commente que: «[S]i, après tout, les contribuables peuvent structurer leurs affaires afin de réduire leur impôt à payer, ils peuvent également être considérés comme ayant organisé leurs affaires de manière à augmenter cet impôt(11) (nos soulignés)

Plus spécifiquement, le juge Brown précise qu’il s’agit de savoir ce que le contribuable a convenu de faire, et non pas si le contribuable ou l’ARC a tiré un «gain fortuit», comme l’a mentionné la Cour tant dans Hôtels Fairmont que dans Jean Coutu, bien que le fondement de cette dernière affaire relève de l’article 1425 du Code civil du Québec.

Des arrêts Hôtels Fairmont et Jean Coutu, pris ensemble, l’Honorable juge Brown dégage les principes interreliés suivants, lesquels sont pertinents pour permettre de trancher le pourvoi sous l’étude:

  1. Les conséquences fiscales ne découlent pas des motivations ou des objectifs des parties contractantes. Elles découlent plutôt des rapports juridiques librement choisis, tels qu’établis par leurs transactions (Jean Coutu, par. 41; Hôtels Fairmont, par. 24).
  2. Les contribuables ne devraient certes pas se voir refuser un objectif fiscal visé qu’ils devraient atteindre par l’application ordinaire d’une loi fiscale, mais cette proposition joue également dans l’autre sens: les contribuables ne devraient pas se voir conférer par les tribunaux un avantage que la même application ordinaire d’une loi leur refuse, uniquement sur la base de ce qu’ils auraient fait s’ils avaient su (Hôtels Fairmont, par. 23, citant Shell Canada, par. 45; Jean Coutu, par. 41).
  3. La question qui se pose ne concerne pas plus le «gain fortuit» du trésor public lorsqu’un contribuable perd un avantage qu’elle ne concerne le «gain fortuit» du contribuable lorsqu’il obtient un avantage. Il s’agit plutôt de savoir ce que le contribuable a convenu de faire (Hôtels Fairmont, par. 24).
  4. Le tribunal ne peut modifier un instrument simplement parce qu’une partie a découvert que son exécution fait naître une obligation fiscale préjudiciable et imprévue (Hôtels Fairmont, par. 3; Jean Coutu, par. 41).

Toutefois, il restait à déterminer si ces principes s’appliquaient uniquement à la rectification ou s’ils pouvaient être étendus de façon plus générale afin d’inclure l’annulation d’une transaction.

S’appuyant sur la décision de la Cour rendue dans Canada Life, les juges majoritaires ont conclu que les tribunaux ne pouvaient «réécrire l’histoire» afin de corriger une erreur menant à une obligation fiscale imprévue, ni admettre une «planification fiscale rétroactive inadmissible».(12) Dans cette affaire, Canada-Vie et ses sociétés affiliées avaient structuré leurs affaires afin de tenter de déduire des pertes fiscales dans le but de compenser des gains de change non réalisés accumulés dans la même année. L’ARC avait refusé la déduction de ces pertes. Canada-Vie a alors demandé d’obtenir la correction des actes, ce qui fut accordé en première instance, mais refusé en appel par suite de la décision Hôtels Fairmont. Canada-Vie a ensuite demandé d’obtenir l’annulation des mêmes transactions, ce qui fut également refusé en appel. Se fondant sur les principes énoncés dans les décisions Hôtels Fairmont et Jean Coutu, la Cour d’appel a étendu à l’annulation l’application des principes énoncés en lien avec la rectification.

Appliquant la ratio decidendi énoncée dans Canada Life (et d’autres décisions), la CSC en a conclu que la demande en annulation devait être refusée, d’où l’accueil de l’appel logé par le Procureur général du Canada.

Au surplus, en tenant compte que la décision du juge Miller dans Sommerer n’avait pas pour effet de modifier le droit, la Cour a conclu que le ministre était tenu d’appliquer la loi — à savoir le paragraphe 75(2) LIR — tel que le tribunal l’avait interprété et ce, conformément au paragraphe 220(1) LIR, malgré l’interprétation commune qu’en avaient fait les fiscalistes et l’ARC elle-même.

En conséquence, l’appel du Procureur général du Canada a été accordé et les demandes d’annulation des sociétés ont été refusées, celles-ci devant assumer les frais à tous les niveaux.

L’analyse de la juge Côté, dissidente

À notre avis, l’opinion de l’Honorable juge Côté, quoiqu’elle soit l’unique dissidente, mérite que l’on s’y attarde.

Selon la juge Côté, les arrêts Hôtels Fairmont et Jean Coutu ne permettent pas de trancher les demandes soumises par les intimées, lorsque l’on tient compte du contexte fiscal particulier à ces affaires. Ces arrêts ne sont pas déterminants en ce qui a trait à la possibilité d’une annulation dans le contexte fiscal. De plus, ces décisions n’empêchent pas le recours à l’annulation, notamment en contexte fiscal. Ces décisions ne portaient pas sur l’annulation de transactions, mais plutôt sur leur correction.

La rectification est différente de l’annulation. Les deux recherchent à obtenir une forme de réparation, mais elles ne produisent pas les mêmes effets:

[42] La rectification exige qu’il y ait eu une décision antérieure valide en vue d’exécuter une opération en particulier, laquelle a été mal transcrite sur papier. Cette réparation repose sur la prémisse selon laquelle il serait inéquitable de considérer une personne liée par une opération à laquelle elle n’a jamais donné son accord (Swan, Adamski et Na, s.8.406). L’annulation, pour sa part, remédie à une erreur. Elle présuppose que l’opération a été transcrite correctement, mais qu’elle a été conclue sur le fondement d’une hypothèse erronée quant aux faits ou au droit. Si elle est accordée, l’annulation [traduction] « ramène les parties au statu quo antérieur et les remet dans la situation où elles se trouvaient avant la conclusion du contrat » (Guarantee Co. of North America c. Gordon Capital Corp., 1999 CanLII 664 (CSC), [1999] 3 R.C.S. 423, par. 39 (je souligne), citant Abram Steamship Co. c. Westville Shipping Co., [1923] A.C. 773 (H.L.), p. 781; voir aussi Snell’s Equity (34e éd. 2020), par J. McGhee et S. Elliott, par. 15‑001). Autrement dit, la rectification vise à s’assurer que l’instrument écrit reflète correctement l’entente antérieure des parties, alors que l’annulation permet au tribunal d’annuler rétroactivement une opération conclue par erreur, replaçant ainsi les parties dans la situation dans laquelle elles se trouvaient à l’origine.

Selon la juge Côté, la décision Pitt c. Holt(13) s’applique à l’annulation dans les circonstances. Se référant à la doctrine, la juge Côté opine que le tribunal peut annuler une disposition volontaire lorsqu’il y a «une erreur causale manifeste et suffisamment grave qui exige une intervention en equity». De plus, «le test ne sera normalement respecté que s’il y a erreur soit en ce qui a trait au caractère ou à la nature juridique d’une opération, soit en ce qui a trait à une question de fait ou de droit qui est fondamentale à l’opération.»(14) Le test pour l’annulation ne comporte pas un ensemble strict de règles. Il s’agit plutôt d’une approche où les faits propres à chaque affaire sont évalués objectivement de manière holistique, comme il est expliqué dans l’arrêt Pitt c. Holt.

Ainsi, seule une erreur, et non pas la simple ignorance ou une «prédiction inexacte», peut justifier l’annulation. Citant lord Walker dans Pitt c. Holt, la juge Côté poursuit: «la prédiction inexacte se rapporte à une éventualité, alors que l’erreur importante sur le plan juridique se rapporte normalement à une question de fait ou de droit passée ou actuelle». Autrement dit, la prédiction inexacte est une croyance qui se révèle fausse par la suite, alors que l’erreur est une croyance qui est fausse au moment de l’opération. Et la juge Côté ajoute: «en fin de compte, l’equity n’interviendra pas pour soustraire un contribuable aux conséquences d’un risque qui a été accepté sciemment ou par insouciance.»

[52] En outre, une opération qui aurait constitué de l’évitement fiscal abusif n’eût été l’erreur pourrait être une considération à prendre en compte dans l’analyse holistique et empêcher l’annulation. Il s’agirait d’un élément important dans l’analyse globale, car cela mettrait en évidence le risque que le contribuable a accepté et aiderait à déterminer s’il y a lieu de faire intervenir l’equity. Lorsqu’un plan fiscal est « agressif », le contribuable accepte le risque que le plan ne se réalise pas de la manière prévue. Cela milite contre la possibilité de l’annulation.

Pour que l’annulation puisse être accordée, il faut que l’erreur soit suffisamment grave. L’annulation pourra être accordée dans tous les cas où ne pas le faire entraînerait une iniquité ou une injustice.

Dans les faits, les contribuables avaient sollicité et obtenu des plans de réorganisation visant légitimement la protection des actifs des sociétés, et des avis auprès de professionnels compétents, lesquels avaient été élaborés à partir de l’interprétation générale et commune de l’application des paragraphes 75(2) et 112(1) LIR, incluant celle de l’ARC elle-même. La juge Côté souligne également que, même après avoir émis les avis de nouvelles cotisations, l’ARC plaidait encore en faveur de son interprétation de ces dispositions, jusqu’au niveau de l’appel:

[65] Avant Sommerer, il était généralement compris dans le milieu fiscal — l’ARC partageant ce point de vue également — que le par. 75(2) s’appliquait tant à une vente d’actions qu’à un don d’actions. Dans l’affaire Sommerer, l’ARC, invoquant son Bulletin d’interprétation IT‑369R(CS), « Attribution du revenu provenant d’une fiducie à un auteur ou disposant » (24 juin 1994), soutenait que le par. 75(2) s’appliquait à la fois aux actions vendues et aux actions données : une personne autre que le disposant pouvait transférer des biens à une fiducie et devenir assujettie aux règles d’attribution. L’ARC a soutenu cette thèse dans ses observations devant la Cour de l’impôt et devant la Cour d’appel fédérale. À la Cour de l’impôt, le juge Miller a statué que l’interprétation de l’ARC était erronée. Il a conclu que la « personne » visée au par. 75(2) devait être le disposant de la fiducie. Par conséquent, une personne autre que le disposant ne pouvait transférer des biens à une fiducie et devenir assujettie aux règles d’attribution prévues au par. 75(2). L’ARC a porté en appel cette décision et a maintenu sa position devant la Cour d’appel fédérale, faisant valoir que le juge de première instance avait commis une erreur dans son interprétation du par. 75(2) : une interprétation textuelle, contextuelle et téléologique de la disposition appuyait la thèse selon laquelle la disposition s’appliquait tant aux actions vendues qu’aux actions données.

Cette décision de la CCI a été confirmée par la CAF en 2012. En 2008, les contribuables avaient donc appliqué un plan qui reposait sur la compréhension du droit jusqu’à l’arrêt Sommerer, soit en 2011. Avant cette décision, aucun jugement n’avait interprété le paragraphe 75(2) LIR. Le plan mis en place n’était aucunement une planification fiscale agressive et les contribuables ne recherchaient aucunement à tirer un avantage indu de l’application de la loi, que ce soit dans un contexte littéral ou téléologique. L’ARC était même en accord avec le plan puisque l’ARC n’aurait émis aucune cotisation additionnelle n’eût été la décision Sommerer. Le seul risque, considéré comme minime, auquel s’exposaient les sociétés, à leur connaissance, reposait sur la RGAE.

En agissant comme elle l’a fait, l’ARC s’est placée dans une position d’appliquer une mesure fiscale négative rétroactivement à l’égard de contribuables, ce qui contrevient aux principes reconnus en fiscalité canadienne, et ce qui justifie, en soi, l’intervention des tribunaux en equity.

Enfin, il faut s’interroger à savoir s’il existe d’autres recours ou si, vraiment, l’annulation est la solution de réparation de «dernier recours».

Bien que les sociétés puissent demander l’intervention du ministre par mesure d’équité, selon la juge Côté, le processus est à toutes fins pratiques long, ayant peu de chance de succès, et il ne permettrait vraisemblablement pas de corriger la situation inéquitable dans laquelle les sociétés se sont retrouvées. Par ailleurs, compte tenu du contexte et de l’état des connaissances fiscales en 2008, un recours qui serait entrepris contre la firme d’experts-comptables serait voué à l’échec. Il n’existe donc pas d’autre remède ou recours qui permettrait aux intimées d’obtenir réparation; le seul disponible est l’annulation. Et les tribunaux possèdent la discrétion nécessaire pour y donner droit, selon la juge Côté.

En conséquence, pour l’Honorable juge Côté, le recours en annulation aurait dû être admis, puisque toutes les conditions sont satisfaites.

Commentaires

Avec déférence, à notre humble avis, l’honorable juge Côté a bien perçu le contexte dans lequel le plan exécuté par les conseillers fiscaux des deux sociétés a été élaboré. Il est vrai que les bulletins, circulaires et folios de l’ARC ne constituent pas une source de droit. Cependant, lorsque même l’ARC plaide en faveur de son interprétation dans ces documents devant la CCI ou même la CAF, alors qu’elle soutient des avis de cotisation fondés sur des règles contraires ou contradictoires, les tribunaux devraient, en toute équité, intervenir et accorder une forme de protection envers les contribuables qui élaborent par erreur, des plans, structures et transactions fondées de bonne foi sur la compréhension générale de l’état du droit à ce moment, sans rechercher à abuser de la loi et dans le respect de ce qui se révèle la compréhension du droit, le tout selon les critères indiqués par l’honorable juge Côté. L’iniquité est encore plus frappante lorsque les autorités fiscales utilisent leur pouvoir de cotiser rétroactivement et en toute connaissance de cause.


  1. CCH — Fiscalité, Vol. 14, numéro 11, novembre 2012; Wolters Kluwer (CCH) Expertise — Fiscalité, janvier 2014; Wolters Kluwer Intelliconnect — Fiscalité, février 2017.
  2. Procureur général du Canada c. Collins Family Trust et Procureur général du Canada c. Cochran Family Trust, 2022 CSC 26 (CanLII) (17 juin 2022).

  3. IT-369R(CS) «Attribution du revenu provenant d’une fiducie à un auteur ou disposant» (24 juin 1994).

  4. Sommerer c. La Reine, 2011 CCI 212.

  5. 2012 CAF 207, [2014] 1 R.C.F. 379.

  6. Supra note 2, par. [9].

  7. Supra note 2, par. [11].

  8. Canada Life Insurance Co. of Canada c. Canada (Attorney General), 2018 ONCA 562, 141 O.R. (3d) 321, par. 93.

  9. Supra note 2, par. [12]. Ref. incluses: (Shell Canada, par. 45, citant Duha Printers (Western) Ltd. c. Canada, 1998 CanLII 827 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 795, par. 88; Neuman c. M.R.N., 1998 CanLII 826 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 770, par. 63).

  10. Supra note 2, par. [11].

  11. Supra note 2, par. [13].

  12. Supra note 2, par. [19].

  13. Pitt c. Holt, [2013] UKSC 26, [2013] 2 A.C. 108.

  14. Pitt c. Holt, par. [122].

Me Jacques Ostiguy, avocat, F.Adm.A., Pl.Fin., CMC, de l’étude Avocats-Conseils Ostiguy Laurin, s.n. L’auteur est également chargé de cours à l’UQAM, à l’École de gestion de l’Université de Sherbrooke et professeur au Collège de Valleyfield.

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