Fiscalité et comptabilitémars 19, 2021

Application du paragraphe 74.4(2) LIR dans une situation de «regel» successoral

L’agence du revenu du Canada (ARC) a récemment énoncé sa position concernant l’application de la règle d’attribution prévue au paragraphe 74.4(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu du Canada (LIR) dans le contexte d’une opération de «regel» successoral.(1) Une telle opération implique l’échange, par un particulier, d’actions privilégiées émises dans le contexte d’un gel successoral classique en contrepartie de nouvelles actions privilégiées ayant une valeur de rachat inférieure à la valeur de rachat des actions privilégiées échangées. Cette nouvelle valeur de rachat reflète la juste valeur marchande ajustée de la société émettrice des actions. Une opération de regel successoral est donc mise en place dans le contexte d’une diminution globale de valeur de la société émettrice, laquelle se produit à la suite de l’opération de gel successoral initiale.

Ce type d’opération soulève la question de l’application de la règle d’attribution prévue au paragraphe 74.4(2) LIR. De façon sommaire, cette disposition prévoit une attribution du revenu dans la situation où un particulier, transfert ou prête directement ou indirectement, au moyen d’une fiducie ou autrement, un bien à une société par actions lorsque, notamment, le transfert ou le prêt est effectué dans le but de réduire le revenu du particulier et à avantager directement ou indirectement une autre personne qui est une «personne désignée» au sens du paragraphe 74.5(5) LIR, en qui concerne le particulier. Lorsque le paragraphe 74.4(2) LIR est applicable dans le contexte d’un gel successoral, un intérêt réputé, calculé au taux prescrit(2) par l’ARC pour chaque trimestre, et calculé sur la valeur de rachat des actions privilégiées de gel (notion de «valeur impayée» du bien transféré aux termes de l’alinéa 74.4(3)a) LIR) moins certains ajustements dont les dividendes imposables majorés reçus par le particulier à l’égard de telles actions est imputé à l’auteur du gel annuellement. Il est à noter que l’application du paragraphe 74.4(2) LIR est sujette à diverses exceptions prévues au premier alinéa du paragraphe 74.4(2) LIR.

Les dispositions pertinentes de la LIR se lisent ainsi:

74.4(1) Définitions — Les définitions qui suivent s'appliquent au présent article.

«contrepartie exclue» À un moment donné, contrepartie qu'un particulier reçoit sous forme:

a) de titre de créance;

b) d'action;

c) de droit de recevoir un titre de créance ou une action.

74.4(2) Transfert ou prêt à une société — Dans le cas où il est raisonnable de considérer que l'un des principaux objets d'un transfert ou d'un prêt de bien—effectué directement ou indirectement, au moyen d'une fiducie ou autrement—à une société par un particulier consiste à réduire le revenu du particulier et à avantager directement ou indirectement, au moyen d'une fiducie ou autrement, une autre personne qui, en ce qui concerne le particulier, est une personne désignée, dans le calcul du revenu de ce particulier pour une année d'imposition qui comprend une période, postérieure au transfert ou au prêt, tout au long de laquelle le particulier réside au Canada, la société visée n'est pas une société exploitant une petite entreprise et cette autre personne est une personne désignée, en ce qui concerne le particulier, et serait un actionnaire déterminé de la société compte non tenu des alinéas a) et d) de la définition de ce terme au paragraphe 248(1) et si le passage «toute autre société qui est liée à celle-ci» à cette définition était remplacé par le passage «toute autre société (sauf une société exploitant une petite entreprise) qui est liée à celle-ci», le particulier est réputé avoir reçu comme intérêts au cours de l'année l'excédent éventuel du montant visé à l'alinéa a) sur le montant visé à l'alinéa b):

a) le montant qui serait l'intérêt sur la valeur impayée du bien transféré ou sur le montant non remboursé du prêt pour toutes périodes semblables de l'année s'il était calculé au taux prescrit pour ces périodes;

b) le total des montants suivants:

(i) les intérêts que le particulier reçoit au cours de l'année sur le transfert ou le prêt, compte non tenu des intérêts réputés reçus en vertu du présent paragraphe,

(ii) les sommes incluses dans le revenu du particulier pour l'année en application des paragraphes 82(1) ou 90(1) au titre de dividendes imposables qu'il a reçus au cours de l'année, sauf les dividendes réputés reçus en vertu de l'article 84, soit sur les actions reçues de la société en contrepartie du transfert ou en remboursement du prêt qui sont, au moment de la réception des dividendes, une contrepartie exclue, soit sur des actions y substituées qui sont, à ce moment, une contrepartie exclue;

(iii) lorsque la personne désignée est un particulier déterminé pour l'année, le montant à inclure dans le calcul de son revenu pour l'année au titre des dividendes imposables qu'elle a reçus et qui répondent aux conditions suivantes:

(A) il est raisonnable de considérer qu'ils font partie de l'avantage que l'on cherche à conférer,

(B) ils sont inclus dans le calcul du revenu fractionné de la personne désignée pour une année d'imposition.

74.4(3) Valeur impayée ou montant non remboursé — Pour l'application du paragraphe (2):

a) la valeur impayée, à un moment donné, d'un bien transféré à une société est l'excédent éventuel de la juste valeur marchande du bien au moment du transfert sur le total des montants suivants:

(i) la juste valeur marchande, au moment du transfert, de la contrepartie—qui n'est pas, au moment donné, une contrepartie exclue—que le cédant reçoit pour le bien,

(ii) la juste valeur marchande, au moment de sa réception, de la contrepartie—qui n'est pas, au moment donné, une contrepartie exclue—que le cédant reçoit, au moment donné ou avant, de la société ou d'une personne avec qui le cédant n'a aucun lien de dépendance, en échange de la contrepartie exclue reçue précédemment par le cédant pour le bien ou de la contrepartie exclue substituée à celle-ci;

b) le montant non remboursé, à un moment donné, d'un prêt à une société est l'excédent éventuel du principal du prêt au moment où il est consenti s'il s'agit de prêt d'argent, sinon de la juste valeur marchande du bien à ce même moment, sur la juste valeur marchande, au moment de leur réception par le prêteur, des remboursements effectués sur le prêt qui ne consistent pas au moment donné en une contrepartie exclue.

74.5(5) Définition de «personne désignée» — Pour l'application du présent article, «personne désignée» s'entend, en ce qui concerne un particulier:

a) de l'époux ou conjoint de fait du particulier;

b) d'une personne de moins de 18 ans qui a un lien de dépendance avec le particulier ou qui est le neveu ou la nièce du particulier.

Selon la récente position de l’ARC, dans la mesure où le paragraphe 74.4(2) LIR s’est appliqué lors du gel initial, les actions privilégiées reçues lors de l’opération de regel ne réduirons pas la «valeur impayée» aux fins du calcul de l’intérêt réputé calculé selon le paragraphe 74.4(2) LIR. L’ARC fonde sa position sur le libellé du sous-alinéa 74.4(3)a)(i) qui tient compte uniquement de la contrepartie reçue au moment du transfert initial (c.-à-d. les actions privilégiées reçues lors du gel initial). De plus, le sous-alinéa 74.4(3)a)(ii) ne serait pas applicable pour réduire la «valeur impayée» initiale puisque que les actions privilégiées reçues lors du regel constituent une «contrepartie exclue» au sens du paragraphe 74.4(1) LIR.

Par ailleurs, et ce point est d’une importance particulière, dans la mesure où les actions privilégiées émises lors du regel sont rachetées, la «valeur impayée» fondée sur la JVM des actions privilégiées émises lors du gel initial ne sera réduite que du montant correspondant à la valeur de rachat de ces actions reçues lors du rachat et ce, en vertu du sous-alinéa 74.4(3)a)(ii) LIR. À noter que le produit de rachat payé en argent ne sera pas considéré comme une «contrepartie exclue» au sens du paragraphe 74.4(1). Ceci implique qu’une «valeur impayée» subsistera indéfiniment à l’égard de laquelle l’intérêt réputé calculé en vertu du paragraphe 74.4(2) LIR continuera d’être calculé. L’ARC indique qu’il en sera ainsi tant que les conditions prévues aux alinéas 74.4(2)a) et b) continueront d’être rencontrées.

L’application continu du paragraphe 74.4(2) LIR suivant le rachat des actions privilégiées de regel semble particulièrement problématique considérant qu’aucun ajustement à la baisse du montant d’intérêt réputé ne pourra subvenir puisqu’aucun dividende imposable ne pourra être reçu par le particulier, la totalité des actions privilégiées de regel ayant hypothétiquement été rachetées.


  1. ARC, Interprétation technique (TWF) 2020-0860961C6, 2020 CTF Question 10 Refreeze and 74.4(2), 2020 CTF Roundtable Q.10.
  2. Al. 4301c) du Règlement de l’impôt sur le revenu du Canada (RIR).
Me Éric Gélinas
Professeur agrégé

Me Éric Gélinas, professeur agrégé, département de fiscalité, École de de gestion, Université de Sherbrooke.

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