Est-ce qu’une vente d’entreprise est nécessairement une liquidation ou une distribution de biens?
Lorsqu’une société effectue la vente de l’ensemble de ses actifs, les administrateurs ont-ils l’obligation de demander un certificat de liquidation en vertu de l’article 14 de la Loi sur l’administration fiscale («LAF»)?
L'article 14 LAF dispose qu'une personne, ayant à sa charge le contrôle ou l'administration des biens d'une autre personne, ne peut procéder à la distribution de ces biens sans avoir préalablement obtenu un certificat du ministre attestant qu'aucun montant n'est exigible.
Par cette disposition, on vise la personne qui distribue les biens d'une autre personne et on veut s'assurer que cette dernière n'est pas redevable d'une dette fiscale afin de ne pas priver les autorités fiscales de faire valoir leurs créances.
Le défaut d'obtenir ce certificat entraîne alors la responsabilité personnelle du contrevenant, à savoir l’administrateur de la société dans le cas d’une distribution des actifs de cette dernière, jusqu'à concurrence de la valeur des biens distribués.
La disposition similaire au niveau fédéral se retrouve au paragraphe 159(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu («LIR»). Bien que cette disposition réfère à la notion de «représentant légal», elle ne fait pas en sorte d’étendre cette responsabilité aux administrateurs d’une société.
Bien qu’il y ait plusieurs dispositions dans les lois fiscales concernant la responsabilité des administrateurs, l’article 14 LAF engendre une responsabilité beaucoup plus large que celle qui est visée par l'article 24.0.1 LAF. En effet, l'article 14 LAF couvre toute dette de nature fiscale, incluant impôts, taxes de vente, déductions à la source et autres, et ce, sans offrir de moyens de défense basés sur la diligence ou l’écoulement du temps (délai de deux ans après avoir cessé ses fonctions comme administrateur).
Pour engendrer la responsabilité d’un administrateur, l’article 14 LAF prévoit un délai de 12 mois, alors que celui prévu par les lois fédérales est non précisé, ledit délai ne commençant à courir qu'à compter de la date de réception de l'avis de distribution ou du moment où les autorités fiscales sont mises au courant de la distribution si aucun avis ne leur a été transmis.
L'administrateur qui distribue les biens de la société sans donner l'avis requis devient donc responsable de toutes les dettes dues par cette dernière au moment où les autorités fiscales sont informées de la distribution. On vise non seulement les dettes dues par la société au jour de la distribution des biens, mais aussi celles qui sont devenues dues par la société et celles qui le deviendront vraisemblablement à la suite de cette distribution.
La liquidation et la distribution, qui s'inscrivent dans un processus de liquidation d'actifs, sont les deux gestes qui déclenchent l'application de ces dispositions. Cependant, on ne vise pas un simple paiement fait par une société à l'un de ses créanciers ou la vente d’actifs qui intervient dans le cours normal des affaires de la société.
C'est au moment de la distribution que naît la responsabilité de l'administrateur alors en fonction. Il faut alors déterminer ce qui constitue un «acte de liquidation» fait par un administrateur, ce que nous tenterons de déterminer plus loin.
La LAF dispose cependant de quelques exceptions, ou du moins un assouplissement à ce principe:
1) Les sûretés
Un arrangement peut être conclu avec le ministre, selon l'article 10 LAF, afin que celui-ci accepte une sûreté garantissant le paiement de la dette fiscale. Cette option est utile lorsque le contribuable n'a pas suffisamment de liquidités pour payer sa dette.Il est important de s'assurer que cet arrangement soit constaté par écrit.
2) Les créances prioritaires
L'article 14 LAF permet la distribution de biens à un créancier détenant un rang prioritaire à celui de l'État à la condition que le ministre émette préalablement un certificat indiquant le nom du créancier et le montant de sa créance.
Cependant, qu’en est-il si cette demande au ministre n’a pas été faite?
Dans le cadre d’une table ronde, les représentants des autorités fiscales ont déjà répondu que:
«l'absence de certificat au moment de la distribution est le seul élément retenu par le législateur pour que l'auteur engage sa responsabilité personnelle, et ce, peu importe que le ministère n'ait pas priorité de rang dans la collocation ou n'aurait obtenu aucun montant s'il y avait eu distribution avec certificat.»(1)
Cependant, plusieurs lettres d'interprétation mentionnent que la responsabilité découlant de l'article 14 LAF trouvera application seulement si une distribution est faite à une personne ne détenant pas une priorité de rang sur la créance de l'État.(2) Ces dernières interprétations semblent bien fondées, puisque la politique sous-jacente à cette disposition vise à sanctionner une distribution d'actifs en faveur de créanciers de rang postérieur à celui de l'État.
3) Les successions
La troisième exception vise seulement les cas où il y a la distribution des biens d'une succession jusqu'à concurrence de 12 000 $.
En résumé et sous réserve des exceptions qui précèdent, toute personne visée par l'article 14 LAF qui distribue des biens avant d'avoir obtenu le certificat du ministre devient personnellement responsable des droits, pénalités et intérêts exigibles jusqu'à concurrence de la valeur des biens distribués.
Il demeure important de déterminer ce qui constitue un acte de liquidation ou une distribution de biens.
Le terme «distribution», pris dans son contexte législatif, s’entend d’une distribution aux actionnaires des biens d'une société, à savoir la distribution de l'actif aux actionnaires après paiement de toutes les dettes.(3)
La jurisprudence, les bulletins d’interprétation et les lettres d’interprétation de l’ARQ peuvent constituer un guide pour les représentants légaux et les administrateurs afin de déterminer les obligations et responsabilités d’un administrateur lorsqu’il y a une vente d’actifs.
L’affaire la plus souvent citée est celle de Morganti(4), où la société était endettée envers la Banque fédérale de développement (la «Banque»). La Banque avait prêté une somme de 210 000 $ à la société et l'acte de prêt prévoyait à l'époque le nantissement de différents outils et véhicules de la société. La société a fait défaut de paiement et la Banque a poursuivi la société et les cautions. Les biens ont été saisis avant jugement et les administrateurs de la société ont alors été nommés gardiens des biens. Par la suite, la Banque a suggéré aux administrateurs de vendre les biens de gré à gré pour la rembourser. En première instance, la Cour a déterminé que les administrateurs n'avaient pas le contrôle des biens et elle était d'avis que c'était la Banque qui avait le contrôle des biens en tant que possesseur juridique, M. Morganti n’étant que le mandataire de cette dernière.
Selon la Cour d'appel du Québec, l'article 14 LAF (anciennement la Loi sur le ministère du Revenu, «LMR») crée une obligation d'informer le ministre avant de procéder à la distribution de biens. Selon lui, dans les faits, la société liquidait ses biens et, dans un second temps, elle distribuait le produit à un autre créancier. Le juge Biron précise que, pour se soustraire à l'application cet article, il aurait fallu que le détenteur du nantissement procède par une vente aux enchères, ce qui n'avait pas été le cas en l'espèce. Il était d'avis que la société, par le biais de ses administrateurs, avait le contrôle des biens et que toutes les ventes avaient été faites après l'obtention de mainlevées.
La Cour d’appel a donc fait droit aux arguments de Revenu Québec, qui soutenait que ce n'était pas la Banque qui avait réalisé la garantie selon le nantissement commercial, mais plutôt M. Morganti qui avait vendu lui-même les biens pour en remettre par la suite le produit à la Banque.
La position de Revenu Québec aurait pu être différente si la société ou M. Morganti avait avisé le ministre de la vente des actifs, suivant la suggestion de la Banque. Tel que mentionné plus haut, nous croyons que les autorités fiscales ne cotiseraient pas les administrateurs ou les personnes responsables de la distribution des biens dans la mesure où ces biens sont grevés d'une garantie prioritaire à la leur.
Si cette transaction avait eu lieu dans un contexte de faillite, à savoir que le mécanisme de faillite est déclenché avant la distribution, alors l'article 14 LAF ou encore le paragraphe 159(2) LIR ne s'applique pas au syndic de faillite. Au surplus, les créances de l’état deviennent des créances ordinaires dans ce contexte.
Si la faillite survient après la distribution, il faut se référer à l’affaire Congiu(5) où l’ARQ avait émis une cotisation à l’égard de la société 3279227 Canada Inc. Celle-ci avait fait une proposition aux créanciers, mais il y a eu non-respect du concordat à la suite de la proposition concordataire par la société. Mme Congiu a racheté des actions de 3279227 Canada Inc. et cette société a demandé à être relevée de son défaut, demande qui a été accordée par le Registraire des faillites.
L’ARQ a contesté cette décision devant la Cour supérieure et a demandé la mise en faillite de la société.
Par la suite, la Cour d’appel du Québec a conclu à l'application de l’article 14 LAF. Elle mentionne qu'une personne qui continue de contrôler les biens et les activités du débiteur sous concordat doit être assujettie à l'article 14 LAF, puisque cet article vise la personne qui administre le débiteur fiscal.
En 2011, l’ARQ(6) nous confirmait l’application du Bulletin d'interprétation LMR. 14-1/R2, «Distribution de biens — Principes généraux», par. 20, qui a depuis été remplacé par le Bulletin LAF. 14-1/R3, «Distribution de biens — Principes généraux», afin de déterminer s’il y a ou non une distribution de biens dans le cadre d’une vente d’actifs:
«Dans le cas d'une vente d'actifs appartenant à une société, l'article 14 de la LMR s'applique à l'égard de l'administrateur qui, pour et au nom de la société, procède à la distribution de ses biens. De plus, les administrateurs qui consentent, acquiescent ou participent à cette vente sont également visés par l'article 14 de la LMR et leur responsabilité peut être retenue par le ministre aux conditions énoncées au sous-paragraphe c) du paragraphe 3 de ce bulletin. Ainsi, tous les administrateurs d'une société qui sont visés par le sous-paragraphe c) du paragraphe 3 de ce bulletin doivent se conformer aux exigences de l'article 14 de la LMR lorsqu'ils vendent les biens de cette société et le Ministère peut, en cas de défaut, les cotiser à ce titre. Règle générale, ce sont donc les administrateurs de la société qui doivent, préalablement à la vente d'actifs, obtenir le certificat de distribution prévu à cet article.»
Tel que mentionné ci-dessus, sur la base de la jurisprudence, une vente d'actifs suivie d'une répartition du produit de l'aliénation peut, dans certains cas, être considérée comme une distribution visée par l'article 14 LAF. Cependant, selon la jurisprudence, c'est le fait de remettre le produit de la vente aux créanciers de la société qui constitue la distribution et non la vente des actifs en elle-même.
L’ARQ précise qu’il est toutefois difficile de dresser une liste de cas précis d'application de cette disposition dans un tel contexte, puisque chaque cas peut s'avérer être un cas d'espèce qui doit être apprécié en fonction des faits particuliers et de la prescription.
Ceci dit, s'il appert, dans un cas particulier, que des administrateurs d'une société ont consenti, acquiescé ou participé à la vente des actifs de celle-ci et que le prix de vente est distribué à un ou plusieurs créanciers de cette société, ce sont ces administrateurs qui sont visés par les exigences de l'article 14 LAF et qui doivent obtenir du ministre du Revenu le certificat autorisant cette distribution.
Selon Revenu Québec, afin d'éviter d'encourir la responsabilité prévue à l'article 14 LAF, ces administrateurs devront, avant de procéder à la distribution de prix de vente, c'est-à-dire concrètement, avant de payer les créanciers de la société avec le produit de cette vente, avoir obtenu du ministre le certificat autorisant cette distribution.
Les représentants légaux, et surtout l’administrateur, ont donc le devoir et le fardeau d’agir avec une grande prudence dans le cas où il y a vente d’entreprise ou la vente d’une section ou partie de l’entreprise.
Dans l’affaire Boulanger(7), il fallait déterminer si le certificat prévu à l'article 14 LAF doit être obtenu uniquement lorsque tous les actifs sont liquidés. Le requérant était président et seul actionnaire de la société 9122-6100 Québec inc. qui n'avait pas produit ses déclarations de revenus pendant quatre années consécutives, de 2003 à 2007. Cette société avait été constituée pour la réalisation d'un projet immobilier. Des cotisations estimatives avaient donc été émises à l’encontre de la société en 2006.
Cette société a vendu à la conjointe de M. Boulanger un véhicule Ford Explorer 2001 pour un montant de 15 000 $. La vente a eu lieu en juillet 2006, et le même mois, un montant de 15 000 $ a été versé par la société à M. Boulanger à titre de remboursement d'avances.
En mai 2007, Revenu Québec a établi une cotisation à l'encontre de M. Boulanger en vertu de l'article 14 LAF, lui réclamant le montant de 15 000 $ distribué par la société en juillet 2006, alors qu'elle était endettée envers Revenu Québec. La société a par la suite produit des déclarations de revenus et des états financiers, ce qui a permis l'établissement de nouvelles cotisations à l'égard de la société en février 2009.
La Cour du Québec précise que, dès qu'une liquidation s'insère dans un processus de liquidation d’actifs, l'article 14 LAF trouve application. Elle s'appuie sur la décision de la Cour d'appel dans l'arrêt L'Écuyer(8) où la Cour précisait que «deux gestes déclenchent l'application de l'article 14. Ce sont la liquidation et la distribution. Ce qui distingue un simple paiement fait par une corporation à l'un de ses créanciers des cas d'application de l'article 14 est le fait que ces derniers cas s'inscrivent dans un processus de liquidation d'actifs».
Puisque la société avait cessé ses opérations en juillet 2006, elle était dans un processus de liquidation au moment de la cession du véhicule Ford Explorer et la cotisation établie en vertu de l'article 14 était bien fondée. Un des éléments à retenir de cette décision est que:
«[32] Le mécanisme d'avis et de certificat prévu à l'article 14 LAF est mis en branle lorsque la distribution s'inscrit dans un processus de liquidation, lequel ne débute pas nécessairement lorsque le dernier actif est liquidé.»
Il revient donc à l’administrateur de se poser la question, lors d’une vente d’entreprise ou d’une partie d’entreprise, s’il y a distribution ou acte de liquidation, s’il y aura distribution aux actionnaires et aux créanciers et de voir à l’existence de dettes fiscales ou encore si la distribution ou la vente pourrait créer une telle dette.
Les représentants légaux et les comptables devraient porter une attention particulière à ces dispositions lors d’une vente d’entreprise afin de ne pas créer de problèmes auprès de leurs clients ou d’engendrer une responsabilité plus grande que celle à laquelle ils pourraient s’attendre.
- «Table ronde sur la fiscalité provinciale», dans Congrès 95, Montréal, Association de planification fiscale et financière, 1996, p. 33:39-40, question 3.6.
- REVENU QUÉBEC, Lettre d'interprétation 96-010118, «Avis de cotisation à l'endroit d'un fiduciaire: Défaut d'obtenir le certificat de distribution» (23 octobre 1996); REVENU QUÉBEC, Lettre d'interprétation 96-011365, «Cotisation à l'égard des administrateurs d'une compagnie débitrice pour sa dette fiscale compte tenu de la valeur des biens qu'elle a distribués» (28 février 1997).
- Loi sur les sociétés par actions et Loi canadienne sur les sociétés par actions.
- Morganti c. Québec (Sous-ministre du Revenu), (autre nom: Québec (Sous-ministre du Revenu) c. Morganti) [1997] R.D.F.Q. 22, [1997] R.J.Q. 348 (Cour d'appel du Québec).
- Congiu c. Agence du revenu du Québec, 7 février 2014, 2014 QCCA 242.
- «Table ronde sur la fiscalité provinciale», dans Congrès 2011, Montréal, Association de planification fiscale et financière, 2011, question 9.
- Boulanger c. Agence du revenu du Québec, 2011 QCCQ 12211.
- Lécuyer c. Québec (Sous-ministre du Revenu), [1997] R.D.F.Q. 28 (CA).