Inadmissibilité aux contrats publics et financement politique : enseignements du jugement Québecor
Récemment, la Cour supérieure du Québec a rendu la décision Québecor Média inc. c. Procureur général du Québec[1]. Cette affaire soulève des enjeux fondamentaux liés au financement politique, à la liberté d’expression et à l’intégrité des marchés publics.
Contexte factuel
En 2014, M. Péladeau se porte candidat à la chefferie du Parti Québécois et contracte un prêt de 137 000 $ pour financer sa campagne, dont les dépenses totales avoisinent 400 000 $.
Après son élection comme chef en 2015, il démissionne en 2016 et annonce qu’il ne sollicitera pas de contributions pour rembourser sa dette, afin de ne pas nuire aux efforts de financement du parti.
Malgré les avertissements du Directeur général des élections (DGÉ), M. Péladeau rembourse son prêt à même ses fonds personnels, ce qui est réputé constituer une contribution excédant le plafond légal de 500 $ prévu à l’article 127.7 de la Loi électorale, RLRQ, c. E-3.3 (LÉ).
Le 21 juin 2018, le DGÉ signifie un constat d’infraction à l’endroit de M. Péladeau. Le 6 juillet 2018, ce dernier plaide coupable à l’infraction, tout en contestant le montant de l’amende.
Le 5 septembre 2018, M. Péladeau demande le retrait de son plaidoyer devant la Cour du Québec, affirmant qu’il ignorait que cette reconnaissance de culpabilité aurait pour effet d’exclure les entreprises du groupe Québecor des marchés publics.
Le dossier pénal devant la Cour du Québec est ensuite suspendu. En effet, Québecor Média inc. (Québecor) et M. Péladeau s’adressent à la Cour supérieure pour faire déclarer l’article 127.15, al. 4 de la LÉ inopérant au motif qu’il enfreint la liberté d’expression et que la sanction (incluant l’interdiction de contracter avec des organismes publics en vertu de la Loi sur les contrats des organismes publics, RLRQ, c-65.1 (LCOP) constitue une peine cruelle et inusitée interdite par la Charte canadienne des droits et libertés.
Le jugement
La Cour supérieure reconnaît que l’article 127.15(4) LÉ porte atteinte à la liberté d’expression, car il limite la capacité d’un candidat à financer sa campagne et, par conséquent, à diffuser ses idées. Toutefois, cette atteinte est jugée justifiée selon le test établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Oakes.
L’objectif de la loi — préserver l’intégrité du processus électoral, assurer l’égalité des chances et maintenir la confiance du public — est urgent et réel. Les mesures contestées sont rationnellement liées à cet objectif, l’atteinte est minimale et proportionnelle, et les effets bénéfiques surpassent les effets préjudiciables.
La Cour souligne que « seul l’actionnaire majoritaire détenant directement des actions du capital-actions d’une personne morale est visé par un refus automatique » (par 246). Or, M. Péladeau n’est pas l’actionnaire direct des compagnies du groupe Québecor (par. 248). De plus, « même si une entreprise du groupe était inscrite au RENA, celle-ci pourrait néanmoins présenter une demande pour être inscrite au REA » (par. 250).
La Cour rappelle ensuite que l’Annexe I de la LCOP comprend « une panoplie d’infractions qui ne sont pas reliées à l’attribution de contrats publics, mais qui sont plutôt susceptibles d’affecter la perception d’intégrité du contractant » (par. 222). Plus loin, la Cour écrit que « [l]es nombreux scandales qui ont ébranlé la confiance du public envers les institutions justifiaient que le gouvernement s’assure que les entreprises qui bénéficient du privilège de contracter avec l’État ne soient pas sous le contrôle de dirigeants ayant contrevenu aux règles en matière de financement électoral ».
Quant à l’article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés, la Cour conclut que les sanctions prévues (amende et interdiction de contracter) ne sont pas « odieuses ou intolérables » au point de constituer une peine cruelle et inusitée. Elles visent à dissuader des comportements qui minent la confiance du public et sont accompagnées de mécanismes permettant d’atténuer leurs effets, notamment par des mesures correctrices imposées par l’Autorité des marchés publics.
Le Tribunal rejette également l’argument voulant que l’infraction reprochée ne soit pas visée par l’Annexe I de la LCOP. La description sommaire de l’infraction — contribution excédant le montant maximal permis — correspond à celle prévue à l’Annexe I.
Enfin, la Cour rejette l’argument du DGÉ selon lequel le recours serait abusif, estimant qu’il soulève des questions sérieuses et d’intérêt public.
Conclusion
La Cour supérieure rejette le pourvoi en contrôle judiciaire entrepris par Québecor et M. Péladeau, confirmant la validité des dispositions contestées.
Les sanctions prévues par la LÉ et la LCOP, bien que sévères, sont proportionnées aux objectifs poursuivis et contribuent à renforcer la crédibilité du système électoral québécois. L’inclusion de l’infraction à l’Annexe I de la LCOP vise aussi à préserver l’intégrité des contractants avec l’État et ainsi maintenir la confiance du public dans le mécanisme d’octroi de contrats publics.
- 2025 QCCS 3558.