Même si les contribuables peuvent organiser leurs affaires de manière à diminuer leur fardeau fiscal, ils doivent agir en respectant la lettre et l’esprit de la loi. Ainsi, le ministre est bien fondé à établir une cotisation en fonction des véritables rapports juridiques entre les parties, comme l’a exprimé la Cour suprême du Canada («CSC») dans l’arrêt Shell Canada(1). En outre, le tribunal interviendra s’il en vient à la conclusion que les faits présentés ne représentent pas l’intention réelle des parties. Le 10 octobre 2018, dans la cause de Laplante c. Canada(2), la Cour d’appel fédérale («CAF») a confirmé la décision rendue en juin 2017 par la Cour canadienne de l’impôt (3) («CCI») et maintenu l’avis de nouvelle cotisation émis le 10 mars 2014 à l’égard d’un contribuable, considérant que ce dernier avait été le vrai et réel bénéficiaire de montants attribués à titre de gain en capital imposable à sept autres personnes en provenance d’une fiducie, pour l’année 2008.
Les faits
Avec deux partenaires, M. Laplante a fondé la société DTI Software Inc. («DTI») en 1995. En novembre 2004, à la suite d’une séance d’information en matière fiscale effectuée par la firme comptable qui s’occupait des affaires de DTI, M. Laplante a créé la Fiducie DL afin d’acquérir une partie du capital-actions de DTI, à l’instar de ses deux partenaires. Les bénéficiaires de la Fiducie DL étaient M. Laplante, son épouse et plusieurs autres personnes membres de sa famille ou dans l’entourage près de celle-ci. En janvier 2008, une société allemande a acquis la totalité des actions de DTI, incluant celles détenues par les fiducies, dont la Fiducie DL. La Fiducie DL a alors réalisé un gain en capital de 5 852 074 $ et un gain en capital imposable de la moitié, soit 2 926 037 $. Ce montant était imposable dans la fiducie à moins d’une attribution ou une distribution à ses bénéficiaires. Comme les actions détenues par la Fiducie DL constituaient des actions admissibles de petite entreprise («AAPE») au sens du paragraphe 110.6(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu(«LIR»), ce gain était donc admissible à l’exemption pour gain en capital prévue au paragraphe 110.6(2.1) LIR. Le 25 décembre 2008, une résolution des fiduciaires (M. Laplante, sa mère et un ami) attribuait ce gain en capital à différents bénéficiaires de la Fiducie DL. Ainsi, les montants suivants ont été attribués aux personnes suivantes, toutes bénéficiaires de la fiducie:
- 258 605,31 $ à M. Laplante,
- 375 000 $ à Mme Rondeau (conjointe de M. Laplante),
- 75 000 $ à chacun des trois enfants de M. Laplante,
- 370 487,50 $ à chacune des six personnes suivantes: M. Michaud (beau-frère), Mme Laplante (sœur de M. Laplante), Marie-Claude Michaud, Marjolaine Michaud (enfants de M. Michaud et Mme Laplante), Pierre Laplante (frère), Mme Rolland (cousine).
Dans les faits, les attributions auraient été exécutées par chèque au nom des bénéficiaires respectifs, entre le 25 et le 28 décembre 2008. Cependant, selon les témoignages entendus par l’honorable juge Sylvain Ouimet de la CCI, plusieurs des bénéficiaires auraient décidé de ne pas conserver les montants reçus et auraient fait don, dès leur réception, de leurs montants en faveur de M. Laplante, en signant un acte de donation en bonne et due forme. En considération de ces dons, M. Laplante aurait accepté de supporter l’impact fiscal découlant de l’impôt minimum de remplacement («IMR») pour les bénéficiaires concernés. Au cours des années suivantes, les bénéficiaires auraient conservé les montants d’impôt remboursés par le jeu de l’impôt minimum de remplacement. Certains autres montants, beaucoup moins importants, ont également été attribués au cours des années suivantes. Il semble que ces montants auraient ainsi été attribués afin d’optimiser la déduction pour gain en capital pour certains bénéficiaires. Devant la CCI, sept des bénéficiaires ont témoigné en faveur de M. Laplante alors que le comptable et conseiller en fiscalité de DTI et de M. Laplante a été appelé par l’ARC à témoigner. Certains témoignages se sont avérés plus détaillés ou précis que d’autres. Il est ressorti de ces témoignages certaines observations, dont les suivantes:
- Des négociations pour la vente des actions de DTI avaient débuté en 2007;
- Un premier mémo concernant l’impact de la vente des actions de DTI aurait été préparé au début de 2008, compte tenu de la structure fiduciaire mise en place en 2004;
- Un nouveau mémo, différent du premier, serait apparu vers le mois de juillet 2008. Il comprendrait un scénario permettant d’optimiser les économies fiscales potentielles pour l’ensemble des bénéficiaires de la Fiducie DL. Pour ce faire, certaines informations devaient être obtenues afin de bien connaître la situation fiscale de certains bénéficiaires;
- Laplante aurait rencontré la majorité des bénéficiaires concernés en décembre 2008 afin de leur expliquer que ceux-ci allaient recevoir un montant de la Fiducie DL suite à la vente des actions de DTI. M. Laplante aurait alors expliqué les conséquences fiscales liées au gain en capital, à la déduction pour gain en capital et à l’exposition des bénéficiaires à l’impôt minimum de remplacement. Une seconde rencontre aurait eu lieu lors d’une fête familiale le 25 décembre 2008;
- Selon M. Laplante, sept des bénéficiaires, soit ceux ayant reçu les montants les plus élevés, auraient tous accepté ou proposé de lui remettre le montant reçu en signant un acte de donation en bonne et due forme, ces personnes considérant que M. Laplante méritait ce traitement et que l’argent devait lui revenir, compte tenu de tous les efforts qu’il avait consacrés à la croissance de son entreprise, en l’occurrence DTI;
- En contrepartie, M. Laplante aurait informé ces personnes qu’il s’occuperait de faire préparer leurs déclarations fiscales et qu’il assumerait le montant d’impôt minimum de remplacement découlant de l’utilisation de l’exonération de gain en capital pour chacune de ces personnes;
- Les années subséquentes, ces bénéficiaires auraient conservé les montants reçus à titre de remboursement d’impôt découlant de l’IMR, montants qui avoisinaient les 20 000 $ pour chacun d’eux;
- La majorité des témoignages concordaient. Cependant, celui de Mme Laplante semble avoir été plus précis sur certains détails. En particulier, celle-ci aurait affirmé que M. Laplante aurait demandé aux bénéficiaires s’ils acceptaient de lui donner leurs exonérations d’impôt(4) et que, pour ce faire, il leur faudrait accepter le versement provenant de la Fiducie DL pour se conformer aux règles fiscales, puis de lui faire don de ce même montant. Dans son témoignage, Mme Laplante précise toutefois que M. Laplante lui aurait donné le choix de conserver le montant reçu de la fiducie mais, la connaissant bien, «il savait pertinemment qu’elle lui donnerait le montant d’argent qu’elle allait recevoir de la fiducie.»(5)
Questions en litige
Devant la CCI, le débat concernait les questions suivantes:
- Est-ce que M. Laplante, Mme Laplante, M. Michaud, Marie-Claude Michaud, Marjolaine Michaud, Pierre Laplante, Mme Rolland et Mme Rondeau ont participé à une simulation?
- Est-ce à bon droit que le ministre a établi une nouvelle cotisation à l’égard de M. Laplante pour l’année d’imposition 2008 après l'expiration de la période normale pour établir une telle cotisation?
- Est-ce à bon droit que le ministre a ajouté aux revenus de M. Laplante pour l’année d’imposition 2008 la somme de 2 593 412,50 $ à titre de gain en capital imposable?
Devant la CAF, l’appelant a essentiellement soutenu que le juge de la CCI avait commis une erreur manifeste dans son appréciation de la preuve et dans sa conclusion disant qu’il y avait eu mandat et simulation, suite à l’analyse de la relation effective des parties.
Position des parties
Analyse et décision de la CCI
La Cour rappelle qu’en principe, les rapports juridiques établis par un contribuable doivent être respectés en matière fiscale. Toutefois, comme la CSC l’a mentionné dans l’arrêt Shell Canada Ltée,(8) «les tribunaux ne sont pas liés par la désignation donnée à une opération juridique si elle ne reflète pas convenablement les effets juridiques véritables de l’opération. C’est le cas, par exemple, lorsque les tribunaux arrivent à la conclusion que l’opération juridique est un trompe-l’œil. Dans un tel cas, la Cour peut déterminer la nouvelle qualification à donner à une opération juridique entre les parties en fonction des véritables effets juridiques de l’opération pour les parties.»(9) Les faits s’étant déroulés dans la province de Québec, la Cour est bien fondée d’avoir recours aux dispositions pertinentes du Code civil du Québec.(10) Ainsi, dans son analyse, les articles 1451 et 1452 CcQ relatifs à la simulation pourront être utiles au tribunal. L’honorable juge Ouimet de la CCI en est venu à la conclusion que les sept bénéficiaires avaient participé à une simulation et accepté un mandat de la part de M. Laplante à l’effet d’encaisser les montants reçus ou attribués de 375 000 $ chacun, par la Fiducie DL en décembre 2008 et ce, après avoir considéré la preuve jugée prépondérante à cet égard.
La simulation
Sur la question de la simulation, selon l’article 1451 CcQ, «il existe une simulation lorsque des parties conviennent d’exprimer leur volonté réelle non pas dans un contrat apparent, mais dans un contrat secret. Pour que l’on puisse conclure à l’existence d’une simulation, deux éléments doivent être présents: un élément matériel et un élément intentionnel. L’élément matériel est l’existence de deux actes distincts, soit l’acte apparent, qui renferme ce que les parties veulent faire croire aux tiers, et l’acte secret, qui exprime l’accord véritable. L’élément intentionnel consiste en la volonté de tromper les tiers sur l’existence ou le contenu d’une convention».(11) Aux yeux du tribunal, le mandat(12) permettait à M. Laplante de demander aux bénéficiaires d’encaisser les montants concernés et de lui remettre ces montants en exécution desdits mandats.(13) Citant l’arrêt Victuni(14) de la CSC, le véritable propriétaire de l’argent reçu dans le cadre de l’accomplissement d’un mandat est le mandant. La Cour conclut donc à l’existence de l’élément matériel. Quant à l’élément intentionnel, celui-ci relève de l’intention des parties de tromper des tiers quant à l’existence ou au contenu d’un acte ou d’une convention. Il n’est pas nécessaire de démontrer que les parties ont voulu tromper le ministre au moyen d’une simulation(15). En l’espèce, la Cour conclut qu’il n’y a aucune preuve à l’effet que M. Laplante a révélé l’existence de quelque mandat qu’il aurait accordé à l’un ou l’autre des sept bénéficiaires à l’effet d’encaisser les montants attribués et les lui remettre. L’appelant soutient précisément le contraire, soit simplement que les bénéficiaires lui auraient remis ces montants à titre de dons, sans plus.(16) Concluant que les bénéficiaires ont participé à une simulation, la Cour déclare l’avis de cotisation valide, même s’il a été émis hors du délai normal de nouvelle cotisation(17) et a maintenu la cotisation de 2 593 412,50 $ à titre de gain en capital imposable pour M. Laplante pour l’année 2008.
Décision de la CAF
Devant la CAF, l’appelant a soutenu que le juge de la CCI avait commis une erreur déterminante en concluant qu’il y avait mandat alors que la documentation (attributions personnelles à chacun des bénéficiaires et dons par chacun d’eux) reflétait l’intention réelle et véritable des parties, et en ne retenant essentiellement que le témoignage de Mme Laplante. L’appel de M. Laplante devant la CAF a été rejeté à l’unanimité, la Cour concluant que le juge Ouimet de la CCI n’avait pas commis d’erreur manifeste et dominante, par l’application des critères exposés par la CSC dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen(18).
Conclusion
Les autorités fiscales disposent de différents outils juridiques afin de contester le traitement fiscal de certaines opérations ou séries d’opérations mises en place par des contribuables dans le but de diminuer leur fardeau fiscal. Qu’il s’agisse des règles d’attribution ou de la règle générale anti-évitement, pour ne mentionner que ces deux types de dispositions, les tribunaux pourront intervenir dans des circonstances où la justification de telles transactions pourrait être douteuse. En particulier, depuis l’arrêt Shell Canada, les tribunaux recherchent à comprendre les réelles motivations de telles transactions comme le démontre le passage suivant de la décision Shell Canada:
«[39] Notre Cour a statué à maintes reprises que les tribunaux doivent tenir compte de la réalité économique qui sous-tend l’opération et ne pas se sentir liés par la forme juridique apparente de celle‑ci: BronfmanTrust, précité, aux pp. 52 et 53, le juge en chef Dickson; Tennant, précité, au par. 26, le juge Iacobucci. Cependant, deux précisions à tout le moins doivent être apportées. Premièrement, notre Cour n’a jamais statué que la réalité économique d’une situation pouvait justifier une nouvelle qualification des rapports juridiques véritables établis par le contribuable. Au contraire, nous avons décidé qu’en l’absence d’une disposition expresse contraire de la Loi ou d’une conclusion selon laquelle l’opération en cause est un trompe‑l’œil, les rapports juridiques établis par le contribuable doivent être respectés en matière fiscale. Une nouvelle qualification n’est possible que lorsque la désignation de l’opération par le contribuable ne reflète pas convenablement ses effets juridiques véritables: Continental Bank Leasing Corp. c. Canada, 1998 CanLII 794 (CSC), [1998] 2 R.C.S. 298, au par. 21, le juge Bastarache.
[40] Deuxièmement, la jurisprudence fiscale de notre Cour est bien établie: l’examen de la «réalité économique» d’une opération donnée ou de l’objet général et de l’esprit de la disposition en cause ne peut jamais soustraire le tribunal à l’obligation d’appliquer une disposition non équivoque de la Loi à une opération du contribuable. Lorsque la disposition en cause est claire et non équivoque, elle doit simplement être appliquée: Continental Bank, précité, au par. 51, le juge Bastarache; Tennant, précité, au par. 16, le juge Iacobucci;Canada c. Antosko, 1994 CanLII 88 (CSC), [1994] 2 R.C.S. 312, aux pp. 326, 327 et 330, le juge Iacobucci; Friesen c. Canada, 1995 CanLII 62 (CSC), [1995] 3 R.C.S. 103, au par. 11, le juge Major; Alberta (Treasury Branches) c. M.R.N., 1996 CanLII 244 (CSC), [1996] 1 R.C.S. 963, au par. 15, le juge Cory.»(19)
- Shell Canada Ltée c. Canada, 1999 CanLII 647 (CSC), [1993] 3 R.C.S. 622.
- Laplante c. Canada, 2018 CAF 193, 23 octobre 2018.
- Laplante c. La Reine, 2017 CCI 118, 26 juin 2017.
- Supra, note 3, par. [34].
- Id., par. 35.
- Id.,par. 62(2).
- Id.,par. 61(4).
- Supra, note 1.
- Id., par. 63.
- Par application de l’art. 8.1 de la Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21.
- Id.,par. 69.
- Art. 2130 CcQ.
- Art. 2184 CcQ.
- Victuni c. Ministre du revenu (Québec), 1980 CanLII 169 (CSC), [1980] 1 R.C.S. 580.
- Transport H. Cordeau Inc. c. La Reine, 99 DTC 5765 (CAF), par. 29.
- Id., par. 81.
- Par. 152(4) LIR.
- Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235.
- Supra, note 1, par. 39 et 40.