La rectification... toujours d’actualité!
En février dernier, la Cour d’appel du Québec a rendu une décision traitant d’une rectification demandée dans l’affaire Agence du revenu du Québec c. Samson[1]. La Cour d’appel a ainsi confirmé la décision rendue par la Cour supérieure
Dans cette affaire, Samson et La Bourgade St-Jean inc. («Bourgade»), une société dont Samson était actionnaire, étaient tous les deux actionnaires de Résidence du Collège inc. («CRP»). CRP a subi d’importantes pertes et pour renflouer ses coffres, Bourgade a vendu 13 immeubles, ce qui a eu pour effet de générer un gain en capital imposable.
Une fiscaliste a préparé un montage fiscal ayant pour but d’utiliser les pertes de CRP et ainsi réduire la charge fiscale de Samson et de ses sociétés. Le montage visait à permettre à Samson et Bourgade de bénéficier d’une perte au titre d’un placement d’entreprise («PTPE») sur les actions de CRP et permettre à Résidences du Collège CRP (2014) inc. («CRP 2014») de bénéficier des pertes autres que les pertes en capital de CRP.
Il y a donc eu un transfert des actifs et de l’entreprise CRP vers Placement Emma T. inc., une société du même groupe. Ensuite, il y avait une fusion entre Placement Emma T. inc. et Bourgade, dont la résultante était la «nouvelle» CRP 2014.
Les parties devaient effectuer un choix fiscal en vertu du sous-alinéa 50(1)b)(iii) LIR et de l’article 299 LI en date du 30 novembre 2013, afin d’être réputées avoir disposé des actions de CRP pour un produit nul et les avoir acquises immédiatement après à un coût nul.
Ces dispositions se lisent ainsi:
Art. 50(1) Créances reconnues comme irrécouvrables et actions d'une société en faillite — Pour l'application de la présente sous-section, lorsque, selon le cas: […]
b) une action du capital-actions d'une société (autre qu'une action reçue par un contribuable en contrepartie de la disposition d'un bien à usage personnel) appartient au contribuable à la fin d'une année d'imposition et:
(i) soit la société est devenue un failli au cours de l’année,
(ii) soit elle est une personne morale visée à l'article 6 de la Loi sur les liquidations, insolvable au sens de cette loi et au sujet de laquelle une ordonnance de mise en liquidation en vertu de cette loi a été rendue au cours de l'année,
(iii) soit les conditions suivantes sont réunies à la fin de l'année:
(A) la société est insolvable,
(B) ni la société ni une société qu'elle contrôle n'exploite d'entreprise,
(C) la juste valeur marchande de l'action est nulle,
(D) il est raisonnable de s'attendre à ce que la société soit dissoute ou liquidée et ne commence pas à exploiter une entreprise,
Art. 299 Créances irrécouvrables — Lorsqu'un contribuable établit qu'une créance qui lui est due à la fin d'une année d'imposition, autre qu'une créance résultant de l'aliénation d'un bien d'usage personnel, est une créance irrécouvrable pour l'année, il est réputé, s'il en fait le choix dans sa déclaration fiscale produite en vertu de la présente partie pour l'année, l'avoir aliénée à ce moment pour un produit nul et l'avoir acquise de nouveau, immédiatement après, à un coût nul.
Créances irrécouvrables — Il en est de même lorsque le contribuable est propriétaire, à la fin d'une année d'imposition, d'une action, autre qu'une action qu'il a reçue en contrepartie de l'aliénation d'un bien d'usage personnel, du capital-actions:
a) soit d'une société devenue un failli pendant l'année;
b) soit d'une société visée à l'article 6 de la Loi sur les liquidations (L.R.C. 1985, ch. W-1), qui est insolvable au sens de cette loi et au sujet de laquelle une ordonnance de mise en liquidation a été rendue, au cours de l'année, en vertu de cette loi;
c) soit d'une société qui est insolvable à la fin de l'année si, à ce moment, les conditions suivantes sont remplies:
i. ni elle ni une société qu'elle contrôle n'exploite d'entreprise;
ii. la juste valeur marchande de l'action est nulle;
iii. l'on peut raisonnablement s'attendre à ce que la société soit dissoute ou liquidée et ne recommence pas à exploiter une entreprise.
La vente des actions de Samson dans CRP à CRP 2014 a eu lieu le 11 décembre 2013. Ensuite, il était prévu que CRP soit liquidée et dissoute immédiatement après la vente des actions. Toutefois, dans les faits, la vente des actions et la dissolution eurent lieu en avril 2014.
Malheureusement, la note fiscale était entachée d’une erreur, puisque le choix du sous-alinéa 50(1)b)(iii) LIR doit s’exercer à la fin de l’année fiscale du contribuable. Pour Bourgade, l’année fiscale se terminait le 30 novembre, donc la transaction fonctionnait. Pour Samson, l’année fiscale se terminait le 31 décembre, donc il ne pouvait pas exercer son choix le 30 novembre, et vu que la vente des actions avait lieu le 11 décembre 2013, il ne pouvait pas effectuer le choix le 31 décembre 2013.
Constatant l’erreur, la fiscaliste a fait une demande en jugement déclaratoire à la Cour supérieure afin de substituer la date du 11 décembre 2013 pour le 4 avril 2014, date où les signatures des documents auraient lieu dans les faits.
En première instance, le juge a permis la rectification. Celui-ci n’a pas retenu l’argument de Samson à l’effet que l’intention des parties avait toujours été de signer en avril 2014, mais il conclut que, bien que la date ait été soigneusement choisie, la fiscaliste a erré en choisissant cette date.
Le juge conclut que les deux conditions d’une modification fondée sur l’article 1425 du Code civil du Québec («C.c.Q.») édictées par la Cour suprême du Canada dans Groupe Jean Coutu (PJC) inc.[2] au paragraphe 24, étaient remplies:
- Les parties à l’entente cherchaient expressément au départ à éviter ces conséquences fiscales au moyen d’obligations suffisamment précises dont les objets, soit les prestations à exécuter, sont déterminés ou déterminables;
- Les obligations, dans la mesure où elles avaient été correctement exprimées, et les prestations correspondantes, dans la mesure où elles avaient été correctement exécutées, avaient eu l’effet recherché.
Selon le juge de première instance, l’intention derrière le montage fiscal était claire et suffisamment précise: celle-ci avait pour objectif de permettre de faire le choix prévu au sous-alinéa 50(1)b)iii) LIR afin de réclamer une PTPE.
Si la convention de vente des actions avait été datée après le 31 décembre 2013, alors les exigences du sous-alinéa 50(1)b)iii) LIR auraient été remplies.
L’Agence du revenu du Québec («ARQ») estimait que le recours approprié n’était pas une demande en rectification, mais plutôt un recours en responsabilité professionnelle contre la fiscaliste.
Finalement, la Cour supérieure a fait droit à la demande. Bien que la décision ait été portée en appel par l’ARQ, la rectification a été maintenue par la Cour d’appel du Québec.
La Cour a confirmé que, compte tenu du fait que l’intention des parties était clairement exprimée et que la demande visait simplement à corriger la date de la convention de vente d’actions, les enseignements de la Cour suprême du Canada dans Groupe Jean Coutu (PJC) inc. avaient été respectés. Il ne s’agit pas d’un cas où le contribuable cherchait à bénéficier d’un avantage fiscal qu’il n’aurait pas anticipé au moment de sa planification fiscale.
En ce qui concerne les implications fiscales de la rectification, et surtout l’argument voulant que celle-ci puisse faire perdre à Samson et ses sociétés un autre avantage fiscal prévu par la planification, la Cour conclut, en citant le juge LeBel dans la cause Services Environnementaux AES inc.[3], que «les conséquences fiscales de la détermination seront, s’il y a lieu, réglées devant un autre tribunal».
Évidemment, la réponse aurait pu être différente si la rectification avait fait bénéficier le contribuable d’un avantage fiscal additionnel qu’il n’avait pas anticipé au moment de sa planification fiscale, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
Finalement, il ressort également de la décision de la Cour d’appel du Québec que la norme d’intervention de cette Cour en ce qui concerne les demandes de rectification est celle de l’erreur manifeste et déterminante.
Les conditions à respecter pour obtenir un jugement déclaratoire dans le cadre d’une demande de rectification en vertu de l’article 1425 C.c.Q. demeurent celles de l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans la décision Groupe Jean Coutu (PJC) inc. Il est donc important de miser sur l’intention claire des parties au moment de la transaction.
- 2023 QCCA 332, (500-09-029705-217), 24 février 2023.
- Groupe Jean Coutu (PJC) inc. c. Canada (Procureur général), 2016 CSC 55, [2016] 2 RCS 670.
- Québec (Agence du revenu) c. Services Environnementaux AES inc., 2013 CSC 65, [2013] 3 R.C.S. 838.