Disposition d’un droit de recevoir de la cryptomonnaie
Dans cette interprétation technique récente[1], l’ARC se prononce sur le traitement fiscal de la disposition d’un droit de recevoir de la cryptomonnaie (bitcoins) exerçable à l’encontre d’une société étrangère dans le contexte de la liquidation de cette société étrangère.
Faits
Les faits suivants ont été présentés à l’ARC:
- Au cours de l’année d’imposition 2014, un contribuable résident canadien a fait l’acquisition, pour un prix de 75 bitcoins, d’un droit de recevoir 740 bitcoins. Le droit était exerçable à l’encontre d’une société étrangère insolvable non liée au contribuable.
- Le prix de base rajusté (PBR) du droit pour le contribuable est de 784 $, somme qui correspondait à la valeur de 75 bitcoins au moment de l’acquisition du droit en 2014.
- Au cours de l’année d’imposition 2024, le processus de liquidation de la société non-résidente a été complété. Le 31 août 2024, le contribuable a reçu 115,2602 bitcoins dans le cadre du règlement de son droit de recevoir 740 bitcoins. Ce paiement de 115,2602 bitcoins a complètement libéré la société de ses obligations envers le contribuable.
- En date du 31 août 2024, un bitcoin correspondait à 79 766,95 $ de sorte que 115,2602 bitcoins équivalaient à une somme de 9 193 954,61 $.
Questions
On a demandé à l’ARC de répondre aux questions suivantes:
- Est-ce que la réception de 115,2602 bitcoins par le contribuable le 31 août 2024 a entrainé une «disposition» du droit de recevoir 740 bitcoins au sens du paragraphe 248(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu du Canada (la Loi ou LIR)?
- Dans l’affirmative, quelles sont les conséquences fiscales de la disposition du droit?
- Quel est le PBR des 115,2602 bitcoins reçus par le contribuable?
Réponses de l’ARC
Disposition du droit de recevoir 740 bitcoins
L’ARC indique que le droit de recevoir 740 bitcoins pourrait ne pas constituer une «créance» ou un «autre droit de recevoir une somme» aux fins de la Loi, compte tenu notamment des définitions de «somme» et de «montant» au paragraphe 248(1). L’ARC réfère à l’interprétation technique (TWF) 2023-0996541I7, Capital gain or loss in Mt. Gox insolvency (30 octobre 2024), dans lequel l’ARC a conclu qu’un droit contractuel de recevoir des bitcoins à l’encontre d’une société qui avait exploité une plateforme d’échange de bitcoins centralisée ne constituait pas une créance aux fins du paragraphe 50(1) LIR.
Le droit de recevoir 740 bitcoins constitue cependant un «bien» aux fins de la Loi en vertu de l’alinéa a) de la définition de «biens» du paragraphe 248(1) LIR.
La définition du terme «disposition» au paragraphe 248(1) énumère diverses opérations ou évènements qui donnent lieu ou non à une disposition de bien pour les fins de la Loi. La définition n’est toutefois pas exhaustive compte tenu des mots «constitue notamment une disposition de bien» dans le préambule.
L’ARC présume que: i) le droit du contribuable de recevoir 740 bitcoins a été réglé dans le cadre du processus de liquidation de la société non-résidente, en contrepartie de l’octroi d’un droit de recevoir 115,2602 bitcoins en faveur du contribuable, et ii) le droit du contribuable de recevoir 115,2602 bitcoins a au même moment été réglé en contrepartie du paiement des 115,2602 bitcoins au contribuable.
L’ARC est d’avis que, pour les fins de la Loi, il y a eu une disposition du droit du contribuable de recevoir 740 bitcoins au moment du paiement des 115,2602 bitcoins au contribuable.
Conséquences fiscales de la disposition du droit de recevoir 740 bitcoins
L’ARC considère qu’une transaction impliquant des bitcoins peut entraîner un revenu (ou une perte) d’entreprise ou un gain (ou une perte) en capital. Les conséquences fiscales liées à la disposition du droit de recevoir 740 bitcoins dépendent de la qualification du droit en tant qu’immobilisation ou bien d’inventaire pour le contribuable. Cette qualification exige une analyse approfondie de l’ensemble des faits pertinents, ce qui dépasse le cadre d’une interprétation technique.
L’ARC rappelle toutefois que le contribuable a indiqué que l’acquisition du droit de recevoir 740 bitcoins n’a pas été faite dans le cadre de l’exploitation d’une «entreprise» au sens du paragraphe 248(1). Toutefois, la définition prévue au paragraphe 248(1) étend le sens ordinaire du mot «entreprise» et vise aussi les projets comportant un risque ou les affaires de caractère commercial.
L’ARC réfère au paragraphe 40 de l’arrêt Canada Safeway Limited c. Canada (2008 CAF 24), dans lequel la CAF a repris la définition proposée par les auteurs Hogg, Magee et Li concernant la notion de projet comportant un risque de caractère commercial:
Un projet comportant un risque de caractère commercial est une opération isolée (qui n’est pas fréquente ou systématique comme une opération de type commercial) par laquelle un contribuable acquiert un bien dans l’intention de le revendre à profit et le revend (normalement à profit, mais parfois à perte). En conséquence, lorsque le contribuable conclut une opération isolée (ou seulement quelques opérations), il n’est pas un commerçant. Mais si l’opération est spéculative et qu’elle vise à produire un profit, elle a alors un caractère commercial.
L’ARC résume au paragraphe 4 du Bulletin d’interprétation archivé IT-459, Projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial, les principaux critères qui ont été appliqués par les tribunaux pour déterminer si une transaction en particulier représente un projet comportant un risque de caractère commercial:
- le contribuable a-t-il traité le bien qu'il avait acquis de la même manière qu'un négociant aurait habituellement traité un tel bien;
- la nature et la quantité des biens excluent-elles la possibilité que leur vente soit la réalisation d'un investissement ou soit, par ailleurs, une réalisation de capital, ou que les biens puissent avoir fait l'objet d'une disposition autrement que par une transaction;
- l'intention du contribuable, établie par les faits ou par déduction, est-elle dans la même ligne que d'autres preuves indiquant une motivation commerciale.
L’ARC précise au paragraphe de ce même bulletin IT-459 que certains facteurs pris isolément ne sont pas suffisants pour empêcher de conclure qu'une transaction constitue un projet comportant un risque de caractère commercial:
- la transaction constituait un fait unique ou isolé;
- le contribuable n'a pas créé d'organisme pour effectuer la transaction;
- la transaction est entièrement différente de toute autre activité du contribuable et celui-ci n'a jamais effectué de transaction semblable soit auparavant, soit depuis.
L’ARC indique que deux décisions de la CCI méritent d’être mentionnées, à savoir: R. c. Meronek, [1982] C.T.C. 248 et Dally c. Minister of National Revenue, [1991] 1 C.T.C. 2556.
Dans ces deux affaires, des particuliers avaient acquis pour une somme nominale des créances dues par des sociétés en difficulté financière. Les créances ne généraient aucun revenu d’intérêt pour les contribuables et les contribuables n’étaient pas impliqués dans l’exploitation de l’entreprise des sociétés débitrices. La cour a déterminé que l’acquisition des créances dans ces circonstances n’avait pas les caractéristiques d’un investissement, mais plutôt d’une spéculation. Par conséquent, la Cour a jugé que les contribuables avaient acquis les créances dans le cadre d’un projet comportant un risque de caractère commercial et les profits réalisés par les contribuables lors du remboursement des créances ont été considérés comme du revenu d’entreprise.
L’ARC souligne de plus qu’une longue période de détention n’exclut pas qu’un bien puisse avoir été acquis dans le cadre d’un projet comportant un risque de caractère commercial, dès lors que l’intention du contribuable a toujours été de revendre le bien à profit plutôt que de réaliser un investissement à long terme. L’ARC réfère par ailleurs aux décisions Wynnyk c. Minister of National Revenue, [1978] C.T.C. 2724; Chen c. R., 2012 CCI 215 et Paletta International Corporation c. Canada, 2021 CAF 182.
Dans le scénario présenté dans l’interprétation technique, l’ARC mentionne qu’il est pertinent de relever les points suivants:
- Le contribuable a fait l’acquisition d’un droit de recevoir 740 bitcoins pour un prix de 75 bitcoins. En procédant ainsi, le contribuable pouvait espérer réaliser un profit important en cas de règlement, même partiel, de son droit, mais le contribuable s'exposait aussi au risque de ne recevoir aucun bitcoin compte tenu de l’insolvabilité de la société.
- Le droit de recevoir les bitcoins n’était pas susceptible de générer un revenu pour le contribuable durant la détention du droit.
- La période de détention de dix ans pourrait correspondre au délai nécessaire à l’achèvement du processus de liquidation de la société, permettant ainsi le règlement du droit de recevoir 740 bitcoins, sans pour autant refléter une intention de la part du contribuable de conserver le droit à long terme.
Ainsi, l’ARC précise que si l’acquisition du droit de recevoir 740 bitcoins a été faite dans le cadre d’un projet comportant un risque de caractère commercial, le droit serait un bien d’inventaire et le profit réalisé à la disposition du droit constituerait un revenu d’entreprise.
Si toutefois le droit constituait une immobilisation du contribuable, le profit réalisé par le contribuable lors de la disposition du droit serait un gain en capital.
Coût des 115,2602 bitcoins reçus
L’ARC mentionne que les 115,2602 bitcoins reçus par le contribuable dans le cadre du règlement de son droit de recevoir 740 bitcoins pourraient constituer des immobilisations ou des biens d’inventaire. La détermination de la nature des 115,2602 bitcoins requiert un examen de tous les faits pertinents.
Si les 115,2602 bitcoins étaient des biens d'inventaire, il ne serait pas approprié de référer à leur PBR. L’ARC réfère à l’interprétation 9405497 sur cette question. L’ARC conclut que le coût pour le contribuable des 115,2602 bitcoins devrait correspondre à la JVM des 115,2602 bitcoins au moment de leur réception par le contribuable.
Commentaires
La position de l’ARC est conforme à celle adoptée dans l’interprétation technique (TWF) 2023-0996541I7 mentionnée plus haut, dans laquelle l’ARC indiquait que le droit de recevoir des cryptomonnaies dans le contexte d’un processus d’insolvabilité a également été traité comme un bien distinct ayant fait l’objet d’une disposition.
- ARC, Interprétation technique (TWF) 2025-1070171E5, Disposition of a right to receive bitcoins, 10 septembre 2025.