Fiscalité et comptabilitéavril 28, 2021

Destitution d’un policier pour avoir fraternisé avec des individus criminalisés et leur avoir vendu des informations confidentielles

Résumé : L’arbitre Nathalie Massicotte confirme la destitution d’un policier de la Sûreté du Québec qui a fréquenté des individus de réputation criminelle et qui leur a vendu des informations policières confidentielles sur la base d’une preuve circonstancielle démontrant ces manquements.

L’arbitre Nathalie Massicotte a dû se pencher sur le bien-fondé de la destitution d’un policier de la Sûreté du Québec (« SQ ») à qui on reprochait d’avoir fraternisé avec des individus criminalisés et de leur avoir transmis des informations policières confidentielles(1). Cette destitution avait été décidée par le Comité de discipline de la SQ à la suite d’une enquête disciplinaire initiée après l’acquittement du plaignant d’accusations criminelles pour abus de confiance et entrave à la justice portées contre lui. Il convient d’examiner les faits particuliers de cette affaire.

 I. Contexte factuel

Le plaignant, monsieur Claude Cinq-Mars, était policier pour la SQ depuis 2002, au poste de Roberval. Il y occupait la fonction de patrouilleur solo au sein de l’équipe « multi », qui était essentiellement en appui à la patrouille régulière.

En 2009, le « projet pastille » a été mis en place par la SQ afin de cibler une organisation criminelle bien connue qui faisait du trafic de cocaïne, méthamphétamine et cannabis sur tout le territoire du Saguenay-Lac-Saint-Jean. Les dirigeants de cette organisation étaient liés à un membre des Hells Angels. Tout a commencé quand certains policiers impliqués dans ce projet d’envergure ont eu connaissance du fait que le plaignant vendait possiblement des informations policières confidentielles à un trafiquant de stupéfiants connu dans la Ville de Roberval, monsieur Éric M. Desgagnés. Une enquête criminelle avait ainsi été initiée en 2010, laquelle a mené à un procès et à l’acquittement du plaignant en 2015 à des accusations d’abus de confiance et d’entrave à la justice.

Une enquête disciplinaire a par la suite été amorcée en 2011, laquelle a mené à l’émission d’une citation disciplinaire le 10 juin 2015 et à la destitution du plaignant par le Comité de discipline le 7 décembre 2017, pour avoir commis les fautes suivantes :

  1. Ne pas avoir respecté l’autorité de la loi et des tribunaux ni avoir collaboré à l’administration de la justice en empêchant ou contribuant à empêcher la justice de suivre son cours, notamment en transmettant de l’information policière confidentielle à des individus criminalisés (article 5, alinéa 2 du Règlement sur la discipline interne des membres de la Sûreté (« Règlement »)).
  2. Ne pas avoir évité tout comportement qui compromet l’efficacité ou l’honneur de la SQ ou qui la discrédite, notamment en transmettant de l’information policière confidentielle à des individus criminalisés (article 2 du Règlement).

 II. Analyse

Avant de se prononcer sur le bien-fondé de la destitution, l’arbitre devait d’abord déterminer si le rapport d’enquête disciplinaire émanant de la Direction des normes professionnelles de la SQ était admissible pour valoir comme preuve de son contenu. Il importe de souligner que ce rapport contenait des déclarations de plusieurs personnes qui n’ont pas été assignées à témoigner durant l’arbitrage.

Admissibilité du rapport d’enquête disciplinaire pour valoir comme preuve de son contenu

L’employeur prétendait que les enquêteurs avaient rencontré toutes les personnes impliquées dans l’enquête pour lesquelles des déclarations ont été faites. Il invoquait également qu’il serait démesuré qu’il assigne tous les témoins, puisque le rapport comportait toutes les caractéristiques de fiabilité permettant son dépôt.

Le syndicat invoquait évidemment que le rapport était constitué en grande partie de ouï-dire et avait pour cette raison formulé une objection à l’égard d’une partie du rapport et de ses annexes. Les parties du rapport qui posaient particulièrement problème étaient composées de trois déclarations de témoins rencontrés par l’enquêteur, mais n’ayant pas témoigné à l’audience, soit celle de l’individu criminalisé, monsieur Desgagnés, et deux de ses collègues. Il y avait également deux rapports de sources anonymes dont l’admissibilité était remise en cause.

L’arbitre a accueilli partiellement l’objection du syndicat, en rappelant que le ouï-dire est une exception à la règle générale voulant qu’une déclaration écrite ne puisse être déposée en preuve, à moins que son auteur ne comparaisse devant le tribunal pour témoigner.

En l’espèce, l’enquêteur auteur du rapport a témoigné sur son contenu et ses annexes.

L’arbitre a retenu que ces déclarations ne répondaient pas aux critères de l’exception du ouï-dire prévus à l’article 2870 du Code civil du Québec (1. Il est impossible d’obtenir la comparution du déclarant comme témoin ou déraisonnable de l’exiger, et 2. Les circonstances entourant la déclaration donnent à celle-ci des garanties suffisamment sérieuses pour pouvoir s’y fier).

En effet, l’employeur n’a pas démontré ce qui rendrait impossible la comparution des déclarants ou ce qui la rendrait déraisonnable. Ainsi, les trois déclarations en question ont été considérées inadmissibles en preuve pour faire preuve de leur contenu.

En ce qui concerne les rapports des deux sources anonymes, l’arbitre a considéré qu’ils étaient admissibles. Elle a précisé que le privilège de l’informateur (ou le secret relatif à l’indicateur de police) s’appliquait à ces sources. Ainsi, vu l’impossibilité de les entendre, l’arbitre a considéré que les deux conditions nécessaires pour admettre une preuve à titre d’exception du principe de ouï-dire étaient rencontrées.

Destitution

Quant au mérite du litige, l’arbitre a d’abord souligné que la preuve de l’employeur était essentiellement circonstancielle et contradictoire, particulièrement sur la question de la vente d’informations policières à monsieur Desgagnés, ce qui était évidemment formellement nié par le plaignant.

L’employeur soutenait toutefois que l’ensemble des circonstances démontrait que le plaignant avait entretenu des liens avec des personnes criminalisées et qu’il leur avait vendu de l’information policière confidentielle.

L’arbitre a d’abord rappelé qu’une preuve circonstancielle doit être analysée avec prudence, bien qu’elle puisse être suffisante pour démontrer les gestes reprochés(2).

Premier manquement : Le plaignant n’a pas évité tout comportement qui compromet l’efficacité ou l’honneur de la SQ ou qui la discrédite, notamment en transmettant de l’information policière confidentielle à des individus criminalisés.

L’arbitre a débuté son analyse en soulignant que la preuve démontrait clairement que le plaignant savait que monsieur Desgagnés et son collègue, monsieur Sébastien Tremblay, étaient de réputation criminelle. Bien que le plaignant ait tenté de nier ce fait dans le cadre de son témoignage, l’arbitre reprend plusieurs éléments mis en preuve par l’employeur à l’effet qu’un patrouilleur de l’expérience du plaignant informé des faits qui étaient à la connaissance de tous les policiers du poste de Roberval qui sont venus témoigner ne pouvait ignorer que ces deux hommes étaient de réputation criminelle.

L’arbitre poursuit son analyse de la preuve qui l’amène à conclure que malgré cette réputation, le plaignant fréquentait ces deux hommes. En effet, la preuve a démontré qu’il avait des liens réels avec eux et que plusieurs transactions verbales concernant des biens, tels un pare-brise de motoneige, un véhicule tout terrain, une débroussailleuse, une corde de bois, etc., sont intervenues entre eux, alors que le plaignant savait que monsieur Desgagnés était connu pour du recel.

L’arbitre a conclu qu’une personne qui a de telles relations contrevient nécessairement au Règlement :

[89] Une personne qui a de telles relations contrevient nécessairement au Règlement en ce qu’elle ne fait pas preuve de dignité et qu’elle discrédite la SQ, une organisation vouée au maintien de la sécurité publique, à la prévention et à la répression du crime. Un policier raisonnable doit savoir que les liens qu’il entretient avec certaines personnes peuvent avoir un impact quant au rôle qui lui est dévolu au sein de la société, de par ses fonctions, mais aussi sur l’image de l’organisation à laquelle il appartient.

Second manquement : Le plaignant n’a pas respecté l’autorité de la loi et des tribunaux ni collaboré à l’administration de la justice en empêchant ou contribuant à empêcher la justice de suivre son cours.

L’arbitre est d’avis que la preuve circonstancielle a démontré la communication d’informations policières.

Au cours de l’année 2010, des enquêteurs du « projet pastille » ont été informés par trois différentes sources qu’un policier de la SQ donnait de l’information policière à des individus criminalisés de Roberval. Une des sources a même réussi à obtenir le nom du policier en question, soit le nom du plaignant, monsieur Claude Cinq-Mars. L’enquêteur qui l’a rencontré a témoigné à l’effet qu’il a accordé une très grande crédibilité à cette source, considérant qu’elle a fourni de l’information précise et décrit le portrait de la région et l’état de la situation concernant le trafic de stupéfiants en bonifiant ce que les policiers avaient déjà découvert dans le cadre de leur enquête. Il est à noter que la première source avait mentionné que le prénom du policier en question était Claude. La troisième source a finalement évoqué l’échange d’informations avec un policier de Roberval.

Par la suite, de l’écoute électronique a débuté sur plusieurs mois. Cette preuve a révélé qu’il y a eu plusieurs conversations entre le plaignant et monsieur Desgagnés ainsi que la conjointe de celui-ci. Afin d’en savoir plus sur la nature des contacts entre monsieur Desgagnés et le plaignant, la Direction des normes professionnelles a mis en place un projet d’infiltration. Dans le cadre de cette opération, monsieur Desgagnés a confié à un agent double avoir un contact « safe » dans la police qui lui donnait des informations moyennant quelques centaines de dollars. Il a mentionné qu’il s’agissait d’un ancien de la Sûreté municipale qui se prénommait Claude.

Ainsi, selon l’arbitre, la preuve circonstancielle a révélé de nombreux indices graves, précis et concordants pointant tous vers la même direction, à savoir que le plaignant vendait de l’information relative aux activités policières à monsieur Desgagnés. Elle les résume ainsi :

  • Il entretenait des liens étroits avec monsieur Desgagnés;
  • Considérant que les transactions qu’il a effectuées avec ce dernier (VTT, cordes de bois) étaient toutes en 2009, on peut conclure que le but des conversations téléphoniques qu’ils ont eues en 2010 et 2011 y était étranger;
  • Les déclarations faites par les trois sources anonymes rapportent toutes qu’un policier fournit des informations à des membres d’une organisation criminelle. Une source précise qu’il s’agit de monsieur Claude Cinq-Mars, et une autre qu’il s’agit d’un dénommé Claude;
  • Les écoutes électroniques confirment ce fait. Un des extraits démontre que des membres du réseau criminel obtiennent de l’information de la part d’un policier de la SQ en contrepartie d’un paiement de 300 $. Lors d’une conversation avec monsieur Desgagnés et le plaignant, il est question d’une remise d’argent. À cette occasion, le plaignant précise qu’ils ne peuvent pas se rencontrer en face de chez monsieur Desgagnés;
  • En janvier 2011, il y a eu une conversation avec le frère de monsieur Desgagnés;
  • Selon les registres téléphoniques, il y a plus d’une douzaine d’appels entre monsieur Desgagnés, le plaignant et la conjointe de celui-ci en 2010 et 2011, bien après la vente du VTT;
  • L’opération d’infiltration démontre que monsieur Desgagnés a un contact « safe » dans la police qui peut lui donner des informations;
  • Faits marquants selon l’arbitre, le plaignant n’a fourni aucune explication sur la nature ou le but des conversations qu’il a eues avec monsieur Desgagnés en 2010 et 2011.

L’arbitre conclut donc que le plaignant a contrevenu au Règlement en regard des deux manquements reprochés.

Quant à la justesse de la sanction imposée, l’arbitre a rappelé que les policiers doivent faire preuve du plus haut degré de probité de par la nature de leurs fonctions. Elle a ajouté que le plaignant n’était pas constant dans ses réponses et que sa crédibilité avait été mise à mal. Il ressortait également de son témoignage un détachement et un désintéressement par rapport aux événements. Cela l’a amenée à conclure qu’il n’était pas réhabilitable et que la destitution lui apparaissait être la seule avenue possible.

 III. Commentaires

Il est intéressant de noter que bien que la preuve ne comportait pas une preuve directe à l’effet que le plaignant avait vendu de l’information policière à des personnes de réputation criminelle, l’abondante preuve et les nombreux indices militant en faveur de sa conclusion ont permis à l’employeur de rencontrer le fardeau de preuve requis en arbitrage, soit la balance des probabilités.

Il est également utile de rappeler qu’aussi minutieux et rigoureux puisse être un rapport d’enquête effectué par un policier ou une autre ressource, il n’est pas possible d’échapper à la mise en preuve des faits rapportés par les témoins sans obtenir leur témoignage lors de l’audience, sous réserve des exceptions déjà mentionnées. Nous retenons que l’employeur a eu la chance de pouvoir faire sa preuve autrement, car la démonstration des manquements reprochés aurait pu être compromise.


  1. Association des policières et policiers provinciaux du Québec et Sûreté du Québec, 2021 QCTA 126 (Me Nathalie Massicotte).
  2. Compagnie Allan Candy Ltée et Syndicat international des travailleuses et travailleurs de la boulangerie, confiserie, tabac et menuiserie « entrepôt », FAT- COI – CTC – FTQ, section locale 350, SOQUIJ, AZ-50916600, Me André Dubois; CÉGEP Montmorency c. Syndicat des employés du Collège Montmorency, 2019 CanLII 22801, Me Pierre Daviault; Syndicat des travailleuses et travailleurs du Centre de santé et des services sociaux du Nord-de-l’Île-de-Montréal – CSN et Centre intégré universitaire de santé et des services sociaux du Nord-de-l’Île-de-Montréal, 2020 CanLII 23344 (QC SAT), Me Jean-Yves Brière.
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