Plus de 5 ans après la mise en route d’une démarche de centralisation de ses données contractuelles, STMicroelectronics continue de tracer le sillon d’un outil métier performant et collaboratif pour toute l’entreprise. Entre points d’appui et centre de résistance, retour sur une dynamique forte qui a su conquérir tous les acteurs de l’entreprise.
Didier Lucotte, Group Vice President, Senior Legal Counsel, Procurement de STMicroelectronics et Matteo Barbaza, Chief Digital Officer de STMicroelectronics évoquent l’histoire de ce projet initié dès 2014.
(Interview extraite de l’étude « Legal Departments in a Digital Era »
Didier Lucotte se souvient très bien de l’année 2013 qui a précédé la décision de lancer un système de données juridiques centralisé et un système de gestion juridique. La répartition des juristes dans différents pays du monde entier rendait difficile le partage des contrats signés au niveau du Groupe et l’échange d’informations correspondantes. L’évolution de l’organisation de la Direction Juridique à cette époque a été aussi l’occasion d’enclencher ce nouveau processus de digitalisation. « Nous avons une organisation corporate basée à Genève avec des directions juridiques en France, en Italie, aux États-Unis et à Singapour, soit une trentaine de juristes au total » souligne Didier Lucotte. Le besoin se concentre alors sur une base de données qui permettrait aux équipes d’accéder en temps réel à tous les contrats à venir ou déjà signés qu’ils soient rédigés au siège (Genève) ou dans n’importe quel autre pays. « Un moyen d’éviter que certains contrats puissent contenir des écarts ou des clauses différentes vis-à-vis d’un même client ou un même fournisseur : par exemple, une entité juridique d’un pays pouvait avoir une clause de responsabilité qui était plus favorable que le contrat négocié par un collègue dans un autre pays » explique Didier Lucotte.
L’objectif : faire émerger un outil qui permette à chaque juriste dans le monde de voir en un clic ce qui a été fait à l’instant T, avec tel client, tel fournisseur ou l’une de ses filiales. Ainsi, un appel d’offre a été lancé avec, en amont, une étude de marché menée avec l’aide d’un collaborateur du service IT. Le constat : différentes démonstrations produites avec des solutions techniques pertinentes proposées mais qui ne conviennent pas totalement aux attentes. Didier Lucotte indique : « Je me souviens d’un compétiteur avec une offre attractive mais davantage spécialisé dans le monde des avocats, également d’une société indienne intéressante mais qui n’avait pas d’antenne en Europe, seulement une hotline locale, alors que nous voulions un service au minimum franco-anglais. Un autre prestataire ne pouvait pas, par exemple, répertorier des contrats de plus de 20 pages, un système trop restrictif pour notre entreprise »
Au fil des mois qui suivent ces multiples consultations, la liste des compétiteurs s’affine avant qu’un évènement ne fasse basculer la décision. « Quand nous nous sommes rendus pour la première fois sur place chez Legisway, nous avons visité leurs laboratoires, échangé avec les équipes de développement ; nous avons aimé l’esprit start-up de la société » commente Didier Lucotte.
Le processus est alors enclenché avec les contours d’un projet qui se dessine après l’été 2014 et qui sera acté à la fin de cette même année. L’étape suivante : mettre en place la solution de façon opérationnelle avec une reprise des données existantes et un principe de customisation du menu du logiciel pour personnaliser au maximum l’outil dans son environnement métier.
Faire face à un volume et une typologie de contrats gigantesques : un défi
Comprendre la gestion contractuelle de STMicroelectronics, c’est d’abord comprendre le métier du fabricant européen de puces électroniques (semi-conducteurs) qui traite un volume impressionnant de contrats. « Nous partons de notre matière première qui est la plaquette de silicium (wafer). Nous avons aussi une variété importante de contrats. Sur mon seul périmètre par exemple, j’ai quasiment 6 000 fournisseurs référencés. Nos sites industriels achètent des matériaux, de l’énergie, du logiciel, des équipements, des prestations de maintenance, des services ou du consulting. Nos multiples sites de production fonctionnent sur la base des matières premières qu’ils achètent et des services associés dont ils ont besoin. Tout ceci génère un nombre très important de transactions dont il faut assurer la gestion » selon Didier Lucotte.
L’appui déterminant des financiers dans le projet
Durant la phase de déploiement opérationnel de l’outil de gestion juridique Legisway, les équipes juridiques partagent leurs problématiques avec les financiers qui vont progressivement devenir acteurs et ambassadeurs internes de ce nouvel outil en comprenant sa valeur ajoutée. « Nous nous sommes aperçus qu’il fallait ajouter dans notre menu un volet financier. Notre société est cotée sur 3 bourses avec des obligations financières. Concrètement, au début de chaque semaine, nous devions répertorier tous les contrats signés la semaine précédente en indiquant les montants des contrats en question. Ces travaux étaient réalisés manuellement par un collaborateur chargé de compiler ces données de la semaine N-1 dans un fichier Excel». Parallèlement, les équipes Legisway proposent alors d’inclure ces données directement dans le menu pour générer automatiquement un récapitulatif de contrats signés tant au niveau corporate que par zone géographique. A l’appui d’une démonstration, les calculs sont éloquents. « Nous avons compris qu’avec un seul clic, nous arrivions à économiser quasiment 20 heures de travail. Cela fut un argument décisif pour les financiers car il fallait mobiliser en moyenne un paralégal, un juriste, un ou deux financiers soit 4 personnes pour faire ce travail ».
La dynamique se met en marche. Si au début, seuls quelques financiers ont des droits d’accès, les contrôleurs financiers locaux et régionaux multiplient les demandes pour pouvoir, eux aussi, avoir une visibilité sur leur domaine respectif.
La digitalisation, une dynamique de co-construction permanente
Des oppositions internes n’ont pourtant pas manqué au moment de l’arrivée de l’outil. « Nous partions de presque rien et de nombreuses personnes s’y sont opposés au départ. Dans le groupe, au niveau des achats, nous avions par exemple une base de données qui fonctionnait de manière fermée. Certains de nos collaborateurs l’ont donc vu comme un projet concurrent s’il fonctionnait » précise Didier Lucotte qui ajoute « nous cherchions d’abord à répondre au besoin de la direction juridique, centraliser en un point donné nos contrats tant ceux signés par la maison mère que par ses filiales ». Mais une fois cette étape préliminaire franchie, une communication agile et l’engagement des financiers acquise, l’effet boule de neige s’est enclenché donnant une nouvelle dimension au projet.
Aujourd’hui, avec le recul, Didier Lucotte mesure le chemin parcouru avec des acteurs plus favorables aux applications Cloud dans toutes les directions de l’entreprise. Si pour lui, certains contrats peuvent encore gagner en automatisation dans les 5 à 10 ans qui viennent, ils restent une minorité. Dans le monde du BtoB, STMicroelectronics se positionne comme un acteur qui fait du « cousu main ». Pour un grand nombre de transactions avec des montants significatifs, les négociations de gré à gré restent d’actualité avec des contrats uniques.
Autre perspective évoquée par Didier Lucotte : « L’avenir sera peut-être comme nous l’avions déjà imaginé dès 2013 : celui de pouvoir connecter Legisway avec nos applications de gestion financière car il n’y a pas de contrat sans commande. Même s’il y a des termes financiers dans le contrat, ce qui génère le processus de paiement au sein du groupe est bien la commande et son suivi, puis son traitement dans nos applications de gestion financière ». L’idée de cette interface reste pertinente avec un accès en temps réel jusqu’à l’échéancier de paiement. Si aujourd’hui ce projet n’est pas encore réalisé, potentiellement, il demeure possible.
L’intégration de la signature électronique simplifie aussi ces écosystèmes. Le sillon est ainsi tracé pour aller vers ces prochaines étapes.
Autant de dynamiques en marche pour co-construire ces chantiers au carrefour des champs juridiques, IT, achats ou financiers qui font bouger les lignes de l’entreprise avec des échéances de plus en plus courtes. Au-delà des technologies, ce sont des réflexes collaboratifs à cultiver pour piloter aujourd’hui l’entreprise de demain.
A la loupe opérationnelle
Défi N°1
Avoir un outil au niveau corporate qui puisse recenser tous les contrats à signer et une partie de ceux signés dans le passé. Mais comment appréhender à échelle humaine les 74 000 contrats créés depuis la création de l’entreprise en 1987 ?
- Ce chiffre a été recensé fin 2014 après consultation interne de toutes les directions juridiques de l’entreprise
- Les 74 000 contrats identifiés n’étaient pas tous en version PDF
- Certains de ces contrats étaient constitués de vieux originaux difficiles à scanner avec une encre plus ou moins altérée
Solution :
Sélectionner dans ces 74 000 contrats, ceux des clients et fournisseurs clés, en particulier ceux considérés comme ayant une activité récurrente pour l’entreprise
- Une liste de 7 100 contrats a été validée
- Cette liste a constitué la base historique intégrée dans le logiciel Legisway au titre de la reprise de données
Défi N°2
Utiliser l’outil de manière performante sur un contrat donné pour avoir accès à une série de fondamentaux essentiels comme : l’identification des parties, l’objet du contrat, sa durée, le prix, l’échéance de paiement dans l’onglet financier, ses conditions de résiliation, sa date d’expiration et la mise en place d’alarmes pour gérer sa reconduction éventuelle, les règles de propriété intellectuelle et industrielle applicables à certains contrats, la loi applicable, le tribunal compétent ou le recours à une clause d’arbitrage en cas de litiges...
Comment traduire et intégrer ces multiples paramètres de façon simple lors de la phase de customisation du menu ?
- Le risque était de perdre en lisibilité et en efficacité en mettant trop d’éléments et de sous-catégories pour couvrir toutes les typologies de contrats
Solution N°2
Définir une quinzaine de catégories avec des sous-catégories soit entre 15 à 20 au total pour rationaliser l’arborescence :
- Par rapport à la photographie finale de l’outil, la démarche de rationalisation a permis de réduire de moitié le nombre de catégories imaginées initialement
- La méthode a été pragmatique avec la contribution active de l’ensemble des juristes pour construire et arbitrer in fine une arborescence en adéquation avec les besoins de chacune des directions juridiques concernées et applicable au plus grand nombre de contrats.
Le point de vue de Matteo Barbaza, Chief Digital Officer de STMicroelectronics
Nous avons démarré notre projet en 2013 et même si cela peut sembler long, il faut considérer que la Transformation Digitale est un “voyage”, et non pas une « destination ». Avec le recul, nous voyons clairement 3 facteurs clefs de succès par rapport au contexte de notre société :
- Il faut prendre en compte la « maturité de départ » et adapter la vitesse d’exécution aux besoins métier, pour éviter que les résistants au changement ne retardent la mise en place.
- Il faut démontrer la valeur ajoutée du changement sur des cas d’usages réels, car le changement demande un investissement en temps, et il y a toujours d’autres priorités opérationnelles à mener.
- Il faut le bon « Product Owner », la personne qui porte l’initiative coté métier (dans notre cas mon collègue Didier), pour lui « donner du sens » et éviter que la Transformation soit juste le déploiement d’un nouvel outil informatique !
- Au cœur de notre transformation digitale chez ST, il y a la donnée. Pour les juristes de ST, l’objectif a été le même, à savoir, rendre les données disponibles (centralement) pour pouvoir les exploiter et en tirer profit en prenant des décisions guidées par les données et non par l’intuition ou, parfois, l’émotionnel.
- La prochaine étape de notre Transformation portera autour de l’automatisation au service des utilisateurs pour permettre à nos juristes de se concentrer sur leur cœur de métier et les tâches à valeur ajoutée, plutôt que sur la « recherche » des informations.
Wolters Kluwer et l’ECLA ont mené une étude auprès de 400 départements juridiques européens. L’étude « Legal Departments in a Digital Era » fournit une analyse approfondie de la maturité digitale des services juridiques dans cinq grands pays européens : Allemagne, France, Espagne, Belgique et Pays-Bas. En complément, l’étude est enrichie d’avis et interviews d’experts européens.
Télécharger le rapport « Legal Departments in a Digital Era »